RCD : Attention jurisprudence fraîche ! (avril-mai-juin 2023)

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.

 

 

Cour du travail de Liège, division Neufchâteau (8e ch. A), 31 mars 2023 (RG 2023/BU/2)

Conditions d’admissibilité – Requérante sans revenus – Revenus du ménage issus de l’activité d’indépendant de l’époux – Non-admissibilité – Appel – Examen des conditions – Notion d’entreprise – Entreprise en faillite: non – Endettement structurel et durable: oui – Conditions réunies – Jugement réformé – Admissibilité.

 La requérante vit avec son mari, ses deux filles et son fils. Elle ne travaille pas et perçoit uniquement les allocations familiales. Le couple est marié sous le régime de la communauté légale. Ils possèdent un immeuble commun. Son mari exerce son activité d’indépendant (menuisier) dans l’atelier annexé. Leur endettement résulte de problèmes financiers rencontrés dans l’activité professionnelle du mari. Elle dépose une requête en règlement collectif de dettes le 5 décembre 2022. L’objectif est de sauver l’immeuble familial qui fait l’objet d’une saisie. Elle informe que les revenus de son époux permettront de rembourser leur endettement.

Le tribunal déclare sa requête non admissible le 30 janvier 2023. Pour le juge, aucun remboursement n’est possible et la vente de l’immeuble est inévitable. La requérante conteste cette décision. Elle argumente que sa situation professionnelle pourrait évoluer, qu’un plan judiciaire avec remise de dettes pourrait être imposé et qu’elle a des revenus, à savoir les revenus communs du ménage. Les revenus ne constituent pas une condition d’admissibilité[1]. L’insuffisance des revenus n’empêche donc pas l’accès au bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes.

La situation de la requérante est particulière. Les revenus du ménage proviennent de l’activité d’indépendant de son époux. Est considérée comme une entreprise «toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant; […] Une personne physique est une entreprise […] lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant»[2]. L’activité de son époux peut donc être qualifiée d’entreprise. Cependant, celui-ci n’est pas en état de faillite. Il a proposé des plans de paiement, le crédit n’est pas ébranlé, son chiffre d’affaires et les bénéfices sont bons et aucun créancier n’a déposé de citation en faillite.

De plus, la requérante est dans une situation d’endettement structurel et durable. En effet, sans la vente de l’immeuble, elle est actuellement dans l’impossibilité de payer ses dettes. La vente permettrait de rembourser une partie de leurs dettes. Cependant, elle aurait de lourdes conséquences pour la famille puisque l’époux perdrait son travail et donc ses revenus. Le créancier hypothécaire a refusé leurs propositions d’apurement.

La cour estime que les conditions d’admissibilité sont réunies et réforme le jugement a quo. La requérante est admise à la procédure.

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Tribunal du travail de Liège, division de Verviers (3e ch.), 14 avril 2023 (RG 20/93/B)

Projet de plan amiable – Nouvelle déclaration de créance – Transaction pénale – Dette incompressible – Dette antérieure à l’admissibilité – Intégrée au passif – Contredit abusif du parquet – Homologation du plan.

 Le requérant est admis à la procédure le 15 mai 2020. Le médiateur a déjà rédigé plusieurs projets de plans amiables. À la suite d’une déclaration de créance du parquet, un nouveau projet est établi. Cette déclaration reprend une proposition de transaction pénale pour des faits antérieurs à l’ordonnance d’admissibilité. Le médiateur de dettes intègre cette dette incompressible au passif de la médiation. Seul le parquet émet un contredit. Selon lui, cette dette ne doit pas être intégrée dans le passif. Le médiateur dépose donc un procès-verbal de carence le 27 février 2023. Le tribunal considère pour sa part que cette dette doit être intégrée au passif du règlement. En effet, les faits reprochés et la transaction pénale proposée sont antérieurs à la décision d’admissibilité. De plus, il écarte le contredit et le considère comme abusif.

L’abus de droit consiste «à exercer un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente. Tel est le cas spécialement lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit»[3].

En l’espèce, le tribunal constate que:

  • le contredit cause un préjudice important au requérant et aux autres créanciers;
  • le projet de plan amiable (durée de 96 mois) permet un remboursement plus important (11,29% du principal) qu’un éventuel plan judiciaire (durée maximale de 60 mois);
  • le contredit va à l’encontre de l’objectif[4] de la procédure, à savoir rétablir la situation financière du débiteur en lui permettant notamment de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Lorsqu’un contredit est déclaré abusif, le plan amiable proposé peut être homologué par le juge[5]. En conséquence, le tribunal rejette le procès-verbal de carence et homologue le plan de règlement amiable.

