RCD Attention, jurisprudence fraîche ! (avril-mai-juin 2022)

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.

Cour de cassation (1re ch.), 18 mars 2022, RG C. 21.0006 F.

Faillite – Gérant Qualification – Entreprise – Article I.1, 1° CDE – Interprétation – Organisation Absence d’agencement de moyens matériels, financiers et humains propres – Faillite – Non

Dans un arrêt du 18 mars 2022, la Cour de cassation a été amenée à trancher une question qui divise la jurisprudence et la doctrine, depuis l’introduction de la notion d’entreprise dans le Code de droit économique: le gérant ou l’administrateur d’une société est-il une entreprise au sens de l’article I.1, 1°, alinéa 1er (a) du Code de droit économique? La réponse à cette question n’est pas sans conséquence pour le débiteur puisqu’elle déterminera l’accès ou non aux procédures d’insolvabilité, dont notamment la faillite.

En l’espèce, la cour d’appel de Mons, dont l’arrêt fait l’objet du pourvoi, a refusé de déclarer l’état de faillite d’un administrateur d’une SPRL au motif qu’il ne pouvait pas être qualifié d’entreprise vu l’absence dans son chef de toute organisation propre et distincte de celle de la société.

L’arrêt considère en effet qu’«un concept de base de la notion d’entreprise est celui de l’organisation et que l’entreprise se caractérise moins pas son activité ou par son but que par son organisation, par la façon dont les moyens matériels financiers et humains sont agencés». Il poursuit en soulignant «que le seul fait, pour une personne physique, d’exercer un mandat de gérant ou d’administrateur n’implique en soi aucune organisation propre, toute l’organisation étant liée à la société». Par conséquent, il convient de vérifier et de justifier, dans chaque cas, que le mandataire, du seul fait de sa qualité d’administrateur ou de gérant, peut être considéré comme une entreprise, c’est-à-dire qu’il est une organisation en personne physique exerçant une activité professionnelle à titre d’indépendant.

Or en l’espèce il est constaté que:

  • le mandataire était gérant d’une société immobilière;
  • sa rémunération était des plus modiques;
  • l’essentiel de ses ressources provenait de loyers;
  • aucune structure particulière n’était mise en place;
  • aucune pièce comptable ou aucun engagement personnel n’ont été produits.

Dès lors, la Cour en a conclu que le gérant n’était pas une entreprise et ne pouvait dès lors pas être déclaré en faillite. Dans son arrêt, la Cour de cassation se rallie à la position de la cour d’appel et confirme la décision rendue en considérant qu’«une personne physique n’est une entreprise au sens du Code de droit économique que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant». Il s’en déduit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise. Par cette analyse et cette prise de position, la Cour de cassation semble sceller le sort des gérants et administrateurs en les excluant de la notion d’entreprise et, par conséquent, de l’accès aux procédures d’insolvabilité. En effet, n’est-il pas à craindre que l’existence d’une telle organisation propre soit au final très peu, voire pas du tout constatée dans le chef de ces mandataires?

En outre, la position de la Cour de cassation s’inscrit comme un revirement par rapport à la thèse soutenue de manière majoritaire par les juridictions de l’entreprise mais aussi par les cours et tribunaux du travail. De nombreuses décisions rendues ont reconnu la qualité d’entreprise au gérant dès lors qu’il exerce son activité sous le statut social d’indépendant et que ses revenus sont générés par cette activité. Dans ce cas, c’est donc la spécificité de l’activité professionnelle qui prime indépendamment de l’existence de toute organisation distincte de la société.

Enfin, la portée de cet arrêt ne semble pas se limiter aux seuls gérants ou administrateurs mais concerne toutes les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle de manière indépendante et pour lesquelles il conviendra d’examiner in concerto si elles disposent ou non d’une organisation qui leur est effectivement propre.

Le débat n’est donc pas près d’être clos. Il est évident que la notion d’«organisation» ne manquera pas d’alimenter encore de nombreuses discussions.

Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF

Cour du travail de Liège (division Namur) (7e ch.), 14 février 2022 RG 2021/AN/94,

Tribunal du travail de Liège (division Namur) (9e ch.), 26 avril 2021, RG 18/76/B/

Règlement collectif de dettes – Créances – Jugement Délai de prescription – 10 ans – Admissibilité – Suspension de la prescription – Date de la déclaration de créance – Dettes prescrites – Appel – Litige indivisible – Article 1053 CJ – Médiés non appelés à la cause – Irrecevabilité

Madame et Monsieur, cohabitants légaux, ont été admis en règlement collectif de dettes en date du 13 avril 2018. Un plan de règlement amiable d’une durée de 84 mois établi par le médiateur a été homologué par le tribunal. Prenant fin le 12 avril 2025, son exécution ne rencontre aucune difficulté. Toutefois, en date du 30 avril 2020, une société de recouvrement, ayant appris l’existence de la procédure en règlement collectif de dettes dans le chef de Monsieur, prend contact avec le médiateur. Elle informe ce dernier de la détention de plusieurs créances envers ce dernier, cédées par un organisme bancaire, créancier initial, et sollicite des informations concernant la possibilité de déclarer lesdites créances dans la procédure en cours.

Le médiateur de dettes soutient que le créancier initial a été intégré en cours de procédure, que l’ordonnance d’admissibilité lui a été notifiée par le tribunal et que, faute de déclarations de créance transmises dans les délais légaux, ses créances, cédées ensuite à la société de recouvrement, ne doivent pas être prises en compte dans le cadre de la procédure en cours. La société de recouvrement conteste cet argument et entend être intégrée à la procédure.

Par déclarations de créance du 14 mai 2020, cette dernière fait état de plusieurs créances envers Monsieur et revendique que soient prises en considération dans le plan homologué des dettes auxquelles celui-ci a été condamné par défaut par un jugement du 9 juillet 2008 pour un montant de 5.178,75 euros et 2.816,09 euros à majorer des intérêts moratoires judiciaires. Le médiateur considère, quant à lui, que ces créances sont prescrites et dépose une requête en fixation d’audience afin de trancher le différend.

Il est rappelé que:

  • les actions personnelles se prescrivent par 10 ans en vertu de l’article 2262bis du Code civil;
  • la prescription est interrompue par une action en justice et que, dans cette hypothèse, le jugement rendu est prescrit après une durée de 10 ans.

En l’espèce, il est fait mention que la décision rendue le 9 juillet 2008 a été signifiée à Monsieur avec commandement de payer le 11 août 2008. La prescription interrompue a donc recommencé à courir pour 10 ans à partir de cette date. Par conséquent, il s’en déduit que, sauf nouvelle interruption ou suspension du délai de prescription, les créances concernées sont donc prescrites depuis le 12 août 2018.

Toutefois, la société de recouvrement, à défaut de pouvoir établir l’existence de nouveaux actes interruptifs, soutient que la procédure en règlement collectif de dettes admise le 13 avril 2018 a suspendu le cours de ce délai de prescription. Sur ce point, le tribunal mentionne:

  • qu’il ressort de l’application combinée des articles 2251 du Code civil et 1675/7, § 2 du Code judiciaire que la prescription d’une créance est suspendue par la décision d’admissibilité;
  • que toutefois cette suspension n’opère qu’à l’égard des personnes ayant transmis une déclaration de créance à partir du moment où cette déclaration est introduite et non avant cette date (Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, sous la coordination de Christophe Bedoret, p. 170).

Or la société de recouvrement n’a pas transmis de déclaration de créance avant le 14 mai 2020. Le tribunal en conclut que la suspension de la prescription ne pouvait donc être opérante avant la date du 14 mai 2020. Or, à cette date, elle ne présentait plus aucun intérêt étant donné que les créances étaient déjà frappées de prescription. En outre, la société de recouvrement invoque également le fait qu’en reprenant le créancier initial dans la requête, Monsieur a reconnu «l’existence et l’exactitude» des créances réclamées. Or il est rappelé que le créancier initial n’était pas repris dans la requête en règlement collectif de dettes mais fut intégré en cours de procédure suite à la consultation du Fichier central des avis de saisie par le médiateur de dettes.

Par conséquent, la reconnaissance de ces dettes de manière expresse ou tacite par Monsieur comme cause interruptive de prescription ne peut être établie dans ce cas. Compte tenu de ces éléments, le tribunal considère que les créances déclarées par la société de recouvrement sont manifestement prescrites et ne doivent pas être intégrées au plan de règlement amiable homologué.

La société de recouvrement a fait appel de cette décision devant la cour du travail de Liège, division Namur.

