RCD: Attention jurisprudence fraîche ! (janvier-février-mars 2019)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

Cour du travail de Mons (10ech.), 20 décembre 2018 (RG 2018/BM/17)

La cour du travail réforme le jugement déclarant la tierce-opposition du créancier hypothécaire non fondée et confirmant l’admissibilité de la requérante à la procédure en règlement collectif de dettes. Elle invoque notamment le non-respect des droits de la défense, le caractère non durable de l’endettement et prévoit, en outre, le versement du solde du compte de médiation à la Caisse des dépôts et consignations.

La requérante vit seule et perçoit des revenus (pension) pour un montant mensuel de 1.594,15 euros. Le 11 février 2008, le créancier hypothécaire lui accorde un prêt de 166.000 euros, remboursable par mensualités de 1.787,10 euros pendant 15 années et prend une hypothèque sur les trois immeubles lui appartenant.

La requérante est admise à la procédure en règlement collectif de dettes en date du 6 juin 2017. Le créancier hypothécaire forme tierce-opposition contre l’ordonnance d’admissibilité au motif que celle-ci aurait organisé son insolvabilité. Par jugement du 22 mars 2018, la tierce-opposition est déclarée non fondée et l’admissibilité confirmée. Le créancier hypothécaire interjette appel de ce jugement.

La cour du travail examine tout d’abord le respect des droits de la défense. Dans le jugement dont appel, tous les créanciers, sauf le créancier hypothécaire, sont repris comme «parties défaillantes». Cependant, il s’avère que lesdits créanciers n’ont pas été visés par la citation en tierce-opposition et n’ont pas non plus été convoqués par le greffe du tribunal. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme «parties défaillantes». La cour du travail met donc à néant le jugement du 22 mars 2018 pour atteinte au principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

La cour du travail examine ensuite l’appel quant au respect des conditions d’admissibilité et, plus particulièrement, le caractère durable de l’endettement. L’endettement total de la requérante s’élève à 268.384,49 euros. Postérieurement à l’ordonnance d’admissibilité, le médiateur de dettes avait confié à un notaire l’évaluation du patrimoine immobilier de la requérante. Celui-ci a été évalué à la somme de 261.065,50 euros. En plus de son patrimoine immobilier, la requérante doit être indemnisée d’un sinistre survenu à l’un de ses immeubles (26.000 euros). Les dettes de la requérante peuvent donc être intégralement remboursées moyennant la réalisation du patrimoine et la perception de l’indemnisation (261.065,50 euros + 26.000 euros = 287.065,50 euros). De ce fait, la condition d’endettement durable n’est pas remplie et la requérante ne peut donc pas être admise à la procédure en règlement collectif de dettes. La cour relève également que la requérante «abuse de son droit en introduisant des actions à des fins purement dilatoires». En effet, la requérante a introduit plusieurs actions en opposition à la procédure de saisie-exécution immobilière du créancier hypothécaire engagée depuis le 26 novembre 2010. Elle a d’ailleurs été condamnée au paiement de dommages et intérêts vu que «l’attitude de la demanderesse est fautive et a incontestablement causé à la défenderesse un dommage que l’indemnité de procédure seule ne peut pas réparer […]». Par conséquent, la cour du travail met à néant l’ordonnance d’admissibilité.

Concernant la répartition du compte de médiation, la cour du travail prévoit le versement du solde à la Caisse des dépôts et consignations. Celle-ci, «instituée au sein du SPF Finances, a pour mission de conserver les biens consignés et de les restituer à l’ayant droit»moyennant preuve de sa qualité. En effet, la demande de distribution du solde du compte de médiation est prématurée: aucune demande de taxation n’est déposée par le médiateur, le solde du compte est inconnu et le créancier hypothécaire ne démontre pas qu’il bénéficie d’un privilège sur ces sommes.

La cour du travail renvoie la cause au tribunal pour la finalisation des opérations de clôture.

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Cour du travail de Liège (5ech. – division Liège), 27 novembre 2018 (RG 2018/AL/146)

La cour du travail réforme le jugement qui étend la remise totale de dettes à une dette antérieure à l’admissibilité mais portée à la connaissance du tribunal du travail postérieurement au prononcé de ladite remise. Le motif invoqué par la Cour est que cette dette ne peut plus être incorporée à la masse passive du plan judiciaire, celui-ci étant terminé. La cour du travail confirme également que le fait générateur de cette dette est la conclusion du prêt et non l’échéance de remboursement de ce prêt.

