Mieux (ou enfin) comprendre le langage des juristes

Combien de particuliers n’ont-ils pas été confrontés à des textes juridiques émanant du législateur, d’avocats, d’huissiers, de tribunaux ou encore d’administrations, dont la compréhension est particulièrement ardue, voire complètement obscure? Le langage juridique clair et le legal design sont là pour permettre une information claire, complète et adaptée à l’interlocuteur. Aperçu des possibilités avec Olivier Beaujean, responsable de Droits quotidiens Legal Design.

 Le droit possède un langage qui lui est propre et que les professionnels de la discipline maîtrisent. Comme dans toute une série de matières spécialisées, ce langage spécifique comprend des termes techniques qui ne sont pas accessibles au commun des mortels. Comme le relève Anaïs Leal y Pittia, auteure d’un mémoire sur «Le langage juridique clair: son application et sa nécessité»[1], «la complexité du langage juridique est particulièrement due à certains usages, notamment les expressions latines ou étrangères, les archaïsmes, les formules solennelles et des constructions de phrases fortement compliquées avec phrase enchâssée dans phrase enchâssée». Pour autant, un certain nombre de juristes continuent de considérer que, si l’on simplifie le langage juridique, on risque de le dénaturer, en perdant en exactitude et en précision. Donc cette démarche du langage juridique clair ne va pas de soi. Pourtant il semble impérieux que les personnes à qui des documents juridiques sont destinés soient en mesure de les parcourir, d’en comprendre le contenu pour réagir en conséquence.

Le principe

 Pour Olivier Beaujean, directeur de DQ Legal Design, «notre intérêt pour le langage juridique clair existe depuis plus d’une dizaine d’années. Elle va de pair avec cette volonté de permettre l’accès aux droits, notamment via l’appui aux travailleurs sociaux, qui a toujours été l’objectif de Droits quotidiens. Cette offre de service pour rendre le droit compréhensible s’est structurée en département plus récemment, en y adjoignant le legal design. D’une manière générale, il s’agit d’appuyer et d’outiller les professionnels du droit dans l’utilisation d’un langage juridique clair, via le choix des mots, la structuration des phrases et l’agencement du texte, de façon à être accessible et compréhensible. Avec le legal design, il s’agit aussi d’utiliser des éléments visuels, comme des pictogrammes, des lignes du temps, des infographies, des tableaux, le cas échéant des vidéos, des diaporamas ou encore le motion design pour animer des éléments graphiques. Le processus utilisé est d’impliquer les citoyens sur le niveau de compréhension des documents d’origine, pour ensuite les amender et puis tester les textes ainsi remaniés afin d’améliorer la communication. Toutes ces techniques ont pour vocation de rendre la communication juridique compréhensible pour les utilisateurs du droit que nous sommes tous». Car, comme le dit l’adage, «nul n’est censé ignorer la loi», mais encore faut-il la comprendre…

Si l’utilisateur est au centre des préoccupations, il y a aussi de l’intérêt au sein même des professions juridiques. C’est par exemple le cas des magistrats qui souhaitent voir les conclusions mammouths d’avocats modalisées et plus concises. Les services administratifs sont également demandeurs de plus de clarté et dès lors DQ Legal Design a répondu à un appel d’offres afin d’aider les différents SPW de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles à restructurer leurs documents.

Des champs d’application variés

 Cette attention à utiliser une communication adéquate pour atteindre sa cible est donc de plus en plus présente. Olivier Beaujean nous cite un certain nombre d’exemples de chantiers déjà engrangés: «Nous avons effectué un gros travail avec la Fédération des notaires. Les notaires se rendaient bien compte qu’une fois le document du compromis envoyé dans le cadre d’une vente, il y avait beaucoup de temps perdu en explications tant aux vendeurs qu’aux acheteurs, ne comprenant pas les termes de ce texte juridique, notamment en raison du caractère assez décousu et sans cohérence des informations parsemées tout au long du texte. Après des réunions avec les notaires, le document a été restructuré, notamment en ramenant en première page tous les éléments constitutifs de la vente.»

