Attention, jurisprudence fraîche ! (mai- juin 2015)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD) que nous avons sélectionnées afin de vous éclairer sur les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. Elles ont ensuite fait l’objet d’une recension de manière synthétique ou sous forme d’extraits, rédigée par l’Observatoire du crédit et de l’endettement.

Cour constitutionnelle, 21 mai 2015 (n°67/2015)

Le fait de ne pouvoir introduire une nouvelle demande de règlement collectif de dettes dans un délai de cinq ans consécutif à une décision de révocation n’est pas inconstitutionnel.

L’article 23 de la Constitution interdit de réduire une protection offerte dans le passé par le législateur au justiciable s’il n’y a pas de nécessité légitime ou si la réduction du niveau de protection est disproportionnée par rapport à l’objectif que poursuivait le législateur. Or, l’article 78 de la loi du 14 janvier 2013 portant des dispositions diverses relatives à la réduction de la charge de travail au sein de la justice a modifié l’article 1675/2 du Code judiciaire en étendant à tous les motifs de révocation l’impossibilité d’introduire une nouvelle demande de règlement collectif lorsqu’une précédente procédure en règlement collectif avait été révoquée (art. 1675/15 du Code judiciaire). Auparavant, cette impossibilité n’intervenait pas dans l’hypothèse où la procédure avait été révoquée parce que le débiteur requérant n’avait pas respecté une des obligations que lui imposait cette procédure sans qu’il ait agi frauduleusement. Il s’agissait des cas où le requérant avait organisé son insolvabilité, formulé intentionnellement de fausses déclarations, remis des documents inexacts pour obtenir ou conserver le bénéfice de la procédure ou augmenté son passif ou diminué son actif de manière fautive. Il en est désormais ainsi. La cour du travail s’est dès lors demandé si cette modification n’enlevait pas au requérant une protection (le règlement collectif de dettes) sans nécessité légitime ou de manière disproportionnée eu égard au but qu’avait le législateur lorsqu’il a introduit la procédure de règlement collectif dans notre arsenal judiciaire. La Cour constitutionnelle a répondu par la négative après avoir appliqué ses critères habituels lui permettant de conclure à la conformité ou à l’absence de conformité d’une disposition légale (en l’occurrence l’article 78 de la loi du 14 janvier 2013). En effet, la Cour a examiné les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 14 janvier 2013: « Le législateur, partant du constat que le régime qui existait auparavant a entraîné une augmentation considérable de la charge de travail des tribunaux du travail, a estimé qu’il s’indiquait de prendre des mesures visant à réduire cette charge de travail » (B.15). Le législateur a donc voulu empêcher que des débiteurs réintroduisent des demandes de règlement collectif uniquement pour continuer à jouir de ses avantages et, par l’allègement de la charge de travail des tribunaux, conserver le bénéfice de cette procédure au profit des débiteurs « qui collaborent de bonne foi ». Le but de la loi du 14 janvier 2013, d’intérêt général, était donc légitime et la mesure qu’elle comportait (limitation de la possibilité d’introduire une nouvelle demande de règlement collectif) était pertinente pour atteindre ce but. Par ailleurs, la Cour considère que la mesure introduite par la loi susmentionnée n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi, étant donné que le non-respect par le débiteur de ses obligations n’implique pas automatiquement la révocation. Effectivement, le juge – qui doit être indépendant et impartial – doit apprécier la gravité du manquement en tenant compte des circonstances dans lesquelles celui-ci s’est produit et « les faits doivent en tout cas présenter un certain degré de gravité pour pouvoir justifier une révocation » (B.13). De surcroît, étant convié à se présenter à l’audience au cours de laquelle sera débattue cette sanction, le débiteur peut faire valoir des circonstances l’ayant empêché de respecter ses obligations. Enfin, le juge doit rechercher s’il n’y a pas plutôt lieu de réviser ou d’adapter d’un plan de règlement eu égard à des faits nouveaux.

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C.T. Liège (10e ch. – division de Liège), 5 mai 2015, RG n°2014/AL/550

Même s’il est partie à la procédure de règlement collectif de dettes, l’administrateur provisoire des biens du débiteur requérant doit démontrer qu’une décision déchargeant la personne qui s’est constituée sûreté personnelle en faveur de ce requérant lui cause concrètement un préjudice pour pouvoir former un appel contre cette décision.