Dans un arrêt du 14 février 2022, la Cour a été amenée à déclarer cet appel irrecevable, sur la base de l’article 1053 du Code judiciaire, aux motifs que:

  • il n’est pas contesté que le litige est indivisible et que par conséquent l’article 1053 du Code judiciaire est d’application;
  • il est constaté que la requête d’appel n’a pas été dirigée à l’encontre des médiés, parties dont l’intérêt est opposé à l’appelant;
  • l’article 1053 alinéa 2 du Code judiciaire, permettant à l’appelant de mettre à la cause, au plus tard avant la clôture des débats, les autres parties non appelantes ni déjà intimées ou appelées, ne trouve pas à s’appliquer dans ce cas et ne permet pas de régulariser la situation des médiés avant la clôture des débats en recourant à une requête rectificative.

Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez les 2 PDF (Cour du travail et Tribunal du travail)

Tribunal du travail de Liège, division Huy, 6e ch., 25 avril 2022 RG 20/152/B

Règlement collectif de dettes – Demande de décharge Article 1675/16bis CJ – Codébiteur – Assimilable à une sûreté personnelle Engagement gratuit Engagement disproportionné Décharge totale – Plan de règlement amiable – Accord sans réserve – Homologation – Respect du plan – Renonciation aux poursuites

Monsieur a été admis à la procédure en règlement collectif de dettes en date du 16 décembre 2020. Madame, ex-cohabitante légale, dépose dans le cadre de cette procédure une requête en décharge de sûreté personnelle sur la base de l’article 1675/16bis du Code judiciaire. Cette requête concerne un engagement consenti le 20 mars 2018 à un organisme prêteur dans le cadre d’un prêt à tempérament destiné à financer l’achat d’un véhicule. Après analyse, le tribunal considère que les conditions de la décharge telles que prévues à l’article 1675/16bis du Code judiciaire sont rencontrées dans le chef de Madame.

Tout d’abord, il est constaté que le prêt a été consenti tant à Monsieur qu’à Madame, laquelle est, par conséquent, codébitrice et non seulement caution personnelle. Toutefois, il est rappelé que, dans ce cas, le codébiteur solidaire peut être assimilé à la caution, de sorte que Madame peut se prévaloir de la qualité de sûreté personnelle, telle que visée par l’article 1675/16bis du Code judiciaire (doc. parl., Chambre, sess. 1996-1997, n° 1073/11 et G. de Leval, «La loi du 5 juillet 1998 relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis», Liège, ULg, 1998, p. 47).

Ensuite, le tribunal est d’avis que le caractère gratuit de l’engagement de Madame peut être retenu, car il apparaît qu’elle n’a pas pu profiter du véhicule ainsi financé. En effet, les dates de livraison du véhicule ainsi que de son immatriculation au nom de Monsieur sont toutes deux postérieures à la date de fin de leur cohabitation légale, établissant leur séparation de manière officielle.

Enfin, le tribunal constate que les engagements résultant du prêt accordé sont manifestement disproportionnés dans le chef de Madame au vu de sa situation financière et de l’absence de tout immeuble et véhicule.

Par conséquent, le tribunal prononce la décharge totale des obligations de Madame à titre de sûreté personnelle résultant de ce contrat de prêt. En outre, Madame a formé, à l’égard du réassureur de l’organisme de crédit, une demande complémentaire en vue de récupérer un remboursement d’impôt de 185,30 euros lui revenant, lequel a été saisi par ce dernier entre les mains du SPF Finances après l’homologation du plan de règlement amiable. Or, le tribunal constate que ce créancier a marqué son accord sans réserve au plan de règlement amiable homologué le 24 novembre 2021, lequel prévoit le remboursement total par Monsieur du montant en principal du prêt sur une période de quatre ans et demi.

Il y a donc lieu d’admettre que ce créancier soit considéré comme ayant renoncé à l’engagement de Madame pour la durée du plan homologué et pour autant qu’il soit respecté, ce qui est le cas en l’espèce. Par conséquent, le tribunal condamne le réassureur à rembourser à Madame la somme de 185,30 euros ainsi que toute autre somme qu’il aurait perçue par retenue à charge de cette dernière auprès de tout tiers et à valoir sur le prêt consenti.

Pour lire la décision dans son intégralité, téléchargez le PDF

Sabine Thibaut, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement