Amendes SNCB : erreur d’aiguillage ?

Sébastien est un jeune sans emploi. Il n’a pas de voiture. Pour aller voir ses amis, il prend le train. Resquilleur invétéré, il ne passe jamais au guichet des gares pour acheter un ticket. Évidemment, il se fait régulièrement pincer par les contrôleurs. Il vient de recevoir de l’huissier de justice Modero le décompte de tous ses trajets impayés, augmentés de solides amendes. En tout, il doit plus de 22 000 euros. Que peut-il faire?

Chaque voyageur dès qu’il monte dans un train doit être en possession d’un titre de transport valable qu’il doit pouvoir présenter à chaque instant au contrôleur, afin de démontrer son droit au transport1. Pourtant, de plus en en plus de voyageurs adoptent l’attitude de Sébastien. Ils ne prennent pas leur ticket avant d’embarquer dans le train. Ainsi, le nombre de ce type de constats d’irrégularité dressés par les accompagnateurs de train est passé de 250 267 en 2008 à 517 467 en 2012. Sans compter tous ceux qui sont passés entre les mailles du filet. Cela représente un sacré manque à gagner pour la SNCB qui transporte en moyenne plus de 200 millions de voyageurs par an. C’est la raison pour laquelle, depuis 2011, elle a décidé de faire appel à des huissiers de justice dont le plus connu, Modero, comme le cavalier masqué Zorro marquait de la pointe de son épée ses victimes, traque sans merci les fraudeurs. Avant d’être aux prises avec l’étude Modero, la SNCB donne au voyageur de nombreuses possibilités de régulariser sa situation.

Pas de ticket : c’est plus cher

Quand un voyageur n’est pas en possession d’un titre de transport valable, il doit en avertir l’accompagnateur de train avant d’embarquer ou tout de suite après l’embarquement2. Il est alors immédiatement invité à payer le prix du trajet augmenté d’un droit de confection de 3 euros. Si le voyageur ne peut pas payer immédiatement, le prix du trajet est augmenté d’une indemnité forfaitaire de 7,70 euros.

Lorsque le voyageur n’avertit pas le conducteur avant l’embarquement ou juste après l’embarquement, le prix du trajet est alors augmenté d’une indemnité forfaitaire de 12,50 euros en cas de paiement immédiat, ou de 60 euros si le paiement n’est pas immédiat. Ce dernier montant est ramené à 30 euros quand le voyageur a moins de 18 ans.

Constat d’irrégularité

En outre, si le voyageur ne peut pas payer immédiatement, il reçoit de l’accompagnateur de train un constat d’irrégularité, appelé dans le jargon ferroviaire, le formulaire C170. Sur ce document se trouvent toutes les données pour le paiement et toutes les informations supplémentaires dont le voyageur a besoin pour régulariser son dossier. La SNCB lui donne 14 jours calendrier pour payer son ticket. Il peut le faire soit par virement, soit au guichet de n’importe quelle gare belge3. Si le ticket n’est pas payé dans les 14 jours, le voyageur reçoit une lettre de rappel dans laquelle il est invité à régulariser son dossier dans un nouveau délai de 14 jours. Le prix du trajet est alors augmenté d’une indemnité forfaitaire de 200 euros4.

En français, svp!

Les jours calendrier sont tous les jours de la semaine, même les week-ends et les jours fériés. Il y a 365 jours calendrier par an (sauf les années bissextiles).

Un contrat d’adhésion

À ce « surtarif-là », le coût du transport devient prohibitif… Mais sur quelle base contester le montant de 200 euros réclamé? En utilisant le service de la SNCB, chaque voyageur adhère aux conditions de transport. Le contrat de transport de la SNCB est un contrat d’adhésion. Le voyageur doit l’accepter ou le refuser dans sa globalité. Il ne peut donc pas en discuter les différentes clauses. Cependant, la SNCB, même comme entreprise publique, est soumise à la législation sur la protection des consommateurs qui interdit les clauses abusives.

Indemnité forfaitaire annulée ou réduite

Sur la base de la théorie des clauses abusives, le tribunal de police de Verviers a décidé d’annuler le montant supplémentaire demandé par la SNCB5. Il estime que le supplément est réclamé en l’absence de toute réciprocité commerciale. Il y aurait un déséquilibre dans les prestations de la SNCB et les voyageurs. En effet, le voyageur fraudeur doit payer son billet plus une indemnité forfaitaire alors que lorsque la SNCB est en défaut, pour retard des trains, par exemple, elle n’est tenue qu’au remboursement du prix du billet. Pour le juge verviétois, ce déséquilibre suffit à justifier l’annulation de la sanction6.

