RCD Attention jurisprudence fraîche ! (janvier-février-mars 2024)

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes. En voici la recension.

 Trib. trav. Liège, div. Huy (6e ch.), 12 janvier 2024 (RG 22/13/B)

Échec de la phase amiable – Refus de vendre l’immeuble – P-V de carence – Réalisation des biens saisissables – Âge et état de santé de la requérante – Dignité humaine – Dérogation – Vente en viager ou bail à vie – Relance de la phase amiable – Moratoire

 La requérante a été admise à la procédure le 4 février 2022 avec un passif déclaré de 65.435 euros, dont un prêt personnel de 60.000 euros. Pensionnée, elle perçoit des revenus à hauteur de 1.350 euros. Elle est propriétaire d’un immeuble qu’elle occupe personnellement et qui lui appartient définitivement depuis 2014. Il apparaît, dans la requête, qu’aucune charge mensuelle n’est liée à cet immeuble. Madame collabore normalement et de manière respectueuse.

Toutefois, après deux ans de procédure et de nombreuses discussions, le médiateur ne parvient à dégager aucune solution amiable du fait que Madame désire rester à tout prix dans son immeuble, tout en poursuivant la procédure. Cette prise de position rend, par conséquent, difficile l’élaboration d’un plan amiable prévoyant un remboursement de 100% du passif dans un délai raisonnable.

De ce fait, le médiateur de dettes dépose un procès-verbal de carence, demandant au tribunal de statuer sur le sort à réserver à l’immeuble.

Dans l’état actuel du dossier, il est constaté qu’aucun plan judiciaire ni aucune remise totale de dettes, qui permettrait à Madame de conserver son habitation, n’est possible ni envisageable.

Le tribunal se penche donc sur la problématique de la vente de l’immeuble dans le cadre de la procédure. Il est ainsi rappelé, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il peut être dérogé à la condition de la vente de tous les biens saisissables s’il est jugé que cette dérogation est nécessaire afin que le débiteur et sa famille puissent mener une vie conforme à la dignité humaine ou parce que la vente relèverait de l’abus de droit[1].

En l’espèce, il est souligné que Madame, âgée de 78 ans, est sujette à des soucis de santé physiques, voire psychologiques, qui, au regard de la dignité humaine, semblent peu compatibles et inappropriés avec un déménagement. En outre, la vente supposerait nécessairement la recherche d’un nouveau logement en location à un prix difficilement accessible et raisonnable. Enfin, vu la collaboration de Madame et l’alimentation régulière du compte de médiation, la possibilité de trouver une solution amiable à moyen ou à long terme ne semble pas devoir être totalement abandonnée.

Au vu de ces éléments, le tribunal considère que la vente pure et simple n’est pas pertinente en l’espèce et que le maintien provisoire de Madame dans son immeuble apparaît nécessaire pour lui assurer une vie conforme à la dignité humaine.

Il appelle donc le médiateur à faire preuve de créativité et l’invite à examiner, avec toutes les parties concernées, les possibilités de vendre l’immeuble soit en viager, soit en permettant une occupation moyennant un bail à vie, soit en vendant la nue-propriété et en maintenant l’usufruit.

En outre, vu le contexte particulier et afin de favoriser au maximum les chances de succès de la phase amiable, le tribunal estime opportun d’accorder un moratoire d’une durée de deux ans.

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CT Liège, div. Liège (5e ch.), 21 novembre 2023, (RG 18/10/B)

Créances contestées – Projet de plan de règlement amiable – Créances mises hors plan – Homologation – Exécution du plan de règlement – Clôture – Versement des montants contestés à la Caisse des dépôts et consignations (SPF Finances) – Appel – Versement aux médiés – Appel fondé – Jugement réformé

 Madame et Monsieur ont été admis à la procédure par ordonnance du 22 janvier 2018. Lors de l’établissement du projet de plan de règlement amiable par le médiateur, plusieurs créances reprises dans la requête ont été contestées par les médiés.

Il a donc été établi que les créances A et B ne sont pas constatées par un titre et que leurs montants sont contestés partiellement pour l’une et totalement pour l’autre par Madame et Monsieur.

Conformément à l’article 1675/10, § 3 du Code judiciaire, le médiateur a donc mis hors plan la somme de 3.720,46 euros représentant le montant total des créances contestées et a expressément prévu pour chacune d’elles que le créancier concerné dispose de la possibilité d’agir en justice afin de faire valoir ses droits.

