Prévenir les dettes: faire passer le message

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Mieux vaut prévenir que guérir ! L’adage est connu et convient parfaitement quand on évoque les difficultés financières que certains peuvent connaître. Dans la pratique, on constate de manière générale que les opérateurs de prévention ciblent leurs publics pour mieux faire passer le message. Petit tour d’horizon non exhaustif des actions les plus originales en termes d’animation, mais également en termes d’implication des participants.
À chaque public, son action de prévention. Tel pourrait être le leitmotiv des différents acteurs dans le domaine. Sur le terrain, bon nombre d’actions de prévention du surendettement sont réalisées par des acteurs qui agissent dans un cadre régionalisé: en Wallonie, il s’agit des quatre centres de référence en médiation de dettes (le Créno pour la province de Hainaut, le Medenam pour la province de Namur, le Gils pour la province de Liège et le GAS pour la province de Luxembourg) et l’Observatoire du crédit et de l’endettement. En Région de Bruxelles-Capitale, cette tâche revient au Centre d’appui aux services de médiation de dettes tandis qu’en Flandre, depuis 2011, onze structures de coopération entre des CPAS et des Centres d’action sociale globale sont subsidiées par les autorités régionales pour apporter une réponse préventive à la problématique du surendettement, sous la coordination du Vlaams Centrum Schuldenlast.
Les services de médiation de dettes du royaume exercent, en plus de leur rôle curatif, un rôle préventif, notamment en organisant des animations dans le cadre des groupes d’appui ou de soutien (en Région de Bruxelles-Capitale) ainsi qu’à travers l’organisation de séances d’information.
La prévention du surendettement est également l’affaire de toute une série d’acteurs de terrain, au sein des écoles, des associations de jeunes, sur le lieu de travail ou par le biais d’activités organisées dans le cadre des plans de cohésion sociale. Des personnes-relais, comme le personnel des ressources humaines dans les entreprises, les représentants des travailleurs, les éducateurs, les aides familiales, les assistants sociaux, le personnel des plannings familiaux… sont également des vecteurs de messages de prévention.
Par ailleurs, l’éducation financière contribue notamment à prévenir le surendettement en permettant de réduire les risques d’exclusion financière et en encourageant les consommateurs à planifier et à épargner. Depuis 2013, la FSMA est chargée par l’État belge de contribuer à l’éducation financière des consommateurs et exerce cette mission à travers un programme intitulé Wikifin.
Ce programme s’articule autour de trois volets:
– le site internet http://www.wikifin.be, qui a pour vocation d’offrir une information neutre et pratique concernant des thématiques autour de l’argent;
– la mise à disposition de matériels pédagogiques à destination des enseignants et des élèves;
– l’échange de bonnes pratiques entre les différents acteurs belges et internationaux concernés par l’éducation financière.
Enfin, considérant le surendettement et l’endettement problématique comme des facteurs d’exclusion sociale et du marché du travail, le Fonds social européen participe également à la prévention du surendettement en cofinançant avec la Wallonie le projet «Prévention et lutte contre le surendettement, un coup de pouce à l’insertion socio-économique» de l’Observatoire du crédit et de l’endettement.

Des actions ciblées
De la population en général à des publics ciblés, on peut sans doute repérer sept catégories différentes de publics auxquels s’adressent les différents acteurs de prévention en matière de surendettement. Pour mieux appréhender la diversité des actions et des publics, voici des exemples concrets d’actions de prévention destinés à ces publics spécifiques.

1. À propos des enfants
Les acteurs du surendettement proposent des outils aux enfants dans lesquels ils leur parlent de consommation responsable à travers les notions de besoins et d’envies, l’impact de la publicité et des représentations liées la valeur de l’argent. L’objectif est de permettre aux enfants de mieux appréhender la consommation telle qu’elle se décline au travers de la société dans laquelle ils vivent, de les mettre en garde par rapport aux dangers de consommer de manière inappropriée au regard de ses revenus et de les inviter à évoquer la question de la consommation responsable avec leurs parents.
Le Centre de référence du Hainaut (Créno) propose par exemple aux écoles de l’enseignement primaire moyen et supérieur qui le souhaitent de leur mettre à disposition une malle pédagogique intitulée «Coffre au trésor». Cette malle regorge de livres et de jeux en rapport avec la consommation et l’énergie ayant pour objectif le développement de l’esprit critique des enfants quant à la consommation et la publicité. http://www.creno.be
Constatant que les problèmes d’argent sont souvent difficilement vécus au sein des familles, le Centre de référence de la province de Luxembourg (GAS) a imaginé, dans le cadre du projet européen Interreg auquel participe également la VSZ, un recueil de contes intitulé Des contes plein les poches permettant aux familles d’aborder le sujet avec leurs enfants. http://www.gaslux.be
Une autre action à souligner, dans le nord du pays cette fois, est celle de la Haute École catholique du Limbourg, qui a conçu, avec le soutien de la KBC Banque & Assurance, une plateforme de jeu en ligne à destination des élèves du 3e degré de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire. Ce jeu intitulé «Skillville» est un exercice de simulation de scènes de la vie quotidienne autour de thématiques telles que l’éducation financière, la gestion d’un budget, l’actualité politique et invite à la réflexion sur les besoins essentiels, les charges de la vie courante et une consommation réfléchie. Ce jeu est utilisé par différentes écoles primaires, secondaires ou de l’enseignement spécialisé. http://www.skillville.be/app/index.php