La mère du débiteur requérant avait pris l’engagement comme co-emprunteuse (codébitrice solidaire) de garantir une ouverture de crédit et un prêt à tempérament contracté par ce dernier, le montant prêté dans le cadre de ce dernier prêt profitant réellement à une tierce personne. Lors de l’homologation du projet de plan de règlement amiable en faveur du débiteur requérant, le tribunal du travail de Liège avait déchargé sa mère de son engagement de sûreté personnelle (art. 1675/16bis, §4, alinéa 1er du Code judiciaire). Le débiteur requérant souffrait d’une invalidité à 80 % et un administrateur provisoire de biens avait été désigné pour gérer ses biens et ses revenus. Cet administrateur provisoire – qui n’était pas le médiateur de dettes – a formé appel de cette décision. La cour du travail a cependant jugé ce recours non recevable. Certes, « par application du droit commun, l’appel contre le jugement statuant sur la demande de décharge peut être interjeté par toute partie à la cause en première instance (et) donc le débiteur en médiation ou, en l’espèce, l’administrateur provisoire qui a donc qualité en l’instance ». Mais il faut aussi que la partie qui forme ce recours ait un intérêt concret, personnel, direct, né et actuel à le faire (art. 17 et 18 du Code judiciaire). L’existence d’un tel intérêt implique en fait que la décision attaquée cause un tort à la partie qui interjette appel au moment où celui-ci est formé. Cet intérêt fait défaut dans le chef de l’administrateur provisoire de biens. En effet, il n’aurait rien gagné matériellement au fait que la mère du débiteur requérant ne soit pas déchargée de son engagement: la somme que le débiteur n’aurait pas dû destiner au remboursement du prêteur (parce qu’elle aurait été prise en charge par la co-emprunteuse) aurait été réaffectée au paiement d’autres créanciers, étant entendu que le plan de règlement amiable ne permettait pas le remboursement de la totalité de l’endettement. En outre, ayant payé le créancier et n’ayant pas personnellement profité du prêt, la mère du requérant pouvait exiger de celui-ci le remboursement de ce qu’elle aurait dû décaisser (art. 1216 du Code civil). De toute façon, même si elle avait déclaré l’appel recevable, la Cour ne l’aurait pas jugé fondé. Elle constate effectivement que la mère du débiteur requérant, tout comme ce dernier, ne pouvait intellectuellement prendre conscience de la portée de son engagement et que le prêt a été sollicité par le courtier en crédit et a été octroyé alors que le débiteur requérant et sa mère, allocataires sociaux, n’avaient pas individuellement la capacité financière de le rembourser. De plus, une première demande de prêt, introduite par le débiteur requérant seul, avait d’ailleurs été refusée; le prêt en cause a été accordé au débiteur requérant à la suite d’une seconde demande le renseignant comme résidant à une adresse différente de celle de sa mère, sans que les domiciles de l’un et de l’autre aient été vérifiés. La Cour constate aussi que l’administrateur provisoire « ne donne aucun élément qui permettrait de considérer que [la mère du requérant] aurait bénéficié directement ou indirectement d’un quelconque avantage lié à ce prêt » et « se limite à une présomption de l’intérêt économique direct ou indirect (dans le chef de ladite personne) » et que « cette présomption est infirmée par les faits analysés ».

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C.T. Liège (10e ch. – division de Liège), 12 mai 2015, RG n°2015/AL/157

L’égalité de traitement des créanciers dans le cadre d’un plan de règlement judiciaire doit céder devant le paiement préférentiel des frais et honoraires du médiateur et l’apurement d’une dette alimentaire qui ne peut plus faire l’objet d’une remise.

Préalablement à la décision d’admissibilité, le débiteur requérant n’avait pas payé des pensions alimentaires. Or, depuis le 1er août 2014 – date d’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2014 qui a modifié l’article 1675/13, §3 du Code judiciaire, les dettes alimentaires ne peuvent plus faire l’objet d’une remise de dettes en principal dans le cadre d’un plan de règlement judiciaire. Le tribunal du travail de Liège avait arrêté un plan judiciaire d’une durée de 39 mois, fixant le point de départ de celle-ci préalablement à la décision du tribunal, prévoyant un remboursement seulement partiel du principal de l’endettement et mettant une partie des frais et honoraires du médiateur de dettes à charge du Fonds de traitement du surendettement. La créancière alimentaire avait interjeté appel de cette décision, se plaignant de ce que le plan ne prévoyait pas le paiement préférentiel et intégral de sa créance (incompressible), de telle sorte que, au terme du plan, le débiteur devrait encore supporter le remboursement d’une partie de celle-ci (incompressible) et que le plan en question ne permettrait donc pas l’assainissement de sa situation financière. Le médiateur de dettes estimait, quant à lui, que l’état du compte de la médiation autorisait le paiement de l’ensemble de ses frais et honoraires. La cour du travail suit le raisonnement du médiateur et considère qu’effectivement ses honoraires et frais doivent être prélevés sur le compte de la médiation en rappelant que le Code judiciaire prévoit leur paiement par préférence (article 1675/19, §2, alinéa 1er), le caractère incompressible de la dette alimentaire ne pouvant porter atteinte à ce principe, et ne prévoit en toute hypothèse l’intervention du Fonds qu’en cas d’impossibilité de payer ces frais et honoraires dans un délai raisonnable (article 1675/19, §2, alinéa 4). Par ailleurs, selon la cour du travail, le caractère incompressible de toute dette alimentaire, même celle née préalablement à l’admissibilité, rend caduque la position de la Cour de cassation résultant de son arrêt du 27 mai 2013. Suivant cette décision, l’obligation pour le juge de veiller, lorsqu’il établit le plan, au remboursement prioritaire des dettes qui mettent en péril le respect de la dignité humaine du débiteur et de sa famille (article 1675/13, §6) ne s’appliquait pas aux dettes alimentaires dues à des personnes qui ne résident pas avec le débiteur requérant. Si le plan ne permet pas le remboursement total des dettes alimentaires, « le recouvrement du solde de ces dettes, désormais soumis au droit commun, serait susceptible d’emporter une saisie totale des ressources du débiteur » (après la fin de la procédure de règlement collectif). L’objectif de la procédure de règlement collectif ne serait dès lors pas atteint. Par conséquent, on doit dorénavant considérer que l’existence d’une dette alimentaire peut mettre en péril la dignité humaine du débiteur et de sa famille. Dans le cas qui occupe la Cour, il convient de prévoir son paiement intégral et immédiat, le solde du compte de la médiation (même en tenant compte du paiement préalable des frais et honoraires du médiateur) le permettant.

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C.T. Liège (14e chambre – division de Namur), 18 mai 2015, RG n°2015/BN/5

Le fait pour le requérant en règlement collectif de dettes d’avoir perçu indûment des revenus de remplacement ne signifie pas automatiquement qu’il a organisé son insolvabilité et qu’il ne peut être déclaré admissible à cette procédure.