Autres commanditaires auprès de DQ Legal Design: les huissiers de justice. À la demande de Sam-Tes, centre d’expertise de la Chambre nationale des huissiers de justice, DQ Legal Design a travaillé sur les citations en justice et les significations pour les petites créances, comme les frais d’hôpital, les créances relatives à la téléphonie, l’énergie… Comme le souligne Olivier Beaujean, «il y a pour ces citations un taux de défaut important devant les juridictions devant lesquelles le particulier pourrait venir s’expliquer, notamment devant le juge de paix, et obtenir des termes et délais. Or, vu le caractère peu compréhensible du document envoyé, peu de justiciables se déplacent, sans doute n’ayant pas compris la possibilité pour eux de comparaître et de faire valoir leur point de vue». À la suite de ce travail avec Sam-Tes, des huissiers ont été convaincus par cette démarche du langage juridique clair et l’utilisent au quotidien.

Un certain nombre de CPAS ont également fait appel aux services de DQ, comme le CPAS de Jette qui, depuis 2017, forme tous les ans ses nouveaux agents, avec une première formation qui a porté sur la structuration des décisions et ensuite un suivi de cette formation et un coaching pour travailler sur de nouveaux documents. Des adaptations peuvent également être effectuées en fonction du retour des usagers. Les CPAS de Walhain, d’Ostende et d’Anvers ont suivi la même démarche de formation de leurs agents. Le CPAS de Bruxelles-ville vient par ailleurs de confirmer l’octroi d’une mission pour retravailler selon les principes du langage juridique clair les courriers à destination des bénéficiaires et afin de réécrire les documents de la doctrine sociale du CPAS.

Les avocats sont également sensibles à cette idée d’accessibilité de leur communication: un temps de formation en langage juridique clair a par exemple été proposé aux avocats dans le cadre de leur université d’été.

Un langage clair en médiation de dettes

 L’an dernier, le Gils, centre de référence aux services de médiation de dettes (SMD) en province de Liège, a commandé une formation à DQ Legal Design pour former ses quatre juristes internes ainsi que les juristes référents auprès des SMD au langage juridique clair.

En son temps, Avocats.be avait fait appel aux services de DQ lorsqu’il était question de mettre sur pied une formation pour les avocats pratiquant la médiation judiciaire. Une formation restée finalement lettre morte en raison de l’absence d’un arrêté royal pour rendre cette formation obligatoire. Il était question de former pendant une après-midi ces avocats au langage juridique clair.

Dans le cadre des conventions passées par DQ avec des SMD pour assurer la médiation de dettes ou l’encadrement juridique (activité que DQ ne pratique plus depuis cet été), un travail de réflexion avait été mené concernant la convention de médiation de dettes qui est signée en début de prise en charge, souvent sans y faire attention, alors qu’elle peut servir de base de discussion en cas de tension. Cette convention a été remaniée pour être plus accessible et compréhensible pour l’usager amené à signer ce document.

Les magistrats du tribunal du travail de Liège (et préalablement ceux de l’auditorat du travail du même arrondissement) ont eux aussi été sensibilisés au legal design. Ils souhaitaient travailler sur la structuration des décisions du tribunal du travail, mais le financement de l’Institut de formation judiciaire n’a pas débloqué les budgets qui font souvent défaut pour mener une politique approfondie en la matière.

Enfin, récemment, DQ a travaillé sur le prêt social à la rénovation, accessible auprès de la Société wallonne du crédit social, en réunissant les juristes, l’équipe de communication, les informaticiens et les gestionnaires de dossiers pour parvenir à un résultat qui réponde aux besoins des intervenants.

Et les nouvelles générations?

Au sein des universités, il y a également des frémissements concernant l’intérêt pour le langage juridique clair. Si cela ne fait pas encore partie intégrante des programmes de base des étudiants en droit, hormis dans des universités flamandes (UGent, KULeuven), des séminaires sont régulièrement organisés pour sensibiliser les étudiants à ces questions d’accessibilité de l’information juridique envers les justiciables. Àl’Université Saint-Louis, par exemple, une initiation est donnée aux étudiants en droit en première année de bachelier, puis en master, avec un cours magistral et des workshops sur des casus en procédure judiciaire, où une attention particulière est donnée à l’utilisation d’un langage juridique clair.

DQ Legal Design a également formé les étudiants de la Clinique juridique de l’ULB qui tiennent des permanences pour informer les étudiants de cette université sur leurs droits sociaux. Une démarche similaire a été menée à l’UNamur dans le cadre du Namur Legal Lab, qui donne l’occasion à des étudiants de donner des conseils juridiques à de jeunes start-up dans le domaine des nouvelles technologies.

Nathalie Cobbaut

[1] Faculté de criminologie, UCL, 2015. Consultable sur le site Dial de l’UCLouvain, portail des mémoires: http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:3191