Attention, jurisprudence fraîche ! (avril -juin 2016)

ECE50 illu p. 22-24Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles issues de différentes juridictions francophones. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

CT Bruxelles (12e ch.), 10 mai 2016, RG n°2016/AB/173

La cour du travail de Bruxelles confirme la jurisprudence du tribunal du travail de Bruxelles: les frais de justice à charge d’un requérant en règlement collectif condamné à une amende pénale peuvent faire l’objet d’une remise de dettes dans le cadre de cette procédure.

«Il n’est pas contesté qu’une dette d’amende pénale ne peut donner lieu à remise par le juge du règlement collectif de dettes.» En effet, compte tenu de l’article 110 de la Constitution, «le juge du règlement collectif de dettes n’est pas compétent pour remettre les amendes pénales. Celles-ci ne sont pas ‘hors plan’, mais hors la remise de dettes».

La cour s’interroge quant à l’étendue de cette incompressibilité dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes. Au-delà de l’amende pénale elle-même, s’étend-elle aux frais de justice?

Le tribunal du travail francophone de Bruxelles avait répondu par la négative (cf. TT Bruxelles francophone [20e ch.], 18 février 2016, RG n°14/344/B, évoqué dans le numéro 49 de cette revue; TT Bruxelles francophone [21e ch.], 28 avril 2016, RG n°14/441/B, inédit) sa réponse concernant également la contribution spéciale au Fonds d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence.

La cour relève que la jurisprudence et la doctrine sont partagées quant à cette question.

Selon M. C. Bedoret, «les frais de justice en matière répressive constituent le ‘… complément obligé’». Dès lors, ces frais sont à considérer comme étant des accessoires ne pouvant être une dette principale à part entière, et tant les amendes que les frais de justice sont visés par l’article 464/1, § 1er. Ces frais ne peuvent donc faire l’objet d’une remise.

À l’encontre de cette analyse, C. André fait valoir l’inverse en mettant en évidence:

  • que «l’alinéa 5 de l’article 464/1, § 8 ne comporte aucun renvoi à l’article 464/1, § 1er;
  • que l’alinéa 5 ne se réfère pas aux condamnations visées au paragraphe 1er, mais seulement aux peines, étant le concept employé par l’article 110 de la Constitution;
  • que seule l’amende entre dans la classification des peines opérées par les articles 7 à 43quater du Code pénal, alors que la condamnation aux frais de justice en matière pénale est une sanction d’ordre civil ne pouvant faire l’objet d’une mesure de grâce».

La cour, quant à elle, considère:

  • que «les frais de justice sont réalisés en vue d’obtenir une condamnation judiciaire, se distinguant dès lors de ceux qui sont nécessaires pour obtenir le paiement d’une dette déjà existante»;
  • qu’en outre, «les frais de justice sont de nature civile, en sorte que les règles les concernant se distinguent de celles qui régissent les amendes»! Il en est ainsi pour ce qui concerne la prescription. En outre, les frais de justice demeurent, en dépit d’une condamnation assortie d’un sursis;
  • qu’«en conséquence, les frais de justice ne peuvent être considérés comme étant l’accessoire de la dette d’amende» et qu’«ils sont une dette en principal»;
  • que, cependant, comme rappelé ci-dessus, les amendes sont de nature pénale tandis que les frais de justice sont de nature civile;
  • que l’alinéa 5 de l’article 464/1, §8 du Code d’instruction criminelle stipulant que la remise ou la réduction des peines dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité ou d’une procédure de saisie ne peuvent être accordées qu’en application des articles 110 et 111 de la Constitution, ne vise que les créances de nature pénale;
  • que, suivant «l’exposé des motifs fait le 9 juillet 2013 sur le projet (à l’origine de la loi du 11 février 2014 portant des mesures diverses relatives à l’amélioration du recouvrement des peines patrimoniales de justice en matière pénale (I et II)», ce sont «la remise ou la réduction de peines (peines pécuniaires pénales et confiscations) dans le cadre de la procédure d’insolvabilité collective et de la procédure civile de saisie [qui] ne peuvent être consenties qu’après l’octroi de la grâce royale (article 464/1, §8, cinquième alinéa CIC)».

La cour confirme dès lors la jurisprudence du tribunal du travail francophone de Bruxelles[1].

La décision en PDF: C.T. Bruxelles (12ème ch.), 10 mai 2016, 2016-AB-173

CT Mons (10e ch.), 5 avril 2016, RG n°2016/AM/7

Un requérant en règlement collectif s’expose à un risque de révocation de la décision d’admissibilité s’il ne mentionne pas dans sa requête des poursuites pénales dirigées contre lui et pouvant déboucher sur une condamnation à payer des dommages-intérêts et s’il ne tient pas le médiateur de dettes informé des décisions prononcées par le juge pénal sur la base de ces poursuites.

