Dossier n°47 : Une centrale positive élargie : la boîte de Pandore ? Refermer la boîte

Dans la mythologie grecque, Prométéhée vola le feu aux Dieux pour le donner aux hommes. Pour se venger, Zeus ordonna à Vulcain de créer une femme faite de terre et d’eau. Elle reçut des Dieux de nombreux dons : beauté, flatterie, amabilité, adresse, grâce, intelligence, mais aussi l’art de la tromperie et de la séduction. Ils lui donnèrent le nom de Pandore, qui en grec signifie « doté de tous les dons ». Elle fut ensuite envoyée chez Prométhée. Epithémée, le frère de celui-ci, se laissa séduire et finit par l’épouser. Le jour de leur mariage, on remit à Pandore une jarre dans laquelle se trouvaient tous les maux de l’humanité. On lui interdit de l’ouvrir. Par curiosité, elle ne respecta pas la condition et tous les maux s’évadèrent pour se répandre sur la Terre. Seule l’espérance resta au fond du récipient, ne permettant donc même pas aux hommes de supporter les malheurs qui s’abattaient sur eux. C’est à partir de ce mythe qu’est l’expression « boîte de Pandore » qui symbolise la cause d’une catastrophe…1

 

012-13

Accord de gouvernement 2014-2019, 6.3.3. Consommateurs et fonctionnement du marché, p.129 : « Le gouvernement adoptera une politique proactive en vue d’éliminer la problématique du surendettement. La banque de données de la Centrale des crédits aux particuliers (CCP) sera ainsi étendue par l’introduction de davantage de types de crédit (énergie, télécom, impôts des personnes physiques, loyer, etc.) afin de protéger l’entrepreneur, mais surtout le consommateur contre le surendettement. Les consommateurs libérés de leurs dettes seront plus rapidement retirés de la CCP. Dans le souci de protéger les locataires défaillants contre le surendettement, le gouvernement permettra que le retard locatif objectif suite à une condamnation définitive en justice de paix soit mentionné dans le fichier de la Centrale. »

Durant les six derniers mois, Hein Lannoy et David Bervoets, respectivement directeur de la cellule Protection du consommateur et conseiller au cabinet du ministre de l’Économie, Kris Peeters, ont auditionné une série d’interlocuteurs afin d’entendre leurs points de vue à propos de la question de l’élargissement de la Centrale des crédits aux particuliers. Et pourtant, depuis, rien n’émerge de ces entretiens. Cet article 6.3.3. aurait été inséré expressément à la demande de la NVA, le MR n’y étant pas opposé. Aujourd’hui c’est un représentant CD&V qui doit s’y coller et tous les arguments qui avaient déjà été opposés à un tel élargissement remontent à la surface. Lors dans son allocution lors du XXVe colloque annuel de l’Observatoire du crédit et de l’endettement, en décembre 2014, le représentant du ministre Kris Peeters mettait pourtant le doigt sur cette volonté d’élargir les données relatives à des dettes de biens de première nécessité dans la CCP.

Rétroactes

Ce n’est en effet pas la première fois que le débat autour de l’élargissement de la CCP revient sur le tapis. Cela fait douze ans que le volet positif de la CCP a été mis sur pied, ne se limitant plus à enregistrer les seuls crédits défaillants, mais l’ensemble des crédits à la consommation et les crédits hypothécaires. Pour chaque contrat, le prêteur est prié de transmettre un ensemble de données prévues par la loi (identité de l’emprunteur, du prêteur et, selon le type de crédit, le montant total à rembourser, les modalités de remboursement et la durée du contrat.

Dans un article retraçant cette évolution, Peter Neefs, gestionnaire de la CCP, expliquait la logique d’une centrale positive reprenant l’ensemble des crédits d’une personne : « L’objectif de l’élargissement de la Centrale était d’éviter que les personnes à la limite de leur capacité de remboursement ne prennent le crédit de trop et l’on peut dire qu’après l’entrée en vigueur du volet positif, le nombre de crédits défailllants a diminué de manière constante jusqu’en 2008. On peut valablement penser que la Centrale a joué un rôle dans cette diminution des défauts car au moment de sa mise en œuvre, les défauts étaient en augmentation et ont commencé à baisser dès l’instauration du volet positif. Mais ce n’est sans doute pas la seule cause. La bonne tenue de l’économie a eu un impact positif. Depuis le début de la crise fin 2008, le nombre de défauts de paiement augmente à nouveau. Cela veut bien dire que ce n’est pas la Centrale qui va résoudre tous les problèmes. Elle peut aider à éviter des défauts de paiement, mais l’économie jour un rôle très important dans ces évolutions »2.

