Covid Edition spéciale – Services de médiation de dettes : les convoyeurs attendent

Les services de médiation de dettes (SMD) sont là pour aider les personnes en difficultés financières. Pourtant, peu de nouvelles demandes d’aide sont arrivées auprès de ces services, malgré l’arrêt durant le confinement de tout un pan de l’économie dite non essentielle et les pertes de revenus qui se sont ensuivies. Avec le déconfinement, la reprise est lente, mais le nombre de dossiers risque bien d’exploser et les services, déjà près de la saturation avant le coronavirus, pourraient être rapidement débordés.

L’ensemble des services sociaux a été, comme le reste de la société, touché par le coronavirus, et le confinement qui a été décidé à la mi-mars a eu des répercussions sur le cours du travail des équipes. Les services de médiation de dettes n’ont pas été épargnés par la situation. En effet, il s’agit de structures qui effectuent du travail de terrain et qui sont amenées à recevoir régulièrement les usagers dans leurs bureaux. Parmi ces derniers, un certain nombre sont suivis au long cours, pour lesquels une prise en charge a été organisée et des rendez-vous ont été régulièrement fixés pour assurer un suivi.

Avec le confinement, les entretiens en présentiel ont été suspendus et il n’a pas toujours été facile de reprendre contact avec ces usagers, car ces derniers ne disposent pas forcément des moyens technologiques pour pouvoir organiser un tel suivi; ils ont sans doute été confrontés à d’autres difficultés d’ordre médical, psychologique ou matériel, et n’ont pas été forcément très proactifs pour y faire face. De ce qui ressort des entretiens avec différents SMD, il apparaît que certains autres usagers ont au contraire sollicité davantage les services, confrontés à des pertes de revenus mettant à mal les plans de paiement déjà en cours. Pour ceux-là, il a fallu être réactif et répondre aux demandes, avec les moyens du bord.

Par ailleurs une série de dossiers concernaient de nouvelles situations soumises aux SMD juste avant le début du Covid, pour lesquelles il est nécessaire de démêler l’écheveau des difficultés avant de pouvoir commencer à émettre des solutions et effectuer des démarches spécifiques. Les dossiers de médiation de dettes sont souvent le fruit d’une accumulation de dettes qui, petit à petit, deviennent insurmontables, avec un découragement de la personne qui finit par ne plus ouvrir ses courriers, à ne plus relever sa boîte aux lettres ou même de ne plus ouvrir sa porte, de peur de voir débouler les huissiers. Difficile d’entamer un tel travail de débroussaillage en plein confinement, sans pouvoir rencontrer les personnes, leur demander des explications ou d’apporter certains documents, éventuellement d’effectuer des démarches complémentaires auprès de tel ou tel organisme pour compléter le dossier, lequel n’était pas forcément accessible.

Bref, comme toute une série de services sociaux en contact direct avec l’usager, pour les SMD, la période du confinement n’a pas été un long fleuve tranquille.

Prise de pouls auprès d’une série de services.

Du côté des CPAS

Des échos qui nous viennent du terrain, des SMD eux-mêmes ou encore des centres de référence qui viennent en appui aux services de médiation de dettes au niveau provincial, comme Medenam (Namur), le Gils (Liège), le Gas (Luxembourg), le Créno (Hainaut) ou encore le Centre d’appui aux services de médiation de dettes bruxellois, le travail dans les CPAS s’est organisé dans les services de manière assez disparate.

Certains ont continué en présentiel, mais en équipes réduites, sans pour autant recevoir les usagers ou à quelques très rares exceptions quand cela s’avérait indispensable. La plupart des médiateurs de dettes géraient leur travail à distance, via le télétravail, mais passaient au bureau pour y chercher des dossiers, relever le courrier ou encore y assurer une permanence à intervalles très fluctuants (de deux heures par jour à une demi-journée tous les quinze jours). D’autres services encore ont été fermés et le personnel a été réorienté vers d’autres tâches, comme le soutien aux travailleurs des maisons de repos. Certains membres du personnel ont été mis en chômage temporaire, à mi-temps ou à plein temps. Bref, il n’y a pas eu d’organisation uniforme de la situation.