Le requérant en règlement collectif de dettes devait une somme de 233.585 euros au liquidateur judiciaire d’une société commerciale sur la base de la décision d’un tribunal répressif français l’ayant condamné du chef d’abus de biens sociaux. Ce fait était connu du médiateur de dettes.

Par contre, le requérant avait caché au médiateur avoir été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Tournai. Il était en effet poursuivi du chef de faux en écriture commis avec une intention frauduleuse et de détournements frauduleux et, notamment, pour s’être fait remettre frauduleusement par une banque belge un montant de 1.495.000 euros contre des chèques émis en France et avoir détourné du matériel d’exploitation ou en leasing de la société dont il était le représentant pour la Belgique.

Les faits étaient antérieurs au dépôt de la requête en règlement collectif de dettes. Celle-ci n’en faisait pourtant pas mention.

Le tribunal correctionnel a constaté la prescription de l’action publique, mais, ayant déclaré les éléments de l’escroquerie établis, il a condamné le requérant, au civil, avec deux autres prévenus, à rembourser la somme précitée, majorée des intérêts moratoires et des frais et dépens de l’instance.

Appel a été interjeté de cette décision. Le requérant n’a pas comparu devant la cour d’appel de Mons, laquelle a confirmé la décision du tribunal correctionnel de Tournai.

Le requérant avait également dissimulé ces faits ainsi que l’existence de poursuites pénales au médiateur de dettes. Il a simplement tenu celui-ci au courant de la signification de l’arrêt prononcé par la cour d’appel de Mons.

Eu égard à ce qui précède, le médiateur de dettes avait sollicité la révocation du plan de règlement amiable qui avait été homologué du chef d’une absence de transparence, d’une augmentation fautive de son passif et d’une organisation de son insolvabilité de la part du requérant.

Le tribunal du travail du Hainaut, division de Tournai, avait fait droit à cette demande, prononçant la révocation de la décision d’admissibilité et du plan de règlement du chef de manquements du requérant à ses obligations, d’une augmentation fautive du passif et de fausses déclarations faites sciemment.

La cour du travail a confirmé la décision de révocation prise par le tribunal du travail en motivant sa décision comme suit:

  • «Aucune mention n’est faite dans la requête en règlement collectif de poursuites pénales, alors que (le requérant) devait avoir conscience que cela pouvait modifier son endettement et sa situation»; l’ancienneté des faits ne l’exonérait pas de son obligation d’en faire état;
  • «Il n’a jamais signalé au médiateur de dettes la procédure pénale devant le tribunal correctionnel de Tournai (ni la nature des préventions) et ensuite la condamnation qui s’est ensuivie», alors que ces éléments pouvaient modifier son endettement de manière importante;
  • «Il s’est abstenu de comparaître et de faire valoir des moyens de défense en appel», «semblant se désintéresser totalement de la procédure dès lors qu’il avait pris conscience qu’au niveau pénal, il ne risquait plus rien vu la prescription des poursuites» et ne mettant dès lors aucune action pour tenter de limiter la condamnation civile; or, «il a toujours bénéficié de l’assistance d’un conseil dans le cadre de la procédure en règlement collectif de dettes»;
  • «Il a attendu la signification de l’arrêt de la cour d’appel de Mons pour aviser, pour la première fois, le médiateur de dettes des poursuites et des condamnations civiles prononcées»;
  • «Même si les faits délictueux sont antérieurs au dépôt de la requête en règlement collectif de dettes, la dette relative aux frais de justice présente un caractère post-admissibilité (33.000 €) et ne peut pas être intégrée dans le plan de règlement amiable.»

La décision en PDF: C.T. Mons (10ème ch.), 5 avril 2016, 2016-470

TT Hainaut (division de Mons, 10e ch.), 14 mars 2016, RG n°15/776/B

Le fait que les créanciers d’un débiteur belge résidant en France soient établis en Belgique ne suffit pas à rendre le juge belge territorialement compétent pour connaître d’une demande de règlement collectif.

L’article 3, § 1er du règlement européen 1346/2000/CE du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité prévoit l’ouverture d’une telle procédure à titre principal dans l’État membre sur le territoire duquel est situé «le centre des intérêts principaux du débiteur» (article 3, § 1er du règlement). Un autre État membre ne pourrait accueillir qu’une procédure d’insolvabilité secondaire, soit une procédure de liquidation limitée aux biens du débiteur se trouvant sur le territoire de ce dernier État membre et pour autant que le débiteur possède un établissement sur ce territoire et que la procédure «principale» d’insolvabilité ait déjà été ouverte (article 3, § 2 et 3 du règlement).