L’endettement du débiteur requérant était constitué par des allocations de chômage qui lui avait été indûment payées et qu’il devait donc rembourser, pour avoir été radié des registres de la population, avoir été incarcéré sans avoir indiqué ce fait sur sa carte de contrôle ou avoir perçu des allocations calculées au taux isolé en lieu et place d’allocations calculées au taux cohabitant. Le tribunal du travail de Liège a déclaré sa demande de règlement collectif non admissible, estimant que le débiteur requérant avait « persisté dans des fraudes à la sécurité sociale, dont il ne pouvait que savoir qu’il créait une situation qui organiserait manifestement son insolvabilité ». La cour du travail en juge autrement. Elle rappelle tout d’abord que « la perception frauduleuse d’allocations et d’indemnités sociales peut être la cause d’une organisation d’insolvabilité » et que « la non-admission à la procédure de règlement collectif de dettes [ne peut être vue comme] une deuxième sanction, s’ajoutant à celles décidées par l’ONEM ». Car « une ordonnance de non-admission résulte du constat que les conditions d’admission ne sont pas réunies. Par ailleurs, les mécanismes de récupération mis en œuvre par les institutions de sécurité sociale sont conformes à la règle et au droit commun des saisies. Le droit des sûretés est lui-même subordonné au principe de dignité humaine ». La Cour tient cependant compte de ce que: – « la procédure de médiation de dettes est demandée pour participer à un processus de réinsertion. Cette technique judiciaire de médiation de dettes est effectivement ‘structurante’, ce que précise l’article 1675/3, al. 3 du Code judiciaire »; – « la jurisprudence en matière de règlement collectif de dettes doit être cohérente dans le cadre d’une politique judiciaire générale, le cas échéant coordonnée avec les institutions sociales, tels les CPAS »; – « il convient aussi de protéger des débiteurs malheureux et de bonne foi contre certains aléas inhérents à des processus amiables de recouvrement de dettes, non contrôlés par un juge »; une protection doit aussi être garantie contre les difficultés trop souvent constatées ensuite de la pression exercée par certains mandataires de créanciers, ceux-ci contribuant parfois à développer le surendettement »; – « l’affirmation fondamentale d’un droit à la dignité humaine se distingue en cela que c’est la protection de l’aspect individuel qui domine, cet intérêt s’inscrivant dans un cadre collectif ». La Cour cerne également les contours de l’organisation d’insolvabilité: 1. « la cause délictuelle ou quasi délictuelle de l’endettement ne peut constituer un obstacle à l’admission… À titre d’exemple, une condamnation pénale n’empêche pas un débiteur d’être admis au bénéfice de la procédure »; 2. cependant, « le juge doit vérifier si le débiteur n’a pas manifestement organisé son insolvabilité »; « le juge peut déclarer une demande inadmissible pour cause d’organisation d’insolvabilité lorsque le requérant a accompli un ou plusieurs actes dans l’intention de se rendre insolvable »; « l’introduction de la requête tendant à obtenir le règlement collectif de dettes peut établir la volonté de se rendre insolvable: la procédure est alors en soi le révélateur d’une organisation d’insolvabilité », étant entendu que cette procédure « ne peut être une entrave à des procédures d’exécution forcée ». En l’occurrence, la Cour exclut l’organisation d’insolvabilité au motif que: – « les sommes dues aux institutions de sécurité sociale résultent certainement de l’extrême précarité (du requérant) et de la perte de ses repères sociaux »; – le requérant ne cherche pas à échapper au paiement de ses dettes par le biais de la procédure de règlement collectif de dettes; – « la procédure de règlement collectif de dettes est au cœur d’un dispositif programmé par les instances sociales compétentes », à savoir un CPAS et une maison d’accueil, qui « vise à la réinsertion sociale, par le travail notamment » (que le requérant vient de trouver) et qui favorisera le remboursement des dettes.

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C.T. Mons (10e ch.), 2 juin 2015, RG n°2015/BM/4

Le fait pour le requérant en règlement collectif de dettes d’être propriétaire d’un ou de plusieurs immeubles ne signifie pas automatiquement que son surendettement ne peut être qualifié de durable et structurel et qu’il ne peut être déclaré admissible à cette procédure.

La débitrice requérante était propriétaire d’une maison d’habitation et d’un hangar avec terrain à bâtir. Le tribunal du travail de Charleroi a déclaré sa demande de règlement collectif de dettes non admissible, estimant que la vente des biens susmentionnés permettrait le remboursement de ses dettes dans un délai raisonnable et, dès lors, que son surendettement n’avait pas un caractère durable. La cour du travail ne partage pas cette opinion. « Le juge peut, pour apprécier si un débiteur se trouve, de manière durable, dans l’incapacité de payer ses dettes, tenir compte de l’existence d’un actif immobilier et décider que le caractère durable du surendettement n’existe pas lorsqu’il considère que la vente de l’immeuble permettra au débiteur d’apurer l’ensemble de ses dettes tout en lui garantissant, ainsi qu’à sa famille, de mener une vie conforme à la dignité humaine (Cass., 15/10/2010, www.juridat.be). » Toutefois, le patrimoine immobilier de la requérante a été saisi. Il importe dans ces conditions de se référer à sa valeur vénale estimée dans le cadre d’une vente publique et non à celle estimée lors de l’octroi du prêt hypothécaire ayant financé l’achat de ces biens ou dans le cadre d’une vente de gré à gré. En l’espèce, la Cour constate que la première de ces valeurs vénales est nettement moindre que la seconde ou la troisième et qu’une vente publique sera loin de permettre le remboursement du créancier hypothécaire. Par ailleurs, le montant qui pourrait être mis à la disposition des créanciers, une fois les charges courantes déduites des revenus de la requérante, serait très minime et rendrait improbable tout remboursement à court ou à moyen terme du solde impayé de la créance hypothécaire.

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Didier Noël, directeur scientifique de l’Observatoire du crédit et de l’endettement