Le projet de plan de règlement amiable ainsi arrêté a été soumis à l’accord des parties. Il est constaté que le créancier A a expressément marqué son accord au projet de plan ainsi libellé. Le créancier B, quant à lui, ne s’y est pas opposé. Par conséquent, à la requête du médiateur, le tribunal a homologué le plan de règlement amiable par ordonnance du 23 décembre 2022.

Par requête du 14 mars 2023, le médiateur de dettes a sollicité la clôture de la procédure. Dans son jugement de clôture, le tribunal a constaté que le plan de règlement amiable a été totalement exécuté. Il a donc prononcé la clôture de la procédure en précisant qu’à l’issue du délai d’appel, le médiateur versera à la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3.720,46 euros correspondant au montant total des créances contestées par les médiés.

Ces derniers interjettent appel de ce jugement en demandant que les sommes contestées leur soient versées sur un compte et non cantonnées à la Caisse des dépôts et consignations.

Dans un premier temps, la Cour fait état des principes et des dispositions qui réglementent le sort à réserver aux créances contestées[2]. Il est ainsi rappelé qu’il est exclu que le juge du règlement collectif de dettes tranche lui-même une contestation liée à l’existence ou au montant d’une créance, mais qu’il lui appartient, selon l’avis de plusieurs auteurs et de la Cour[3], d’inviter le créancier ou le médié à saisir eux-mêmes directement le juge du fond compétent.

Ensuite, abordant l’hypothèse où le créancier consent au plan de règlement amiable alors que le montant de sa créance contestée n’a pas été repris ou pas totalement, la Cour fait le point sur l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance d’homologation et sur les voies de recours.

Il est ainsi rappelé[4] que l’ordonnance d’homologation n’est en principe susceptible d’aucun recours de la part des parties en cause, sauf dans l’hypothèse où l’accord acté par le juge n’a pas été légalement formé. Dans ce cas, un tel recours pourrait être actionné afin d’obtenir la nullité du plan amiable.

Sur la base de ces éléments, la Cour souligne qu’en l’espèce, le délai de recours étant de toute façon largement dépassé, l’ordonnance d’homologation ne peut plus être contestée, et, par conséquent, la validité du plan amiable ne peut plus être remise en cause. Dès lors, le plan constitue la «loi des parties».

Pour rappel, il est prévu, entre autres, que les créances contestées sont mises hors plan et que les créanciers concernés conservent la possibilité d’agir en justice.

Par conséquent, il convient de s’en tenir à ce qui a été convenu entre les parties et de constater notamment qu’à ce jour, aucun des créanciers concernés n’a saisi un juge du fond de la contestation de sa créance.

Enfin, tranchant la question de la consignation des fonds, la Cour est d’avis qu’elle n’a pas lieu d’être. Il est ainsi rappelé qu’une telle consignation n’est, en principe, prévue par le Code judiciaire que dans l’hypothèse d’un plan de règlement judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. S’agissant de la phase amiable, la doctrine retient que cette possibilité pourrait trouver à s’appliquer dans le cas où il existe des difficultés qui entravent l’élaboration, voire l’exécution d’un plan amiable[5].

Or, il est constaté, en l’espèce, qu’aucune difficulté n’a entravé l’élaboration du plan, que les créanciers concernés ont marqué soit expressément, soit tacitement leur accord au projet de règlement, qu’il est établi que le plan de règlement amiable a bien été totalement exécuté.

Par conséquent, la Cour réforme le jugement dont appel et autorise le médiateur à verser la somme de 3.720,46 euros sur le compte des médiés. Il est ajouté que dans l’hypothèse où cette somme aurait déjà été consignée, celle-ci doit être libérée en faveur de Madame et Monsieur.

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CT Liège, div. Liège, (5e ch.), 19 décembre 2023, (RG 23/41/B)

Admissibilité – Gérante et associée en commandite simple – Rejet – Appel – Activité à titre indépendant – Absence de preuve – Dispense d’inscription à la BCE – Cotisations sociales et impôt – Société en activité – Art. I.1, 1° CDE – Organisation – Agencement de moyens financiers propres – Entreprise – Appel non fondé – Jugement confirmé

 Madame s’est inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises en personne physique le 21 janvier 2019. Quatre mois plus tard, elle a constitué, avec deux associés, une société en commandite simple assurant la fonction de gérante et d’associée commanditée.

