Attention, jurisprudence fraîche ! (janvier-mars 2016)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles issues de différentes juridictions francophones. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

T.T. Bruxelles (francophone) (20e ch.), 18 février 2016, RG n°14/344/B

Le tribunal précise que les frais de justice et la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence ne peuvent constituer des «peines» au sens de l’article 110 de la Constitution qui ne pourraient faire l’objet d’une remise de dettes dans le cadre d’une procédure de règlement collectif, vu l’article 468/1, §8, al. 5 nouveau du Code d’instruction criminelle.

«En effet, (…) l’alinéa 5 de l’article 464/1, §8 ne comporte aucun renvoi à l’article 464/1, §1er. Bien plus, il n’est même plus question dans cet alinéa 5 des “condamnations” visées au §1er (…), ce qui inclurait le paiement “d’une amende, d’une confiscation spéciale ou des frais de justice”. Il n’est question dans l’alinéa 5 que des “peines”, ce qui se comprend d’autant mieux que c’est là aussi le terme employé par l’article 110 de la Constitution. Or, seule l’amende entre dans la classification tripartite des peines opérée par les articles 7 à 43quater du Code pénal, tandis que la condamnation aux frais de justice en matière pénale constitue une “sanction d’ordre civil” qui ne peut dès lors faire l’objet d’une mesure de grâce et que la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence “est de nature sui generis et ne constitue pas une peine”. Autrement dit, nul besoin d’une grâce royale pour bénéficier d’une remise ou d’une réduction de ces condamnations accessoires.»

La décision en pdf: T.T. Bruxelles (francophone) (20ème ch.), 18 février2016, RG 14.344.B

C.T. Mons (10e ch.), 16 décembre 2015, RG n°2015/AM/313

Sur la base d’une analyse de l’arrêt du 2 octobre 2008 de la Cour constitutionnelle (134/2008), la cour rappelle que les indemnités accordées au requérant pour la réparation du préjudice lié à sa personne et causé par un acte illicite, lesquelles sont exclues de la masse et ne doivent pas être versées sur le compte de la médiation, désignent les indemnités réparant un préjudice extra-patrimonial, à savoir un préjudice correspondant aux atteintes à l’intégrité physique et/ou psychique qui n’ont pas de répercussion sur son patrimoine, autrement dit, qui n’affectent pas sa force de travail.

«Aux termes d’un arrêt prononcé le 18/3/2014 (RG 2012/AN/166, inédit), la cour du travail de Liège a défini comme suit les préjudices extra-patrimoniaux affectant le patrimoine d’une victime:

“Il s’agit de préjudices non économiques qui peuvent être synonymes de dommage moral sensu lato, dès lors qu’ils visent toutes les atteintes à l’intégrité physique et/ou psychique qui n’ont pas de répercussion sur le patrimoine d’une victime, en ce sens qu’ils n’affectent pas sa force de travail.

Le dommage moral dans son acception la plus large comprend:

  • les souffrances morales (sentiment de diminution et d’inquiétude face à l’avenir),
  • les souffrances physiques (appelées, également, quantum doloris ou pretium doloris),
  • le préjudice psychologique,
  • le préjudice d’agrément,
  • le préjudice esthétique,
  • le préjudice sexuel,
  • le préjudice d’affection,
  • etc.

La cour du travail de Liège ajouta en substance ce qui suit:“Les préjudices patrimoniaux affectent le patrimoine d’une victime. Ainsi, à titre d’exemple, le dommage corporel entraîne un préjudice patrimonial lorsqu’il cause à la victime une perte pécuniaire. Il s’agit de préjudices économiques tels que – notamment – le ‘dommage matériel’ (professionnel et extraprofessionnel), l’aide de la tierce personne, etc.”.»

La décision en pdf: C.T. Mons (10ème ch.), 16 décembre 2015, RG 2015.AM.313

T.T. Brabant wallon (7e ch. – division de Nivelles), 17 décembre 2015, RG n°2015/259/B

Une demande introduite auprès du tribunal du travail pour qu’il autorise un requérant en règlement collectif de dettes à conclure une convention de cession à son ex-conjoint de ses droits indivis dans un immeuble qu’il possède avec celle-ci peut amener le juge à en informer le ministère public sur la base de l’article 29 du Code d’instruction criminelle.

En effet, le tribunal estime qu’il y a un risque d’organisation de son insolvabilité par le requérant, compte tenu de ce que:

– le requérant ne percevrait de son ex-conjoint qu’une somme de 18.349 euros – alors que l’immeuble a été évalué à 450.000 euros – en vertu de décomptes établis entre les ex-conjoints;

– ces décomptes ont été établis dans la précipitation juste avant le dépôt de la requête en règlement collectif;

– le requérant était gérant d’une société déclarée entre-temps en faillite dont il détenait toutes les parts sociales et dont les dettes sont identiques à celles déclarées par le requérant dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes.

