Des articles qui ressemblent furieusement à de la pub

Étrange que le Conseil de déontologie journalistique n’ait pas encore été saisi d’une plainte à propos d’une série d’articles que la Deutsche Bank diffuse dans des journaux life style depuis plusieurs semaines. De quoi s’agit-il? À la recherche d’exemples de publireportages dans divers supports de presse en novembre dernier, afin de montrer à des étudiants en information et communication la distinction nécessaire entre un article de presse et de la publicité, quelle ne fut pas ma surprise de tomber, en feuilletant les journaux du groupe Venture (en l’occurrence Marie-Claire et Elle Belgique), sur deux articles portant sur les vertus du private banking en cas d’héritage, tel que proposé par la Deutsche Bank. Idem dans le magazine Psychologies (lui aussi dans la panoplie de Venture) du mois de décembre avec cette fois un article sur la nécessité de s’informer avant d’investir, toujours rédigé avec l’aimable collaboration de la DB.

On est dans le high-level des produits et services bancaires. Généralement, ce ne sont pas les personnes surendettées ou en passe de l’être qui font appel à ce genre d’établissements. Mais faire passer de la publicité pour du contenu rédactionnel signé par une journaliste qui, selon le site NordPresse, n’existerait même pas, est une pratique contraire à la déontologie journalistique (http://nordpresse.be/escroquerie-sophie-rensco-journaliste-nexistait-ecrit-publireportages-marie-claire/).Quand de surcroît les articles dans les deux titres de presse portent sur le même sujet, donnent la parole à la même interlocutrice, soit une employée de la Deutsche Bank qui explique comment placer son argent après avoir hérité, et quand, à part le titre et l’intro, les deux textes reprennent exactement le même contenu rédactionnel, sont mis en page comme le reste du journal (avec la seule précaution oratoire en fin de texte que l’article a été réalisé avec l’étroite collaboration de la DB), on est en droit de se demander s’il s’agit d’un article de presse, ou d’une pub grossièrement déguisée, pour laquelle le journal a été plus que probablement rémunéré. Pour ce qui est de la banque, ce genre d’opérations permet de faire passer un message sur ses produits, en faisant en sorte que le lecteur baisse la garde, car il n’a pas l’impression d’être en présence d’une pub, mais bien d’un article étayé et fouillé, comme devrait l’être chaque production journalistique publiée. Quand on interroge la secrétaire générale du Conseil de déontologie journalistique (CDJ), Muriel Hanot, celle-ci reconnaît, sans se prononcer sur ce cas particulier, qu’un certain nombre de problèmes de ce type ont été portés à la connaissance du CDJ durant cette année 2017. Des plaintes qui n’ont pas donné lieu à des avis puisqu’elles se sont conclues par des médiations. Mais l’attention du CDJ a donc été attirée sur cette confusion des genres qui nuit à la probité des contenus journalistiques: «Nous allons donc refaire un état des lieux de l’application de la directive du CDJ sur la distinction “journalisme” et “publicité”, en effectuant un monitoring des pratiques de manière à voir s’il faut un ajustement de la directive ou s’il faut taper sur le clou auprès des journaux.»

Peut-être faudrait-il aussi rappeler à cet organisme financier les règles déontologiques propres à la publicité commerciale et, en l’occurrence, l’article 9 du Code de la Chambre de commerce international (repris sur le site du Jury d’éthique publicitaire, organe d’autodiscipline de la publicité en Belgique) qui stipule que «la communication commerciale doit pouvoir être nettement distinguée en tant que telle, quels que soient la forme et le support utilisés. […] Lorsqu’une publicité est diffusée dans des médias qui comportent également des informations ou des articles rédactionnels, elle doit être présentée de telle sorte que son caractère publicitaire apparaisse instantanément et l’identité de l’annonceur doit être apparente. La communication commerciale ne doit pas masquer leur finalité commerciale réelle.» À bon entendeur…

Nathalie Cobbaut,
rédactrice en chef des Échos du crédit et de l’endettement