Comme l’explique Jan Willems, responsable du SMD du CPAS de Bruxelles-Ville, «chez nous, l’ensemble du personnel a été placé en télétravail, le CPAS était fermé, à part les antennes de proximité qui ont fait face aux demandes d’aide urgente (176 demandes entre le 18 mars et le 30 avril, concernant 255 adultes et 104 enfants). Les médiateurs de dettes ont surtout travaillé sur les dossiers existants, en rassurant les personnes déjà en médiation. On a perdu le contact avec certains, d’autres se sont manifestés pour exprimer certaines difficultés. C’est le cas notamment pour les colis alimentaires, avec une demande générale en forte hausse, ce qui rend l’accès à ceux-ci plus difficile pour ceux qui en bénéficiaient déjà. Une partie importante de nos dossiers concernent des allocataires sociaux: donc pas de gros changements pour eux, si ce n’est les “à-côtés” qu’ils pouvaient récolter avant le Covid et qui leur permettaient de tenir. Mais nous n’avons en tout cas pas reçu beaucoup de nouvelles demandes, si ce n’est d’indépendants avec des dossiers complexes et pour lesquels on s’attend à être très sollicités: on a donc créé une cellule spéciale pour ce public. Il y a surtout beaucoup de fatigue mentale parmi le personnel et des attitudes différentes par rapport au déconfinement et à la reprise des activités sur site. Avec cette expérience, le télétravail pourrait devenir une possibilité élargie pour les travailleurs».

À Namur, le SMD du CPAS a continué à fonctionner également, même si ce n’était pas forcément évident concernant le matériel informatique et les lignes téléphoniques. Pour Lucie Devillé, responsable, «on n’a pas pu équiper tout le monde; donc on faisait une tournante au bureau avec des demi-équipes, sans pour autant recevoir le public. On n’a repris que très récemment les entretiens physiques et uniquement sur rendez-vous. Du côté des dossiers, on gère 60 RCD et 20 comptes gérés actifs. Pour les RCD, le tribunal a eu l’air de travailler normalement: on a été désigné de nombreuses fois comme médiateur judiciaire depuis le 18 mars, mais ce n’est pas évident de rencontrer de nouvelles personnes dans ce contexte et d’expliquer une telle procédure à distance. Certaines personnes n’ont pas de mail, d’autres plus âgées sont plus lentes à comprendre. Hors RCD, on n’a pas eu de demandes, si ce n’est de la part d’indépendants».

Au CPAS de Forest, la fracture numérique ne s’est pas fait ressentir dans les rangs des médiateurs: «On a dévié les lignes téléphoniques, géré le télétravail par mail et vidéoconférence. Les informaticiens du CPAS ont été impeccables, ils nous ont installé à distance les programmes informatiques sur nos ordinateurs à la maison. Si on n’avait pas le matériel, le CPAS en a commandé. Pour le dépôt de documents de la part des usagers, on a organisé une boîte de dépôt, relevée régulièrement. Les documents sont scannés et envoyés à l’intéressé. Bref on a continué notre travail sans grands changements.»

Et dans les asbl?

À Bruxelles, aux SMD de la Free Clinic, du Service social juif (SSJ) ou encore du Planning familial Leman, durant le confinement, les prises en charge n’ont pas toujours été faciles, car la difficulté était de garder ce lien avec les usagers, mais, selon Zoé Graux, juriste conventionnée auprès de ces services, «pour la plupart des gens, les services n’étaient pas forcément accessibles. Puisque les CPAS étaient fermés, ils pensaient que nous étions fermés, cela n’a pas aidé à trouver la voie. Les permanences ont reçu très peu d’appels. Ce calme relatif m’a en tout cas permis de ressortir des dossiers plus complexes du bas de la pile pour s’y atteler. On a vidé l’arriéré, ce qui nous permettra de faire face aux nouvelles demandes».

De son côté, Estelle Mathurin, médiatrice de dettes au SSJ, se demande si le numéro d’appel d’urgence sociale mis en place très vite après le confinement a bien tenu compte des possibilités d’aide qu’offraient les SMD, «car nous n’avons pas reçu beaucoup d’appels via cette ligne».Pour elle aussi, la période a été très calme:«Les créanciers se sont montrés assez cléments, mais j’ai par exemple été contactée par une personne qui craignait d’être expulsée de son logement malgré l’interdiction, ou par une autre personne visée par une cession de rémunération pour un crédit à la consommation impayé. J’ai reçu trois, quatre nouveaux dossiers pendant le confinement, le reste du travail consistait à aider les usagers déjà pris en charge chez nous, mais c’était compliqué, surtout quand il fallait envoyer des documents ou en récupérer auprès d’autres instances, elles aussi difficilement accessibles. On a repris doucement les rendez-vous en présentiel, mais avec les mesures de distanciation physique et de désinfection, cela n’est pas évident et le rythme reste assez lent.»

En Wallonie, du côté du Groupe Action surendettement (Luxembourg), selon Marie-Noëlle Plumb, juriste, «on a beaucoup communiqué avec le tribunal pour les dossiers RCD en cours, dans lesquels il y avait du chômage temporaire, des pertes de salaire. Comme nous essayons toujours de réaliser une épargne dans le cadre de ces dossiers, cela a permis d’amortir le choc. Nous avons aussi averti les avocats médiateurs judiciaires d’être attentifs aux ordres permanents qui ne pourraient pas être honorés, faute de montants suffisants sur les comptes. Sinon nous avons utilisé la vidéoconférence pour joindre les usagers, ainsi que les CPAS par rapport aux permanences juridiques. Nous avons aussi réalisé certaines informations des usagers à propos du RCD par ce biais».

Chez Greasur, dans le Namurois, «on s’est très vite mis en ordre de marche informatique en équipant le personnel, et le télétravail a été la règle pendant le confinement, explique Caroline Goossens. Le suivi des dossiers a été inégal, dans le sens où certains usagers ont été très réactifs et nous appelaient, d’autres ont disparu dans la nature. Avec les reprises des rendez-vous, il va falloir réinstaurer un rythme. Avec les réouvertures des permanences dans les CPAS, nous voyons davantage de sollicitations. Je pense que la deuxième vague, on va en tout cas la vivre dans les SMD».

Tous s’attendent en effet à une augmentation significative des demandes d’aide pour cause de surendettement, liées à des factures en souffrance, des loyers, des taxes ou d’autres dettes restées impayées, et ce, dès l’été et à la rentrée. Avec un risque quasi certain d’embouteillage et des listes d’attente qui vont encore s’allonger pour la prise en charge des dossiers.

Nathalie Cobbaut

 

Un refinancement des SMD?

À Bruxelles, avant le confinement, une mesure avait été prise pour doubler le subside des SMD dépendant de la COCOF, soit six services qui ont vu leur effectif de médiateurs de dettes augmenter d’une unité et les heures prestées par le juriste conventionné également augmenter. Des réflexions étaient aussi en cours, déjà avant le confinement, afin d’envisager une augmentation de la subvention allouée aux SMD dépendant de la COCOM (en ce compris les SMD de CPAS). Il se dit que la subvention tant des SMD COCOF que COCOM pourrait être revue à la hausse, tout du moins sur une période limitée à une année, afin d’absorber le choc de la hausse probable du nombre de dossiers de surendettement à traiter par ces services. Comme le précise Pascal Devos, porte-parole du ministre bruxellois de l’Action sociale, Alain Maron, « 300.000 euros sur le budget COCOF vont être mobilisés pour l’associatif : une partie sera affectée aux SMD. Par ailleurs une partie des 30 millions supplémentaires pour les CPAS sera également destinée à renforcer ces services. »

Côté wallon, dansle cadre du troisième volet d’aide et de soutien financier aux secteurs santé, social, emploi récemment adopté par le gouvernement wallon, la ministre de l’Action sociale, Christie Morreale, a proposé de soutenir le redéploiement des services relevant de l’action sociale (épiceries et restaurants sociaux, maisons d’accueil et d’hébergement, médiation de dettes, services d’insertion sociale…). Différentes mesures d’assouplissement des règles de subventionnement régional ont été prévues jusqu’au 31 décembre 2020. En ce qui concerne plus spécifiquement les services de médiation de dettes,les subventions accordées à ces services sont notamment composées de parties variables liées au nombre de dossiers ou à l’organisation d’un ou de plusieurs groupes d’appui pour la prévention du surendettement (GASP). Étant donné la crise sanitaire et la difficulté d’atteindre le nombre d’activités requises, il a été décidé de liquider les subventions variables liées à ces activités pour autant que les services réalisent deux activités au lieu des cinq habituellement exigées sur l’année. Autrement dit, le nombre minimal d’animations annuelles passera exceptionnellement de cinq à deux pour 2020. Une partie des subsides variables est également octroyée sur la base du nombre de dossiers. Il a été décidé, dans ce cadre, de liquider le solde du subside 2020 et la subvention 2021 sur labase du nombre de dossiers renseignés en 2019 (si cette solution alternative est plus favorable aux services).

Une autre mesure que certains tentent de mettre en œuvre sur le plan législatif, déjà sous le boisseau avant ce confinement, serait de pouvoir contraindre les créanciers à accepter une médiation de dettes amiable, dans certaines conditions. Affaire à suivre.