La décision en pdf: T.T. Brabant Wallon (7ème ch.), 17 décembre 2015, RG15-259-B

C.T. Liège (10e ch. – division de Liège), 17 novembre 2015, RG n°2015/AL/316

La cour juge non fondée la tierce opposition formée par un établissement de crédit à l’encontre d’une décision d’admissibilité, le créancier en question estimant qu’il n’y avait pas de surendettement durable et structurel au motif que la valeur vénale de l’immeuble dont la requérante était copropriétaire suffisait à rembourser ce créancier, soit la plus grande partie de l’endettement, et laisserait même un petit solde positif. 

Cet immeuble était occupé par la requérante et l’autre copropriétaire dans le cadre d’un projet d’habitat groupé. Les deux personnes avaient contracté un prêt hypothécaire pour financer l’achat de l’immeuble en question. La copropriétaire était entre-temps tombée gravement malade et la requérante allait bientôt atteindre l’âge de la retraite. La requérante et la copropriétaire avaient par ailleurs contracté un second prêt hypothécaire qui avait exclusivement bénéficié à une troisième personne et avait été «dénoncé».

«Le déséquilibre peut être la conséquence d’une seule dette.

L’immeuble en copropriété peut être réalisé sur la base de sa valeur qui est établie sur des bases objectives mais aléatoires (…) (Cass., 16 mars 2000, Pas., 2000, p. 594).

Si le patrimoine immobilier est en l’espèce susceptible d’apurer les dettes, ce n’est pas pour autant que cela se ferait sans dommage au maintien d’une vie conforme à la dignité humaine (Cass., 15 janvier 2010, JLMB, p. 1595). (…)

La valeur hypothétique du patrimoine immobilier ne peut en l’espèce faire obstacle à l’admission à la procédure: la durabilité de l’endettement ne peut être infirmée par la prise en compte du patrimoine immobilier pour les motifs suivants:

  • Le premier prêt [hypothécaire] contracté avec [l’établissement de crédit] par [la requérante] et [la copropriétaire] est scrupuleusement respecté. Ce prêt a permis de réaliser un mode d’habitat groupé, dont tout l’investissement serait anéanti, au moment même où la solidarité sociale rendue possible par cet investissement chèrement payé est indispensable à [la copropriétaire] atteinte d’un cancer.
  • Les résultats de la vente sont aléatoires et le reliquat qui en résulterait pour [la requérante] et pour [la copropriétaire] rend hypothétique, sinon gravement complexe pour une personne malade, le maintien de conditions de vie conformes à la dignité humaine. Cette conséquence comptablement vérifiée s’impose en droit, par préférence à une revendication qui a certes un fondement commercial mais qui a créé les conditions du surendettement. Commercialement, la responsabilité de [l’établissement de crédit] ou de son courtier ne relève pas de la théorie, eu égard aux effets constatés du produit financier examiné.
  • La revendication [de l’établissement de crédit] résulte des défaillances de paiement dans le cadre d’un financement au bénéfice [d’une tierce personne]. Si l’engagement de [la requérante] et de [la copropriétaire] est désormais judiciairement établi, l’éthique commerciale est mise en cause. [La requérante] et [la copropriétaire] ne contestent pas devoir ce qui est dû et [l’établissement de crédit] pourrait être payé de sa créance, sur la base de possibles plans de règlement collectif de dettes.
  • Les garanties du droit du règlement collectif de dettes ne sont pas une virtualité pour des débiteurs n’ayant pas manifestement organisé leur insolvabilité et dont la bonne foi est certaine. Ces garanties s’imposent sur la base de l’article 1675/3 du Code judiciaire, par préférence à celles distinctes du droit commun de l’exécution, vu précisément l’objectif de dignité humaine et de rétablissement de la situation financière qui est la caractéristique du règlement collectif de dettes.
  • [L’établissement de crédit] ne demeure pas sans droit puisqu’un paiement de sa créance issue du deuxième prêt [contracté au bénéfice de la tierce personne] pourrait être certain sur la base d’une combinaison entre les plans de règlement à établir, outre la garantie que lui laisse l’article 1675/13 du Code judiciaire.
  • Le maintien de l’habitat groupé crée des conditions financières meilleures pour payer [l’établissement de crédit] d’une part et pour éviter une destruction prochaine des équilibres financiers [de la requérante et de la copropriétaire].
  • La préférence réservée à la procédure de règlement collectif de dettes garantit aussi l’égalité entre les créanciers.»

 

La décision en pdf: C.T. Liège (10ème ch. – division de Liège), 17 novembre 2015, RG 2015.AL.316

C.T. Bruxelles (12e ch.), 26 janvier 2016, RG n°2015/BB/47

La cour relève des éléments qui peuvent asseoir une situation de surendettement durable et structurel.

Cette situation se vérifie en effet lorsque:

  • l’endettement du requérant trouve son origine dans une perte de revenus professionnels suite à la perte de rendement de la société qu’il gérait et à la perte d’un emploi de salarié à temps partiel, une dégradation de son état de santé et l’absence de réponse réservée à ses demandes de termes et délais;
  • il est impossible matériellement de réaliser à bref délai les droits immobiliers dont le requérant est titulaire avec cinq frères ou sœurs (nus-propriétaires) et sa mère âgée de 87 ans (usufruitière), compte tenu du refus desdits frères et sœurs de sortir d’indivision de telle sorte qu’une procédure judiciaire serait inévitable et que celle-ci entraînerait des querelles familiales.

 

La décision en pdf: C.T. Bruxelles (12ème ch.), 26 janvier 2016, RG 2015.BB.47

C.T. Mons (10e ch.), 3 novembre 2015, RG n°2015/AM/325

Une compensation légale ne peut intervenir lorsqu’elle implique une dette alimentaire déclarée insaisissable (art. 1293, 3° du Code civil). Par contre, une compensation conventionnelle impliquant une telle créance n’est pas interdite. C’est ce que rappelle la cour du travail de Mons en qualifiant d’abus de droit le contredit formé par une créancière d’aliments contre un projet de plan de règlement amiable prévoyant une compensation entre la créance d’aliments et les sommes dues par la créancière au requérant sur la base des conventions préalables au divorce par consentement mutuel intervenues entre les parties.

«Le juge doit examiner toutes les solutions susceptibles d’aboutir de façon préférentielle à la conclusion d’un plan amiable lequel, par définition, offre des possibilités d’investigation et de négociation plus souples et plus efficaces entre le débiteur et les créanciers tout en rencontrant avec moins d’effets dommageables les attentes légitimes de toutes les parties concernées.

La cour de céans n’ignore pas que le plan de règlement amiable doit respecter le droit commun des obligations quant à ses conditions de formation, de forme et ses conséquences entre parties (voyez: J.-F. Ledoux, «La phase amiable» in Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, sous la coordination de Chr. Bedoret, Anthémis, 2015, p. 195).

Il n’en demeure toutefois pas moins que le plan amiable est régi par l’autonomie de la volonté, ce qui signifie qu’il s’inscrit dans une phase conventionnelle dans le cadre de laquelle les créanciers et le médié sont libres de convenir des modalités d’apurement du passif ante-admissibilité, sous réserve des restrictions apportées par la loi du 26/3/2012 (pour le détail de ces restrictions, voyez: F. Étienne, «Le contenu du plan amiable» in Le règlement collectif de dettes, sous la direction de J. Hubin et Chr. Bedoret, cup, vol. 140, Larcier, 2013, p. 179).

(…)

Dès lors que les efforts poursuivis par le médiateur pour tenter d’élaborer un plan amiable s’inscrivent dans un cadre purement conventionnel, il n’est pas pertinent, dans le chef de Mme D.R., d’exciper de l’article 1293, 3° du Code civil pour s’opposer à la compensation entre les dettes contractuelles dont elle est redevable à l’égard de M.P. et les dettes alimentaires de ce dernier à son encontre.

Il est tout aussi inutile pour Mme D.R. de tirer argument de l’arrêt rendu le 14/11/2013 par la cour d’appel de Mons, saisie de l’appel diligenté par M.P. à l’encontre d’un jugement ayant refusé d’ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt exécution pratiquée à la requête de Mme D.R. entre les mains de son employeur, débiteur de son salaire.

En effet, l’article 1293, 3° du Code civil constitue une disposition qui réglemente la compensation légale.

[Le] comportement [de Mme D.R.] est assurément constitutif d’un abus de droit, alors qu’elle est susceptible de bénéficier de deux avantages concrets si elle acceptait la proposition de compensation qui lui était soumise par le médiateur:

  1. l’adhésion à pareille proposition lui permettrait assurément d’échapper au risque d’exécution forcée susceptible d’être pratiquée à son encontre par M.P.: en effet, ce dernier pourrait être autorisé par le tribunal du travail, sur la base de l’article 1675/7, §3 du Code judiciaire – et pourrait même y être contraint à titre de mesure d’accompagnement dans le cadre d’un plan judiciaire –, à récupérer les sommes dont lui est redevable MmeR. dans la perspective de rembourser de manière optimale les créanciers selon l’objectif visé à l’article 1675/3, alinéa 3 du Code judiciaire;
  2. Mme  D.R. serait assurément avantagée personnellement par ce mécanisme de compensation conventionnelle puisque sa créance s’en trouverait remboursée, alors que, si la récupération forcée devait intervenir, elle aurait nécessairement lieu au bénéfice de tous les créanciers (les sommes récupérées seraient, en effet, versées sur le compte de la médiation qui constitue l’un des volets actifs de la masse).»

La décision en pdf: C.T. Mons (10ème ch.), 3 novembre 2015, RG 2015.AM.325

Didier Noël,

coordinateur scientifique de l’Observatoire du crédit et de l’endettement