En écho, l’article 118, § 1er, alinéa 1er du Code de droit international privé belge énonce que les juridictions belges ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité que dans les cas prévus à l’article 3 du règlement précité.

En l’espèce, le requérant en règlement collectif de dettes avait déménagé en France et y résidait avec son compagnon et son fils majeur. Il n’était propriétaire d’aucun immeuble en Belgique, n’exerçait aucun travail et avait un compte de paiement ouvert dans un établissement bancaire situé en France.

Ses créanciers étaient cependant établis en Belgique. En outre, il perçoit une pension de veuf de l’Office national des pensions belge et la scolarité de son fils se déroule en Belgique.

La procédure française de traitement du surendettement, n’étant pas reprise dans l’annexe A au règlement 1346/2000, ne peut voir ses effets être étendus au territoire d’un État membre autre que la France.

Étant en situation de surendettement, le requérant avait donc introduit une requête en règlement collectif auprès du tribunal du travail du Hainaut.

Celui-ci s’est déclaré incompétent et a déclaré cette requête non admissible.

Le tribunal rappelle tout d’abord que, «si le ‘centre des intérêts principaux’ du débiteur (personne physique) n’est pas défini par le règlement du 29 mai 2000, le considérant n°13 (précédant le texte dudit règlement) précise qu’il doit s’agir du lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers» et que, «pour les personnes physiques n’exerçant pas d’activité commerciale ou professionnelle, le lieu de résidence habituelle constitue un indice précieux».

Le tribunal considère ensuite que:

  • «la circonstance que le débiteur qui s’est installé dans un autre pays possède encore des créanciers dans son pays d’origine ne constitue pas en soi une indication en faveur de la compétence des tribunaux de ce pays»;
  • «il convient d’éviter que le débiteur médié puisse contracter de nouvelles dettes dans son pays de résidence, les créanciers se trouvant dans l’ignorance d’une procédure de règlement collectif de dettes en cours dans le pays d’origine».

Au regard des éléments de rattachement d’une part à la France et d’autre part à la Belgique, le tribunal du travail en déduit que le centre des intérêts principaux du requérant se situe en France et non en Belgique.

La décision en PDF: T.T. Hainaut (division de Mons – 10ème ch.), 14 mars 2016, 15-776-B

TT Bruxelles francophone (20e ch.), 13 mars 2016, RG n°09/508/B

Un contredit formé en néerlandais dans le cadre d’une procédure de règlement collectif se déroulant en français est nul et ne respecte pas les conditions de forme imposées par l’article 1675/10, § 4 du Code judiciaire.

En l’espèce, un créancier a formé un contredit à l’encontre du projet de plan amiable proposé par le médiateur de dettes.

Mais il l’a fait en néerlandais, alors que la langue de la procédure de règlement collectif de dettes était le français, langue choisie par le requérant, conformément à l’article 4, § 1er de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire.

«La loi n’impose pas au juge d’établir un plan de règlement judiciaire, mais lui en donne la faculté. Appelé ainsi à statuer sur la demande formulée au procès-verbal de carence, il peut tout aussi bien estimer que:

  • le contredit ne respecte pas les conditions de forme prévues par l’article 1675/10, § 4 du Code judiciaire;
  • le contredit constitue un abus de droit;
  • le contredit n’est pas motivé de manière adéquate, en violation avec l’article 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs;
  • l’adoption d’un plan amiable était, demeure ou est devenue possible.»

Le tribunal du travail choisit la première option, étant donné que:

  • «le contredit n’est pas un simple acte document déposé par un créancier», mais qu’«il s’agit d’un acte de procédure devant répondre à des conditions de forme» sous peine pour le contredisant d’être présumé consentir au projet de plan;
  • l’article 9, alinéa 1er de la loi du 15 juin 1935 précitée stipule que «les actes de la procédure gracieuse sont rédigés dans celle des langues qui est prévue par les articles précédents (de la loi) pour la juridiction contentieuse», soit, en l’espèce, le français;
  • en vertu de l’article 40 de la même loi, «l’acte rédigé (…) dans une langue autre que celle de la procédure (…) est nul et le tribunal doit prononcer d’office cette nullité».

La décisions en PDF: T.T. francophone Bruxelles (20ème ch.), 13 mars 2016, 09-508-B

Didier Noël,
coordinateur scientifique à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Il n’est pas exclu que cet arrêt fasse l’objet d’un pourvoi en cassation.