D’autres juridictions sont moins catégoriques et réfutent l’idée d’un déséquilibre contractuel7. Elles considèrent que la SNCB est tenue, en cas de retard important, à diverses prestations complémentaires (transports de substitution, obligations d’hébergement,…), qui empêchent l’annulation des amendes. Cela ne signifie pas pour autant que les conditions de transport de la SNCB soient exemptes de tout reproche. En lieu et place d’une annulation de la sanction, c’est à une réduction du montant de la sanction qu’il faut procéder. L’existence des clauses pénales se justifie car la procédure de régularisation mise en place pour obtenir un paiement du trajet a posteriori génère un coût pour la SNCB (courriers de relance et de mise en demeure, intervention du service juridique, etc.). Cependant, une fois que le dossier est constitué, la plupart de ces coûts ne se répètent pas : dès lors la SNCB peut « gagner du temps » en regroupant certaines démarches et courriers. En conséquence, si la première sanction de 200 euros est due, les clauses pénales suivantes devraient être réduites à 50 euros par retard de paiement.

Délit pénal… ou pas?

La nature même de l’indemnité forfaitaire de 200 euros fait débat. S’agit-il d’une véritable amende pénale ou d’une simple pénalité contractuelle? Pour la SNCB, il n’y a aucun doute possible : c’est une amende pénale car voyager sans titre de transport est un délit pénal8. Cela a été confirmé par la Cour de cassation qui considère que la SNCB est habilitée à imposer au voyageur en irrégularité une indemnité forfaitaire et à la réclamer devant le juge répressif9. Les conditions de transport, faisant l’objet d’une publication au Moniteur belge, auraient ainsi un véritable caractère règlementaire10. Une telle qualification n’est cependant pas évidente car elle dépend du respect d’un certain nombre de formalités nécessaires pour prouver l’existence du délit. Ainsi, le procès-verbal (C170) doit être établi par une personne habilitée comme un agent de police ou un accompagnateur de train assermenté11. Ce procès-verbal doit reprendre la description des faits punissables, les dispositions légales qui ont été transgressées et l’identité de l’agent verbalisant. Or, dans les faits, il ressort que dans de nombreux cas, l’étude d’huissiers Modero est incapable de fournir le formulaire C170 adéquatement complété. Bref, les circonstances de la rédaction d’un constat sont de nature à influer sur la qualification des faits en infraction pénale ou pas. En outre, tout constat d’infraction doit, en principe, être transmis en copie au parquet ainsi qu’au voyageur.

En français, svp!

Le parquet, ou ministère public, est le nom donné à l’ensemble des magistrats chargés de représenter les intérêts de la société et de poursuivre les auteurs d’infractions dans le cadre des procédures pénales. Il s’agit de l’ensemble des procureurs du Roi et de leurs substituts.

Quel délai de prescription?

L’intérêt de ce débat sur la qualification de la nature juridique de l’indemnité forfaitaire a son importance pour déterminer quel délai de prescription appliquer. Pour la SNCB, les indemnités forfaitaires sont prescrites après un délai de cinq ans correspondant à la prescription d’une infraction pénale. Pourtant, certaines associations de consommateurs, dont fait partie Test-Achats, voudraient voir les indemnités forfaitaires prescrites après seulement une année12. Rien n’est tranché… ce sera aux juridictions de décider.

Et pour Sébastien?

Inutile pour Sébastien de faire appel au médiateur pour les voyageurs ferroviaires (www.ombudsmanrail.be). La SNCB refuse que ce service s’occupe des plaintes « C170 ». Son premier recours est alors de demander un geste éventuel de la SNCB auprès de son service commercial. Étant donné le montant global de sa dette, il y a peu de chances pour que cela aboutisse. Il peut également contester sa dette et aller en justice. Il va alors soit demander l’annulation ou la réduction de l’indemnité forfaitaire, soit invoquer le délai de prescription d’un an.

Olivier Beaujean,

juriste à l’asbl Droits Quotidiens

Durant le mois qui suit la publication de cet article, consultez les questions complémentaires et découvrez des modèles types ainsi que des documents sur le thème abordé dans la rubrique accès libre sur le site : www.droitsquotidiens.be.

1 Article 17 de l’arrêté royal du 20 décembre 2007 portant règlement de police sur les chemins de fer.
2 Article 151 des conditions de transport de la SNCB.
3 Article 156 des conditions de transport de la SNCB.
4 Article 160 des conditions de transport de la SNCB.
5 Tribunal de police de Verviers, 13 octobre 2009, JLMB 2010/7, p. 339.
6 Article 74, 17° de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur.
7 Liège, 26 avril 2010, CRA, 2011, p. 215.
8 Article 15 de l’arrêté royal du 20 décembre 2007 portant règlement de police sur les chemins de fer.
9 Cass., 20 avril 1999, RG P971490N, www.juridat.be.
10 Article 16 de la loi du 25 août 1891 portant révision du titre du Code de commerce concernant les contrats de transport.
11 Article 10 de la loi du 25 juillet 1991 modifiant la loi sur la police des chemins de fer.
12 Article 16 de la loi du 25 août 1891 portant révision du titre du Code de commerce concernant les contrats de transport.