Durant l’année 2020, elle s’est adressée au SPF Finances en signalant que sa société n’avait jamais été active et qu’elle sollicitait la suppression de son immatriculation.

Le 1er mars 2021, elle a mis un terme à son inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises à titre personnel.

Par une ordonnance du 16 mars 2023, Madame a été admise à la procédure en règlement collectif de dettes. Dans sa requête, cette dernière avait indiqué pour la condition relative à l’absence de qualité d’entreprise: «jamais actif».

À la suite de la demande en fixation de la cause déposée par le médiateur de dettes, le tribunal a prononcé, en date du 4 juillet 2023, le rejet de la procédure en règlement collectif de dettes en raison de la qualité d’«entreprise» établie dans le chef de Madame.

Cette dernière interjette appel de ce jugement.

Dans un premier temps, la Cour fait état de la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la notion d’entreprise visée à l’article I.1, 1° du Code de droit économique laquelle se définit comme toute organisation consistant dans l’agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant[6].

Il est également relevé que le fait pour un dirigeant d’assumer personnellement des responsabilités et des engagements financiers propres constitue un élément traduisant l’existence d’une organisation propre et, par conséquent, la qualité d’entreprise.

Ensuite, s’agissant plus particulièrement des associés commandités, il est utile de rappeler qu’ils sont solidairement responsables des dettes de la société sur tout leur patrimoine privé[7].

En outre, la Cour souligne que la jurisprudence[8] considère de manière constante que les commandités d’une société en commandite simple doivent être qualifiés d’entreprise.

En l’espèce, il est tout d’abord établi qu’en tant qu’associée commanditée et gérante, Madame est bel et bien solidairement responsable des dettes de la société sur l’ensemble de son patrimoine privé.

En outre, même si cette dernière a pu penser, en prenant quelques renseignements auprès du SPF Finances, pouvoir se décharger de ses mandats et clôturer la société, il apparaît que celle-ci est toujours bien active actuellement. L’enrôlement d’un impôt ISOC et les avis de paiement trimestriels de cotisations sociales ne permettent pas un autre constat.

Par ailleurs, Madame soutient qu’en réalité, elle n’a jamais exercé d’activité professionnelle à titre indépendant et que la société n’a jamais été réellement active. Toutefois, la Cour constate qu’aucun document probant (attestation comptable, déclaration TVA, extrait de compte…) ne permet de démontrer cette absence d’activité dans le chef de Madame. En outre, la Cour souligne que, même si Madame apporte la preuve qu’elle a exercé pendant près de trois ans une activité salariale, rien ne l’empêchait a priori d’exercer en parallèle son activité indépendante.

Enfin, concernant l’absence d’immatriculation à la Banque-Carrefour des Entreprises, la Cour souligne qu’il existe une dispense d’inscription pour les associés commandités de société en commandite simple[9].

Par conséquent, la Cour considère que, compte tenu de sa qualité d’associée commanditée et de gérante, Madame doit être qualifiée d’«entreprise». La Cour est d’avis par ailleurs qu’elle répond à la notion d’«organisation» telle que visée à l’article I.1, 1° du Code de droit économique. L’engagement solidaire de l’ensemble de son patrimoine démontre notamment un agencement de moyens financiers propres en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.

Par conséquent, la Cour confirme le jugement prononçant le rejet de la procédure estimant que Madame a bien la qualité d’entreprise et que, par ailleurs, il ne ressort pas des éléments recueillis que la requête en admissibilité a été introduite au moins six mois après la cessation de l’activité de l’entreprise, la société concernée étant toujours active actuellement.

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Sabine Thibaut,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Cass., 29 février 2008, RG C.06.0142.F, Pas., 2008, n°145.

[2] Notamment par l’application des articles 1675/10, §3 et 1675/11, §3 du Code judiciaire.

[3] I. Mestdagh, Le règlement collectif de dettes, Études pratiques de droit social, Kluwer, p. 491; C. André, «Les plans de règlement judiciaire», Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Anthémis, 2015, p. 258.

[4] En référence à l’article 1043, alinéa 2 du Code judiciaire.

[5] C. André, «Les plans de règlement judiciaire», Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Anthémis, 2015, p. 252.

[6] Cass. 18 mars 2022, RG C.21.0006.F/12, Juportal.be.

[7] Art. 4/14 du Code des sociétés et des associations.

[8] Cass. 19 décembre 2008, RG C.07.0281.N, Pas. 2008, n°746.

[9] Art. III.49, §3 CDE.