Le surendettement sur petit et grand écran

Bien des faits de société finissent un jour ou l’autre par devenir des sujets pour le cinéma. Le surendettement fait clairement partie de ces thématiques qui peuvent servir une dramaturgie. Rendez-vous dans les salles obscures. L’image peut aussi servir des messages de prévention : c’est le cas du nouveau DVD réalisé par la Plate-forme Journée sans crédit, « Une vie à découvert ».

Début janvier 2012 : le nouveau film de Cédric Kahn est annoncé, avec pour vedettes : Guillaume Canet et Leïla Bekhti. Son titre : Une vie meilleure. Le pitch de ce film, c’est l’histoire de deux jeunes, lui cuisinier, elle serveuse dans un bar. Des amoureux qui décident de se lancer dans un projet de restaurant. Ils repèrent un lieu, parviennent à décrocher les crédits dont ils ont besoin pour aménager cet espace. Alors que le projet permettait d’entrevoir une vie meilleure, le système va les broyer : malgré des travaux assez lourds, le resto n’est pas aux normes, donc l’autorisation d’ouverture est refusée. Pourtant il faut payer les traites pour les prêts déjà consentis et en trouver d’autres pour poursuivre les travaux nécessaires. C’est le début de la descente vers le surendettement et les dégâts collatéraux qui accompagnent souvent cette douloureuse expérience.

Comme l’explique Cédric Kahn, « Catherine Paillé (la scénariste) et moi-même avons inventé une intrigue financière, basée sur le trajet implacable de l’argent, avec en creux une dénonciation du système libéral et de la brutalité avec laquelle les plus fragiles sont traités. Ça fait longtemps que le thème du surendettement m’intéresse, en tant que symptôme du capitalisme, et surtout parce qu’il y a des tragédies humaines derrière cela, des histoires dramatiques, où souvent une faiblesse s’ajoute à une fragilité extrême et frappe les plus démunis. On s’est appuyé sur un long travail de documentation. On a rencontré des restaurateurs, des banquiers, des militants anti-surendettement, des assistantes sociales,… ». Ce que le réalisateur souhaitait illustrer dans son film, c’est le destin de ces personnes qui souhaitaient élever leur condition et qui se retrouvent aspirées vers le bas : « On l’a vu aux États-Unis, avec les subprimes, où vous avez des gens aux revenus modestes qui ont voulu accéder à la propriété ou acheter des maisons plus grandes et qui se sont retrouvés à vivre sous des tentes. Idem pour les prêts à la consommation : on vend du surclassement social et ça produit du déclassement. »

À la question de la concordance du film avec l’actualité, Cédric Kahn estime que la pauvreté est devenue un formidable terrain de spéculation : « Le capitalisme est devenu vicieux, incapable de proposer la moindre utopie et où la survie devient la seule règle. » Des propos critiques et amers à propos d’un système qui se nourrirait des aspirations des individus et les laisseraient exsangues, après les avoir vampirisés.

D’autres vies que les nôtres

Autre long métrage, où cette thématique du crédit trop facile est également traitée : Toutes nos envies, de Philippe Lioret, dans lequel Marie Gillain et Vincent Lindon, tous deux magistrats amenés à traiter des dossiers de surendettement, unissent leurs efforts pour s’opposer à la politique des prêteurs. Le film est librement inspiré de l’ouvrage d’Emmanuel Carrère : D’autres vies que la miennes, que Frédéric de Patoul nous avait présenté dans les Échos n°22 (juin 2009), et dépeint entre autres le combat que mènent deux magistrats contre la politique abusive d’octroi de crédits, orchestrée par des prêteurs peu scrupuleux.