Le 10 janvier 2005, le prêteur consent au requérant un prêt de 13.000 euros remboursable à l’expiration d’un délai de cinq ans, soit le 10 janvier 2010, à un taux d’intérêt annuel de 2,5%. Le requérant lui signe une reconnaissance de dettes. Le 13 juillet 2008, les parties signent un avenant par lequel le prêteur renonce aux intérêts conventionnels et le requérant s’engage à rembourser le prêteur à l’expiration d’un délai de 10 ans, soit le 10 janvier 2015.

En proie à des difficultés financières, le requérant introduit une requête en règlement collectif de dettes et est admis à la procédure le 12 janvier 2012. Le 23 janvier 2014, le médiateur de dettes dépose un procès-verbal de carence contenant une proposition de remise totale de dettes. Par jugement du 26 mai 2014, le tribunal du travail impose un plan de règlement judiciaire avec remise totale de dettes «sans mesures d’accompagnement». Le 16 février 2016, le prêteur met le requérant en demeure de rembourser le prêt et, par jugement du 22 mars 2017, le tribunal de première instance condamne le requérant au remboursement dudit prêt.

Le 23 mai 2017, le requérant avertit le tribunal du travail de l’existence de cette dette. Il souhaite l’intégrer dans la masse passive du plan et étendre la remise de dette à celle-ci au motif que cette dette est antérieure à la décision d’admissibilité. Dans son jugement du 10 novembre 2017, le tribunal du travail fait suite à la demande du requérant.

Le prêteur fait appel de ce jugement au motif que sa créance est postérieure à la décision d’admissibilité. Selon lui, le fait générateur est la date d’échéance du prêt, soit le 10 janvier 2015. Selon lui, il s’agit d’une date postérieure à l’ordonnance d’admissibilité du 12 janvier 2012. Il avance également que le requérant lui a dissimulé l’introduction d’une procédure en règlement collectif de dettes et qu’il est de mauvaise foi.

Le requérant maintient quant à lui que cette dette est antérieure à l’admissibilité, que l’omission de déclarer cette dette n’est nullement intentionnelle et que le prêteur n’a pas introduit de déclaration de créances dans l’unique intention d’échapper au concours entre les créanciers.

La cour du travail rappelle que l’un des effets engendrés par la décision d’admissibilité est la situation de concours entre les créanciers. La masse passive comprend les dettes déclarées dans la requête et les dettes découvertes pendant la procédure. Les dettes découvertes après la fin de la procédure ne sont pas intégrées à la masse passive et ne subissent donc pas les règles du concours entre les créanciers. Le créancier «oublié»peut poursuivre le débiteur une fois le concours terminé, ce que le prêteur a fait.

En l’espèce, selon la cour du travail, le jugement du 26 mai 2014 qui accorde au requérant le bénéfice de la remise totale de dettes sans mesure d’accompagnement est définitif. La procédure de règlement collectif de dettes terminée, la remise totale de dettes ne peut plus être remise en question. Les créanciers, parties à la procédure, ont subi les règles du concours, contrairement à la créance du prêteur.

Par conséquent, la cour du travail réforme le jugement. En effet, une dette portée à la connaissance du tribunal du travail après la fin de la procédure ne peut être intégrée dans la masse passive d’un plan judiciaire clôturé.

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Tribunal du travail francophone de Bruxelles (XIXech.), 13 juin 2018 et 15 janvier 2019 (RG 16/694/B)

Dans son jugement du 13 juin 2018, le tribunal du travail, déclarant abusif le contredit émis par l’huissier de justice mandaté par la Ville, homologue le projet de plan de règlement amiable qui lui est soumis. De plus, le tribunal du travail ordonne une réouverture des débats pour statuer sur la demande d’amende civile introduite par le médiateur de dettes conformément à l’article 780bisdu Code judiciaire. Dans son jugement du 15 janvier 2019, le tribunal du travail condamne la Ville au paiement d’une amende civile de 1.500 euros pour l’utilisation de la procédure à des fins manifestement dilatoires.

La requérante vit seule et perçoit des allocations de chômage d’un montant mensuel de 1.071 euros. Ses charges incompressibles s’élèvent à 973,30 euros. Elle est admise à la procédure en règlement collectif de dettes par ordonnance du 29 décembre 2016.