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Cour du travail de Liège, division Liège (5e ch.), 28 février 2023 (RG 2022/AL/247)

Plan de règlement judiciaire – Remise totale de dettes – Retour à meilleure fortune – Saisine du juge – Révision du plan.

 Par jugement du 1er octobre 2018, les requérants bénéficient d’une remise totale de dettes imposée par un plan judiciaire. Tenant compte du fait que leur immeuble semblait invendable, le juge ne fait pas procéder à la réalisation de leurs biens.

Le 13 octobre 2021, les requérants parviennent néanmoins à vendre leur immeuble pour le prix de 125.000 euros. Leur situation financière s’est donc améliorée et les conditions de la remise totale de dettes ne sont plus réunies. Il s’agit d’un retour à meilleure fortune qui intervient pendant le «délai d’épreuve» de cinq ans.

Le médiateur saisit le tribunal pour débattre du retour à meilleure fortune. Les requérants contestent la régularité de la saisine du premier juge. Ils soutiennent que la décision qui leur accorde la remise totale de dettes met fin au mandat du médiateur. Celui-ci n’avait donc plus la qualité pour saisir le tribunal.

Pour le créancier hypothécaire, la décision qui accorde la remise totale de dettes met fin à la mission du médiateur, sauf retour à meilleure fortune. Pour le médiateur, il était tenu de saisir le tribunal. En effet, «si des difficultés entravent l’élaboration ou l’exécution du plan ou si des faits nouveaux surviennent dans la phase d’établissement du plan ou justifient l’adaptation ou la révision du plan, le médiateur de dettes, l’auditeur du travail, le débiteur ou tout créancier intéressé fait ramener la cause devant le juge par simple déclaration écrite déposée ou communiquée au greffe»[6].

Le retour à meilleure fortune est assimilé à un fait nouveau. Le médiateur est donc bien compétent pour saisir le tribunal sur la base de l’article 1675/14, §2, alinéa 3. La cour confirme le jugement a quo.

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Tribunal du travail de Liège, division de Verviers (3e ch.), 21 avril 2023 (RG 15/244/B)

Plan de règlement judiciaire – Remise totale de dettes – Période de surveillance de cinq ans – Héritage – Retour à meilleure fortune.

 Le requérant est admis à la procédure le 30 septembre 2015. Le 11 septembre 2017, il bénéficie d’une remise totale de dettes. Cette remise était conditionnée par la surveillance des revenus et des dépenses du requérant par le médiateur pendant cinq ans, soit jusqu’au 10 septembre 2022. Le médiateur doit confirmer, via des rapports annuels, l’absence de nouvelles dettes et le non-retour à meilleure fortune.

La maman du requérant est décédée le 14 février 2022. Il hérite avec ses deux frères d’un immeuble évalué à 120.000 euros. Le 8 juillet 2022, le médiateur demande l’autorisation pour accepter la succession. Une demande d’autorisation pour vendre l’immeuble hérité est également déposée. Les autorisations sont accordées le 12 août 2022.

Le médiateur sollicite la fixation de ce dossier pour débattre du retour à meilleure fortune. En effet, le requérant a hérité d’une somme de 25.209,29 euros.

Selon les travaux préparatoires[7], le retour à meilleure fortune est une «modification substantielle de la situation patrimoniale du débiteur», un «changement fondamental dans la situation du débiteur qui ne peut résulter du simple fait de trouver un emploi» ou encore «un événement heureux qui doit permettre au débiteur de satisfaire très rapidement à toutes ses obligations», comme «un gain à la loterie», un «héritage important»ou «l’issue favorable d’un procès permettant au débiteur de disposer à nouveau d’une somme d’argent considérable». La doctrine[8] l’interprète comme toute amélioration de la situation financière du débiteur qui a pour conséquence que les conditions d’une remise de dettes ne sont plus réunies. La jurisprudence considère que le retour à meilleure fortune «n’a, en principe, aucune incidence sur le plan de règlement amiable, sous la double réserve suivante: les stipulations expresses du plan et la prise en compte d’un retour à meilleure fortune sous l’angle plus large du fait nouveau qui justifierait l’adaptation ou la révision du plan…»[9] ou encore comme «un événement exceptionnel qui permet au débiteur de disposer d’une somme d’argent considérable»[10]. Une analyse de la situation personnelle du requérant peut également être nécessaire[11].

Après analyse, le tribunal définit le retour à meilleure fortune comme «un changement manifeste dans la situation patrimoniale de la partie médiée d’une certaine importance qui résulte d’un événement aux conséquences favorables qui permet au débiteur de remplir rapidement ses obligations, à l’exception du simple fait de trouver un emploi».

Le tribunal considère cet héritage comme un retour à meilleure fortune. De plus, il arrive avant l’échéance de la période de surveillance des cinq ans.

Le tribunal décide donc de répartir le solde du compte de médiation entre:

  • l’état de frais et honoraires du médiateur de dettes,
  • le paiement aux créanciers du passif déclaré en principal,
  • le requérant pour son projet de reconversion,

et accorde une remise totale de dettes pour tous les accessoires (intérêts, indemnités et frais).

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Cour du travail de Bruxelles (12e ch.), 10 janvier 2023 (RG 2022/AB/524)

Désistement d’instance – Formalisme – Rappels des principes de droit commun – Jugement confirmé.

 La requérante a 51 ans, est veuve et cohabite avec sa fille majeure. Elle perçoit des revenus de la mutuelle. L’origine de son endettement est liée à une insuffisance de revenus pour payer les charges courantes et les frais de santé. Elle est admise à la procédure le 28 février 2019.

En avril 2022, le médiateur saisit le tribunal d’une difficulté. Il souhaite connaître le sort à réserver aux bijoux mis en gage par la requérante en 2015. De plus, celle-ci soumet une difficulté liée à l’insuffisance de son pécule de médiation.

Le tribunal ne parvient pas à les résoudre. Dans son jugement du 30 juin 2022, il acte le désistement de la requérante, met fin à la procédure et invite le médiateur à remettre son état de frais et honoraires. La requérante interjette appel de ce jugement. Elle conteste avoir demandé son désistement.

La procédure en règlement collectif de dettes est une procédure volontaire. Le requérant peut y renoncer à tout moment. Lors de la phase amiable, un juge peut acter un désistement lorsqu’il est saisi d’une difficulté. Dans ce cas, le droit commun est applicable.

Rappel de quelques principes de droit commun en matière de désistement d’instance[12]:

  • La partie qui se désiste renonce à la procédure engagée.
  • Il est admis dans toutes les matières.
  • Il remet les choses dans le même état qu’avant l’instance.
  • Le désistement exprès se fait par un simple acte signé. Il n’est pas soumis à des formalités spéciales. Il peut également être demandé oralement à l’audience[13].
  • Les effets prennent cours par le jugement ou l’arrêt qui l’acte.
  • Le demandeur peut se rétracter tant que toutes les parties ne l’ont pas accepté ou le juge acté.

La cour déclare l’appel non fondé. En effet, la requérante a personnellement exprimé sa volonté de se désister lors de l’audience. C’est acté dans le procès-verbal d’audience.

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Christelle Wauthier, collaboratrice juridique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Art. 1675/2 du CJ.

[2] Art. I.1, 1° du CDE.

[3] Voir notamment Cass. 9.03.2009 (C.08.0331.F) et Cass., 12.12.2005 (S.05.0035.F).

[4] Art. 1675/3, §3 du CJ.

[5] Voir C. Bedoret, «Le contredit et la déclaration de créance: qu’importe le flacon, pourvu que l’on ait l’ivresse», https://observatoire-credit.be/fr/juriobs.

[6] Art. 1675/14, §2, al. 3 du CJ.

[7] Voir Doc. parl. «Projet de loi relatif au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis», Chambre des représentants, session 1996-1997, n°49-1073.

[8] Voir C. André, «Chapitre 6 – Les plans de règlement judiciaire», in Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Anthémis, 2015, p. 318; C. André, «Le retour à meilleure fortune», in Le créancier face au règlement collectif de dettes: la chute d’Icare?, Anthémis, 2017; C. Bedoret et J. C. Burniaux, «Inédits de règlement collectif de dettes (2e partie)», JLMB, 2020/41, p. 1926 et 1927 et C. Bedoret, «Inédits de règlement collectif de dettes IV (2e partie)», JLMB, 2018/3, 30 mars 2018, p. 584 et suivantes.

[9] Voir c. trav. Mons, 21 novembre 2017 (RG 2017/AM/47).

[10] Voir c. trav. Liège, division Liège (5e ch.), 15 janvier 2019 (RG 2018/AL/667.

[11] Voir trib. trav. Hainaut, division Tournai (5e ch.), 4 octobre 2018 (RG 12/60/B), JLMB. 20/454.

[12] Art. 820 et suivants du CJ.

[13] Voir Cass., 2.10.2009, Pas., 2009, 2110, JT, 2010, p. 538.