2. À propos des adolescents
L’adolescence est un moment clé pour amener les jeunes à poser un regard critique sur la consommation et ses différents mécanismes, mais également pour les conscientiser sur l’importance d’une consommation responsable afin d’éduquer les consomm’acteurs de demain autour de thématiques telles que l’impact de la publicité et parfois de ses pièges, les dangers et dérives que peuvent engendrer des crédits contractés inconsidérément, l’importance d’établir un budget et la valeur attribuée à l’argent.
En Wallonie, les quatre centres de référence organisent, à la demande des écoles secondaires, des animations ludiques dans les classes sur le budget, la publicité, la consommation, le surendettement, les crédits et les ouvertures de crédit. www.creno.be, www.gaslux.be, www.cdr-gils.be, www.medenam.be.
Lors d’une animation autour de la consommation des jeunes, le centre de référence de la province de Luxembourg (GAS) utilise par exemple le film Arakabus, qu’il a réalisé en partenariat avec une AMO (Aide en milieu ouvert), et Miroir Vagabond, une asbl d’éducation permanente locale, afin de sensibiliser les jeunes à la problématique de la pauvreté infantile. Étroitement liée au surendettement, la pauvreté a en effet un impact sur les chances de réussite de chacun et, par manque d’argent, les enfants se voient volontairement ou non exclus des activités scolaires, mais également rejetés de groupes sociaux. http://www.tvlux.be/video/culture/cinema/arakabus_20056.html

Au nord du pays, l’asbl flamande EW32 a conçu un jeu de rôle multimédia à destination des élèves de fin de secondaire. Dans ce jeu urbain, No credit, Game Over!, les jeunes réunis par groupes de trois ont trois heures pour se mettre dans la peau d’un personnage fictif surendetté, isolé et au chômage, et trouver des structures de contact à travers leur ville: bureau d’aide à l’emploi, organisations syndicales, services de mutualité, services de médiation de dettes… L’objectif du jeu est de trouver des solutions à leur situation. Par l’intermédiaire de ce jeu, les jeunes font connaissance avec les différents services d’aide sociale de leur ville et découvrent les rôles et fonctions de chacun, ce qui leur permettra si nécessaire de prendre plus rapidement contact avec ces structures dans le futur. http://www.ew32.be/featured/nocreditgameover_basisinfo/

3. À propos des personnes présentant des déficiences
Le surendettement touche également les personnes présentant des déficiences mentales ou physiques pouvant être victimes d’une consommation non réfléchie ou de la manipulation de vendeurs sans scrupule.
Constatant une certaine récurrence de problèmes dans les questions concernant les ouvertures de crédit, les difficultés financières et la problématique de surendettement, l’association Épée, un service social d’accompagnement et d’interprétation destiné aux sourds et malentendants, a fait appel au centre de référence de la province de Namur (Medenam) pour concevoir un outil spécifique adapté à leurs bénéficiaires, à savoir des capsules vidéo en langue des signes afin de les sensibiliser au surendettement, au budget et aux dangers du crédit facile.

4. À propos des personnes surendettées
La prévention vise également les personnes surendettées en vue de prévenir une éventuelle rechute. L’Observatoire du crédit et de l’endettement et le Vlaams Centrum Schuldenlast réalisent des études annuelles pour dresser le profil type des personnes surendettées suivies par les services de médiation de dettes. Il ressort de ces études que près de 25% de ces personnes bénéficient de revenus professionnels et que, dans plus d’un tiers des cas, le surendettement est principalement causé par un accident de la vie ayant rapidement fait basculer l’équilibre budgétaire.
Depuis deux ans, le Centre d’appui à la médiation de dettes a lancé, en collaboration avec des médiateurs de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale, un groupe de soutien face au surendettement. Se réunissant à concurrence de deux fois par mois autour d’un animateur, ce groupe est un lieu de parole et d’écoute libre, sans jugement, destiné à aider les personnes à traverser l’épreuve du surendettement. Au fil des réunions, les participants se dévoilent et disent trouver un véritable soutien auprès d’une seconde famille. Malheureusement, alors que ce type de groupes de soutien était en passe de se multiplier sur le territoire bruxellois (à Saint-Josse, Ixelles et Watermael-Boisfort), il semble que les fonds viennent à manquer pour poursuivre cette dynamique.

En Wallonie et selon le même type de démarche, il existe des groupes d’appui de prévention du surendettement où des personnes ayant connu le surendettement ou désirant discuter autour des thématiques de la consommation se réunissent régulièrement à l’initiative des services de médiation de dettes.

5. À propos des demandeurs d’emploi
L’Observatoire du crédit et de l’endettement est régulièrement invité par le Forem à dispenser une animation sur le budget et la consommation aux personnes ayant récemment perdu leur emploi et se trouvant dans des cellules de reconversion. Ces structures mises en place en collaboration avec le Forem et les instances syndicales accueillent des travailleurs récemment licenciés à la suite d’un licenciement collectif dans le but de leur permettre de retrouver un emploi ou de se former à d’autres métiers. En parallèle à leur accompagnement individuel, les anciens travailleurs sont également invités à participer à des séances d’information collective dont une des thématiques est consacrée au budget et au surendettement. En effet, suite à la chute de leurs revenus et au déséquilibre budgétaire qui s’ensuit, il est nécessaire d’informer ces personnes de l’importance d’établir un budget, de leur expliquer comment modifier leurs habitudes de consommation, d’insister sur le fait que les crédits ne sont pas une solution pour compenser une perte de revenus durable et sur les réactions à avoir en cas de difficultés financières. Dans les formulaires d’évaluation, les participants estiment, la plupart du temps, que ces séances sont utiles tant pour la conception du budget que pour attirer leur attention concernant le recours inconsidéré au crédit.
Le Centre de référence de Liège (GILS) a réalisé une série de capsules vidéo conçues en collaboration avec l’Instance Bassin enseignement qualifiant-formation-emploi de Verviers. Ces vidéos illustrent le parcours de vie de la famille Duchemin, une famille ordinaire qui va petit à petit sombrer dans la spirale du surendettement. Cet outil, mis à la disposition des professionnels de l’insertion socioprofessionnelle, a pour objectif de permettre une meilleure compréhension de la problématique du surendettement et d’orienter plus rapidement des personnes en difficultés financières vers des services spécifiques et des professionnels. Informations: http://www.cdr-gils.be/

6. À propos des travailleurs
L’Observatoire est par ailleurs porteur du projet «Prévention et lutte contre le surendettement, un coup de pouce à l’insertion socio-économique» cofinancé par la Wallonie et le Fonds social européen pour les années 2014-2020. Les actions de l’Observatoire dans le cadre de ce projet s’adressent à deux types de publics distincts. D’une part, à des personnes-relais étant en contact par leur fonction et leurs responsabilités avec des travailleurs (délégués du personnel, gestionnaires des ressources humaines…) pour les informer de manière adéquate afin qu’elles puissent relayer ou mener des actions préventives. D’autre part, à des bénéficiaires directs, c’est-à-dire des personnes se trouvant peut-être dans une situation de surendettement afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits, prennent conscience de leurs obligations, réagissent plus rapidement et adoptent des comportements adéquats pour éviter ou résoudre une situation de surendettement.
Pour les personnes-relais, il ressort des évaluations qu’en moyenne 75% des participants estiment que le suivi de cette formation aura des répercussions positives sur leur travail. Il ressort également d’une évaluation ex post («après les faits») que 80% des répondants disent avoir modifié leur propre comportement de consommateur.

7. À propos du grand public adulte
En 2012, la Wallonie, avec la collaboration de l’Observatoire, a créé un portail intitulé «Régler son compte au surendettement» disponible à l’adresse: http://socialsante.wallonie.be/surendettement. Ce portail a été conçu de manière à intéresser à la fois les personnes actuellement en situation de surendettement, leurs proches voulant les conseiller, les personnes vivant une situation financière difficile temporaire ainsi que toute personne ayant une question concernant un paiement ou une facture.

Dix-sept associations francophones et néerlandophones se réunissent également chaque année le dernier samedi du mois de novembre dans le cadre de la Journée sans crédit. Celle-ci a pour objectif à la fois de sensibiliser les consommateurs aux dangers du crédit facile, mais également de formuler des recommandations aux pouvoirs publics pour améliorer la protection des consommateurs les plus fragilisés. Parmi les thématiques des dernières campagnes, on peut retrouver «Ne signez pas n’importe quoi» qui attirait l’attention des consommateurs sur les pratiques commerciales où la signature d’un contrat peut être très problématique et peut renforcer les risques de surendettement, et «Attrape-moi si tu peux», qui voulait informer les consommateurs afin qu’ils soient plus résistants face aux pièges tendus par les sociétés de crédit. Informations: http://www.journeesanscredit.be.

Le travail des acteurs en matière de prévention du surendettement a encore du chemin à parcourir et, au regard de la situation socioéconomique, c’est bien un secteur dans lequel l’investissement des pouvoirs publics mais aussi des acteurs privés doit rester important, et même s’intensifier.

Aurélie Jourdain,
chargée de recherches et de projets de prévention
à l’Observatoire du crédit et de l’endettement