AB-REOC se penche sur la fracture numérique

L’Association belge de recherche et d’expertise des organisations de consommateurs (AB-REOC ex-CRIOC) a organisé en novembre dernier une conférence sur la fracture numérique et l’avenir des droits numériques. On pourrait se dire que le fossé n’est pas si grave et que les choses évoluent dans le bon sens. Pourtant le risque de laisser des publics, pas si restreints, sur le bord de la route est bien réel.

Dans le dernier baromètre 2022 édité par la Fondation Roi Baudouin[1], les chiffres concernant la vulnérabilité numérique au sein de la population belge n’ont jamais été aussi élevés. On aurait pu croire que la période Covid et surtout les confinements ayant mené au télétravail et à l’école en ligne auraient amélioré le numérique pour tous. Mais lors de sa dernière enquête, Statbel a élargi le champ de ces questions en interrogeant notamment les Belges sur leur compréhension des mesures de sécurité digitale, telles que le fait de désactiver la géolocalisation d’un appareil ou de déjouer les cookies. Concernant ces chiffres relatifs à la sécurité, les jeunes, pourtant considérés comme étant familiers de toutes ces technologies numériques, ne s’en sortent pas si bien que cela et moins encore les jeunes garçons que les jeunes filles dont le score est meilleur à cet égard. Il en ressort que 46% de la population belge présentent une vulnérabilité numérique (39% d’usagers faiblement compétents et 7% de non-utilisateurs).

Or, comme le relèvent Leen De Cort et Virginie Van Overbeke, de l’AB-REOC, dans une étude présentée lors de cette conférence[2], «la société numérique est partout: dans nos transports (p. ex. les apps de la STIB ou SNCB), dans nos contacts avec notre ville et les entités locales (services communaux, stationnement), dans nos dossiers médicaux (MaSanté, app des mutuelles), avec notre banque (apps bancaires, réduction des guichets physiques et du nombre d’agences), au travail (télétravail, intranet, fiches de salaire numériques), à l’école (cours à distance ou inscriptions), pour accéder à la connaissance et à la culture et bien entendu dans notre sphère privée (groupes WhatsApp familiaux, réservations au restaurant). Internet est donc indispensable et est devenu un outil qui doit être accessible à tous».

Trois degrés de fracture numérique

Pourtant cet accès au numérique n’a rien d’une évidence. Lors de cette matinée de réflexion, Virginie Van Overbeke a d’abord passé en revue les différents types de fractures, auxquels sont associées des inégalités entre individus. «Le premier degré concerne la fracture d’accès qui renvoie au fait de disposer d’équipements numériques. Elle est chez nous de 8% et donc inférieure à la moyenne européenne qui est de 9,5%, avec une évolution positive puisqu’en 2014, la fracture numérique d’accès se situait aux alentours de 13% en Belgique. Il faut aussi distinguer selon le type de matériel à disposition. Dans certains ménages, généralement à plus faibles revenus, seul un smartphone est disponible pour se connecter. La qualité de la connexion et des logiciels est également à prendre en compte. L’âge de l’appareil et des softwares jouent un rôle important, tout comme la qualité de la connexion. En Belgique, 31.000 ménages n’ont pas un accès à internet à une vitesse de un mégabyte par seconde, ce qui est nécessaire pour consulter internet et rédiger des mails. Par ailleurs, selon la localisation du citoyen sur le territoire, cette qualité n’est pas identique partout.»

Autre fracture, du deuxième degré cette fois: celle des compétences. Comme on l’a déjà relevé, cette vulnérabilité numérique a augmenté dans les chiffres du dernier Baromètre de la FRB en raison des exigences de la Commission européenne, en matière de compétences de sécurité. Elle se marque d’autant plus chez des individus n’ayant qu’un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur et ceux disposant de moins de 1.400 € mensuels. Autre difficulté: le fait que ces compétences ne sont pas actualisées. Or les exigences dans ce domaine évoluent de manière extrêmement rapide. On constate aussi un nombre d’«éloignés» du numérique plus forte en Wallonie qu’en Flandre (32% contre 18%). Aux compétences numériques proprement dites, on peut aussi ajouter les compétences des citoyens à comprendre le français écrit. En effet, en Belgique, un individu sur 10 présenterait des difficultés pour lire et écrire, ce qui entrave l’utilisation du numérique.

Enfin, le troisième degré de fracture concerne l’usage. À cet égard, 5% déclarent ne l’avoir jamais utilisé (dont 14% de personnes âgées et 14% de femmes faiblement instruites). Des différences en termes d’utilisation sont également signalées: plus les revenus sont élevés, plus on utilise internet pour se former et s’informer; plus le niveau d’éducation est faible, plus on utilise internet pour se divertir.

Les difficultés selon les profils: quelles recommandations?

La fracture numérique doit également s’analyser en fonction de différents facteurs (tranche d’âge, niveau de revenus, niveau d’éducation).

Comme déjà relevé ci-avant, les revenus inférieurs sont davantage touchés par l’absence de connexion internet, par le fait de ne pas disposer du matériel suffisant en raison du coût et des compétences nécessaires, ce qui mène à la recommandation de soutien supplémentaire de ces ménages et l’importance du tarif social, étant donné le caractère incompressible de ces coûts et la part plus importante dans le budget pour les revenus inférieurs.

Autre profil impacté par la fracture numérique: les personnes en situation de handicap qui représentent 15% de la population. Or un tiers d’entre eux n’ont pas accès à internet. Alors que le numérique pourrait avoir des effets d’opportunité, il est indispensable de développer l’accès à un matériel (hardware et software) adapté. S’il existe une directive européenne obligeant un accès facile à tous les sites et applications des organisations gouvernementales et entreprises publiques, seuls 5% des sites sont totalement inclusifs. En Belgique, 68% des sites belges ne sont pas suffisamment accessibles aux personnes handicapées, ce qui demanderait notamment une meilleure formation des développeurs.

Pour ce qui est des personnes âgées, lesquelles représentent un public hétérogène, un déficit d’informations est constaté par les deux chercheuses, étant donné le fait que les sondages et enquêtes s’arrêtent à l’âge de 75 ans. Les seniors sont au-dessus de la moyenne en ce qui concerne le déficit de connaissances numériques, notamment basées sur l’autodénigrement («Ce n’est plus de mon âge», «C’est trop tard pour moi»). D’où l’importance d’un coaching digital approprié ou l’aide de proches qui peuvent jouer ce rôle. Le fait de disposer de plus d’espaces publics numériques peut aussi aider à acquérir les compétences de base. Une des difficultés réside par exemple dans les mises à jour très fréquentes des applications, ce qui peut perdre le consommateur âgé si la mise en page est modifiée de manière très importante. Autre domaine où des problèmes de communication existent: celui des pensions. Il faut savoir que le SPF Pension ne dispose de l’adresse e-mail que pour 22% des 2,5 millions de retraités. Donc, pour 78% des pensionnés, ils n’auront donc d’informations sur leur pension que s’ils consultent d’initiative le portail MyPension.

Les chercheurs d’emploi, de leur côté, présentent des compétences moindres que la moyenne de la population alors que tout le marché de l’emploi se situe en ligne. Une condition pour y accéder: disposer d’une adresse mail. Or, par exemple, en Flandre six chercheurs d’emploi sur dix n’ont pas d’adresse mail.

À l’égard du genre, la fracture numérique tend à se résorber, même si la femme de 55 ans semble moins à l’aise que l’homme du même âge pour tout ce qui est e-gouvernement. On l’a dit, les jeunes hommes de moins de 24 ans sont moins alertes en matière de sécurité numérique que les jeunes filles. Ces dernières utilisent plus l’e-santé que les garçons qui, eux, recourent plus aux jeux en ligne.

D’autres considérations

Différents secteurs ont également passé en revue, comme l’e-gouvernement, l’e-santé, la mobilité, le secteur bancaire ou les relations commerciales en général, afin d’appréhender leur accessibilité[3].

Lors de la conférence avaient été conviés des représentants des seniors (OKRA), des personnes vivant en situation de pauvreté (BAPN), des secteurs du handicap (Conseil supérieur des personnes handicapées), des banques (Febelfin) et de l’énergie (FEBEG). Il est entre autres ressorti des discussions issues de ce panel qu’il est indispensable de maintenir des services physiques afin de permettre l’accueil des personnes les moins numérisées, dont les droits doivent être néanmoins reconnus et activés.

La matinée a également porté sur la sécurité et les droits digitaux, avec comme points d’attention la dissymétrie entre le consommateur digital et les pourvoyeurs de biens et services, les compétences des consommateurs en matière de sécurité relativement faibles et une protection juridique actuelle basée sur l’information du consommateur, alors que la réglementation juridique est de plus en plus complexe et rencontre certaines limites par rapport à l’éducation numérique.

Nathalie Cobbaut

[1] https://kbs-frb.be/fr/barometre-inclusion-numerique-2022.

[2] Voir l’étude d’AB-REOC «Une meilleure inclusion numérique de l’ensemble des consommateurs dans la société» sur leur site internet: https://reoc.be.

[3] Voir l’étude de l’AB-REOC publiée en ce mois de janvier sur leur site: www.reoc.be.