Déjà le titre du film fait référence à ces publicités pour le crédit alléchantes, mais trompeuses: comme le précise Philippe Lioret, « Un jour j’ai lu sur un prospectus proposant un crédit à la consommation cette invitation cynique : Cédez à toutes vos envies. Ces envies, c’étaient bien sûr toutes les tentations que l’argent vous permet d’assouvir. Aujourd’hui des offres alléchantes jetées dans les boîtes aux lettres ou sur Internet poussent des milliers de gens aux revenus modestes dans le piège de l’argent facile ». C’est à cela que les deux magistrats s’attaquent, soulevant des moyens d’office qui rendent les contrats de crédit inopérants et permettent d’annuler ainsi la charge des intérêts et des pénalités qui s’y rapportent. Pour ce réalisateur engagé, il s’agit de dépeindre le cynisme des banquiers qui ont imaginé de prêter aux plus modestes des plus petites sommes à des taux très élevés : « Il faut savoir que le pourcentage d’impayés ne dépasse pas 3% (ce qui représente quand même, rien qu’en France, 8 millions de personnes) et qu’il est largement compensé par les taux d’intérêt prohibitifs qu’appliquent ces sociétés de crédit à ceux qui paient. Mais ces boîtes ne peuvent pas laisser les mauvais payeurs impunis car ce serait inciter les autres à faire pareil. Alors, pour ceux-là, le combat est perdu d’avance et ils se retrouvent dans des situations effrayantes. A moins qu’un juge d’instance n’ose s’interposer et trouve un biais pour enrayer cette loi du plus fort et ce mécanisme pervers d’enrichissement des banques. »

Si le ton du film de Lioret est malheureusement un peu « pathos », les propos sur le monde de la finance, la représentation d’un engagement de quelques-uns pour dénoncer et faire changer le cours des choses et la détresse de cette maman, seule avec deux enfants qui se retrouve devant la justice pour des factures et des prêts impayés, sonnent tout à fait juste.

L’image au service de la prévention

À côté de ces réalisations pour le grand écran, il faut également signaler l’initiative de la Plate-forme Journée sans crédit (JSC) qui, dans le cadre de la journée du 26 novembre dernier, a entrepris de faire réaliser un support audiovisuel afin de dénoncer les crédits faciles et mettre en avant l’aide que les personnes surendettées peuvent trouver pour s’en sortir. D’où ce DVD Une vie à découvert qui remplacera désormais une réalisation plus ancienne et un peu dépassée, Besoin d’argent. Ce nouvel outil a largement été plébiscité par les associations de terrain qui souhaitent mener des actions de prévention vis-à-vis de leur public. L’esprit de ce film, on le retrouve dans son intitulé qui, comme l’a souligné Monique Van Dieren, permanente communautaire des Équipes populaires et coordinatrice de la Plate-forme JSC, « peut être appréhendé dans trois sens différents : le découvert bancaire qui caractérise bien souvent la situation des surendettés, mais aussi la mise à nu ou à découvert lorsqu’on est obligé de sortir du bois pour demander de l’aide et enfin, le courage d’Alain, Aziza, de Bernard, Jean-Philippe, Maryse, Mireille, Rudy, Thierry et Jean d’avoir témoigné à visage découvert dans ce film, afin d’aider d’autres qu’eux-mêmes à trouver une solution à leurs difficultés ».

Ce moyen-métrage de 36 minutes, dont la réalisation a été confiée à Eva Houdova, du CPC (Création Production et Compagnie) et qui a bénéficié du soutien de la ministre wallonne de l’Action sociale, Eliane Tillieux, donne la parole à des personnes surendettées qui racontent leur histoire, les difficultés qui ont jalonné leur parcours, ainsi que l’aide qu’ils ont pu mobiliser pour s’en sortir. Des acteurs de terrain témoignent également des réalités vécues par ces personnes et du chemin, souvent long, à parcourir pour se tirer d’affaire. Avec trois leçons majeures : « Ça peut arriver à tout le monde », « On peut s’en sortir transformé et grandi », « L’engagement des acteurs de terrain est indispensable ». Le tout sur un fond musical : celui d’une ritournelle chantée par Coralie Stevens qui, tout au long de l’histoire, balade avec elle une petite valise en cuir brun un peu vieilli. Une valise qui incarne les dettes qu’il faut bien assumer pour sortir des difficultés.

Nathalie Cobbaut

Plus d’infos

Le film Une vie à découvert est disponible au téléchargement gratuit sur le site de la Plate-forme JSC : www.journeesanscredit.be. Chaque centre de référence dispose également d’une copie.