Si la Centrale positive belge renseigne sur les produits crédits, l’existence de sûretés personnelles ou encore les règlements collectifs en cours, d’autres bureaux de crédit en Europe collationnent des informations sur des données telles que les défauts en matière de télécommunications, de loyers impayés ou encore de dettes d’énergie. À l’inverse, la France n’a jamais franchi le pas d’une centrale positive, regroupant dans une banque de données les seuls défauts de paiement en matière de crédits (voir page 20).

Un pied dans la porte

En 2011, une étude sur le lien entre les retards de paiement en matière de téléphonie mobile et ceux en matière de crédit était diligentée par le ministre fédéral en charge à l’époque de la Protection des consommateurs de l’époque, Paul Magnette. Partant du croisement du fichier Préventel (fichier privé tenu par plusieurs opérateurs de télécommunications, dont Base, Mobistar et Proximus) et des données de la CCP en matière de défaillances, cette étude concluait à une certaine corrélation entre les publics repris dans ces deux fichiers. Comme l’expliquait alors Camille Dümm, responsable des centrales des crédits à la BNB, « Cette étude, rendue publique en mars 2011 et qui est en ligne sur notre site1, révélait effectivement une telle corrélation, mais ce n’est pas à la Centrale de décider des données qui doivent être intégrées dans la base de données. Une telle décision relève du débat politique et nous n’avons pas à nous prononcer sur de telles questions »3.

À l’époque, cette corrélation avait déjà entraîné des débats sur l’élargissement de la Centrale, à tout le moins pour ce qui concerne les dettes de téléphonie mobile, mais aussi d’autres dettes comme les dettes d’énergie, fiscales ou de loyer. Avec des arguments pour et contre. Ce qui est étonnant, c’est le fait que les prêteurs, très réticents au moment de l’instauration de la centrale négative, ainsi que lors de la mise en place du fichier positif en matière de crédits aux particuliers, sont aujourd’hui plutôt preneurs d’un élargissement, même s’ils ne veulent pas se montrer trop gourmands (voir pages 14-15)

Et pourtant…

Si les prêteurs, et notamment l’Union professionnelle du crédit, se déclarent intéressés, d’autres associations, notamment de consommateurs, actives sur le terrain de l’aide aux personnes surendettées s’inquiétent, elles, à nouveau d’un tel élargissement à propos de données portant sur des biens de première nécessité et constitutifs de droits fondamentaux et ont fourbi les arguments au cabinet Peeters (voir pages 17-19). Une note du Réseau Financement alternatif (aujourd’hui Financité) en date de juin 2009 donnait l’avis suivant : « Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que l’information contenue dans les fichiers négatifs ne traite pas de la capacité budgétaire : on n’apprend rien quant à la capacité financière du client face à ses engagements futurs (…). (Par contre) le risque lié à la multiplication des fichiers négatifs et de leur consultation partagée consiste en l’exclusion en chaîne que cela peut provoquer, entre le téléphone, l’énergie, le logement. Peut-on dès lors imaginer une société dans laquelle une dette puisse entraîner une exclusion en chaîne et limiter l’accès à des services et bien essentiels »4. Et si le cabinet Peeters avait ouvert la boîte de Pandore et à présent essayait de la refermer ?

Nathalie Cobbaut

1 Définition reprise sur le site www.linternaute.com

2 Voir Échos du crédit et de l’endettement n°34, avril/mai/juin 2012, p.6

3 Voir ECE, op.cit., p.6

4 Olivier Jérusalmy, « Centrale des crédits aux particuliers : quels élargissements souhaitables pour une meilleure prévention du surendettement ? », Réseau Financement alternatif, juin 2009, à consulter sur le site www.financite.be