Son endettement total s’élève à 18.686,17 euros en principal. Selon elle, sa situation de surendettement résulte de deux facteurs: d’une part, le manque de revenus durant la poursuite de ses études et, d’autre part, la perte de son emploi qui ne lui a plus permis de rembourser ses dettes.

Le médiateur de dettes désigné propose aux créanciers un projet de plan de règlement amiable avec un remboursement de 63,19% des créances en principal par des retenues mensuelles de 170 euros pendant une durée de sept ans. De plus, la requérante a consenti une retenue parfois supérieure à celle des quotités cessibles ou saisissables prévues aux articles 109 à 1412 du Code judiciaire.

Ce projet de plan amiable soulève un contredit de l’huissier de justice mandaté par la Ville pour recouvrer le non-paiement d’horodateurs. La créance de la Ville s’élève à 200 euros en principal, ce qui représente 1% de l’endettement total. À la suite de ce contredit, le médiateur de dettes interpelle et informe l’huissier de justice et la Ville que seul le montant de la créance en principal est pris en compte dans la masse passive et que les remboursements envisagés ne couvriront pas l’intégralité du principal des créances. Le médiateur de dettes les avertit également qu’en cas de maintien de ce contredit, il demandera au tribunal du travail de condamner la Ville à une amende civile pour contredit abusif et disproportionné. Sans réaction de leur part, le médiateur de dettes dépose un procès-verbal de carence le 29 décembre 2017.

Le tribunal du travail rappelle que l’article 1675/10, § 4, du Code judiciaire dispose qu’un plan de règlement amiable doit être approuvé par toutes les parties et qu’un créancier peut former un contredit au projet de plan de règlement proposé. Un créancier peut commettre un abus de droit s’il exerce abusivement de son droit de former contredit.

En l’espèce, dans un premier temps, la validité du contredit émis par l’huissier est mise en doute: rien ne démontre avec certitude qu’il dispose du mandat requis pour émettre ce contredit.

Dans un deuxième temps, le caractère abusif du contredit est établi. En effet, l’huissier de justice réclame le remboursement de l’intégralité de la dette – soit le principal, ses frais et honoraires, des intérêts, des frais et l’indemnité de procédure soit un montant total de 619,89 euros –, alors que les possibilités réelles de remboursement de la requérante ne permettent déjà pas de garantir le remboursement du principal de ses dettes. De plus, l’imposition d’un plan de règlement judiciaire serait beaucoup moins favorable aux créanciers car d’une durée de 3 à 5 ans au maximum. Le tribunal du travail décide donc d’homologuer le projet de plan de règlement amiable proposé par le médiateur de dettes et d’écarter le contredit déclaré abusif.

Concernant la demande d’amende civile introduite par le médiateur de dettes (article 780bisdu Code judiciaire), le tribunal du travail décide de rouvrir les débats.

Selon l’article 780bisdu Code judiciaire, «la partie qui utilise la procédure à des fins manifestement dilatoires ou abusives peut être condamnée à une amende de 15 euros à 2.500 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. En ce cas, il y sera statué par la même décision dans la mesure où il est fait droit à une demande de dommages et intérêts pour procès téméraire et vexatoire. Si tel n’est pas le cas, les parties seront invitées à s’expliquer conformément à l’article 775».

Tout d’abord, la Ville conteste l’utilisation de la procédure à des fins abusives. Elle soulève deux arguments dans ses conclusions additionnelles. Premièrement, la Ville avance que le contredit émis par l’huissier de justice n’a pas une valeur de contredit au sens de l’article 1675/10, § 4, C.J.; que le médiateur de dettes devait considérer ce contredit comme nul d’effet et qu’il est, par conséquent, le seul responsable du blocage de la procédure.

Deuxièmement, la Ville reproche au médiateur de dettes de ne pas s’être adressé au service compétent: le médiateur de dettes aurait dû contacter soit le collège des bourgmestre et échevins, soit le receveur communal, et non la cellule horodateurs. Le médiateur de dettes s’étonne des arguments développés par la Ville.

Sur la base des pièces du dossier et des explications fournies lors de la plaidoirie, le tribunal du travail estime que la Ville a adopté un comportement procédural inadéquat et décide de la condamner au paiement d’une amende civile fixée à 1.500 euros.

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Christelle Wauthier,
collaboratrice juridique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement