Attention jurisprudence fraîche ! (juillet-septembre 2016)

021-24

CT Mons (10e ch.), 21 juin 2016, RG n°2016/BM/3

Le centre des intérêts principaux d’un requérant en règlement collectif de dettes n’est pas nécessairement son domicile! Dans le numéro du mois de juin 2016, nous avions évoqué un jugement du 14 mars 2016 de la 10e chambre du tribunal du travail du Hainaut ayant déclaré non admissible une requête en règlement collectif introduite par une personne physique domiciliée en France, nonobstant divers liens de rattachement à la Belgique. Appel a été formé par le requérant contre cette décision. La cour du travail de Mons a eu un raisonnement différent de celui du tribunal du travail, fondé sur une analyse de la notion de centre des intérêts principaux.

Pour rappel, une procédure de règlement collectif de dettes peut être ouverte en Belgique à titre de procédure principale d’insolvabilité si le requérant y possède le centre de ses intérêts principaux. C’est ce que prévoit tant l’article 3, §1er du règlement européen 1346/2000/CE du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité que l’article 118, §1er, alinéa 1er du Code belge de droit international privé.

L’affaire dont le tribunal du travail du Hainaut était saisi concernait un requérant résidant en France avec son fils majeur. Certes, il n’avait pas de résidence en Belgique, n’y travaillait pas et n’était propriétaire d’aucun immeuble dans ce pays. Il avait également un compte de paiement ouvert dans un établissement bancaire localisé en France.

Ce sont ces éléments qui avaient amené le tribunal du travail à conclure que le centre des intérêts principaux du requérant était en France et, dès lors, à se déclarer incompétent pour connaître de la requête en règlement collectif. Aussi bien le tribunal du travail que la cour du travail ont rappelé que le règlement européen ne définissait pas le concept de «centre des intérêts principaux».

Mais l’analyse des deux juridictions a divergé quant à l’importance du lieu du domicile ou de la résidence du requérant. En effet, le tribunal du travail a vu dans le «lieu de résidence habituelle» un indice précieux pour déterminer le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’exerçant pas une activité commerciale ou professionnelle.

Par contre, la cour du travail a souligné le fait que le centre des intérêts principaux d’une personne physique n’était pas présumé se trouver au lieu de son domicile ou de sa résidence principale, alors que, «pour les personnes morales, le règlement présume, jusqu’à preuve du contraire, que le centre des intérêts principaux est le lieu du siège statutaire (Règlement, art. 3.1)».

Pour cerner la notion de centre des intérêts principaux, tant le tribunal du travail que la cour du travail se sont référés au considérant n°13 du Règlement (précédant le texte de ce dernier) suivant lequel «le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers».

Les deux juridictions ont eu égard au fait que le centre des intérêts principaux devait pouvoir être vérifié par les tiers.

La cour du travail a simplement rappelé que «le caractère vérifiable par les tiers permet de rattacher la compétence en matière de procédure d’insolvabilité à un lieu connu des futurs créanciers du débiteur, le risque d’insolvabilité étant un risque prévisible (cf. Raimon, M., Centre des intérêts principaux et coordination des procédures dans la jurisprudence européenne sur le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, J.D.I. [Fr.], 2005, liv. 3, p. 749, se référant au rapport Virgos-Schmit du 8 juillet 1996 sur la Convention relative aux procédures d’insolvabilité)».

Mais le tribunal du travail, quant à lui, a considéré que le centre des intérêts principaux devait être connu des tiers parce qu’il convenait «d’éviter que le débiteur médié puisse contracter de nouvelles dettes dans son pays de résidence, les créanciers se trouvant dans l’ignorance d’une procédure de règlement collectif de dettes dans le pays d’origine», et que, dès lors, en l’espèce, le centre des intérêts principaux devait être localisé en France, la circonstance que le requérant possède encore des créanciers en Belgique ne constituant pas un élément pertinent.

La cour du travail s’est plutôt concentrée sur la première partie de la description que le considérant n°13 donne du centre des intérêts principaux et a recherché le sens du mot «intérêts»: «Il faut entendre par intérêts “toute activité économique au sens large” susceptible d’inclure les activités des particuliers (cf. Watte, N., Marquette, V., Le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, R.D.C., 2001, 565-579, spéc. p. 571).»

C’est sur cette base que la cour du travail a conclu qu’«en l’espèce, un ensemble d’éléments convergent pour considérer qu’indépendamment de sa résidence en France, [le requérant] a, en Belgique, le centre de ses intérêts principaux au sens du Règlement européen:

  • sa source de revenus est belge puisqu’il perçoit une pension de veuf versée par l’ONP;
  • son fils adoptif, N, avec lequel il réside est scolarisé en Belgique et bénéficie d’allocations familiales (personnes handicapées) versées par l’ONAFTS; en outre, il fait l’objet d’une décision d’administration provisoire ordonnée par une juridiction belge et c’est l’administrateur provisoire belge [un avocat] qui verse [au requérant] les allocations familiales auxquelles il a droit;
  • l’origine de son endettement est principalement issue d’ouvertures de crédit (cartes de crédit) et de crédits consentis par des organismes financiers belges;
  • le règlement du litige qui l’opposera le cas échéant aux héritiers de son époux, feu Monsieur J. D., et qui pourrait avoir une incidence sur la procédure de règlement collectif de dettes concerne un immeuble sis en Belgique… et aura lieu en Belgique, en concertation avec l’administrateur provisoire belge».

La cour du travail a ajouté que les créanciers du requérant avaient un droit de regard permanent sur l’origine et le montant des ressources du requérant étant donné qu’elles provenaient d’institutions de sécurité sociale belges et que ce droit de regard pourrait s’exercer en France «dès lors que, suivant l’article 17.1 du Règlement CE, la décision d’admissibilité produit “sans aucune autre formalité” dans tout État membre les effets que lui attribue la loi belge et que l’article 18.1 [du Règlement] établit que le médiateur désigné peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture de la procédure».

La cour évoquait ici les créanciers belges existants, alors que, dans le cadre de son raisonnement pour identifier le centre des intérêts principaux du requérant, le tribunal du travail pensait aux éventuels futurs créanciers français…

La décision en PDF:  CT Mons (10e ch), 21-juin-2016, RG n°2016/BM/3

CT Bruxelles (12e ch. extraordinaire), 12 juillet 2016, RG n°2015/BB/16

Il est justifié que le tribunal du travail, confronté à une requête en règlement collectif de dettes sommaire et incomplète, sollicite des informations complémentaires de la part du requérant, spécialement lorsque celui-ci a géré une société commerciale déclarée en faillite. Il s’agit de vérifier si ce requérant n’a pas la qualité de commerçant, même si, a priori, le gérant ou l’administrateur délégué d’une telle société ne l’est pas, d’apprécier sa bonne foi procédurale et de s’assurer qu’il n’a pas manifestement organisé son insolvabilité.

Le requérant en règlement collectif de dettes était le gérant d’une société privée à responsabilité limitée qui exploitait un garage automobile et l’administrateur délégué d’une société anonyme «immobilière» possédant l’immeuble abritant le garage en question. Ses mandats n’étaient pas rémunérés, à tout le moins pour la première de ces deux sociétés un an et demi avant qu’elle ne soit déclarée faillie.

Les deux sociétés avaient été déclarées en faillite respectivement les 15 juin 2009 et 7 février 2011 et le requérant avait été désigné comme liquidateur dans les deux cas. La faillite de la première de ces sociétés avait été clôturée le 20 juin 2011.

Le requérant s’était engagé avec la personne avec laquelle il cohabitait comme caution solidaire et indivisible en faveur de l’établissement bancaire qui avait consenti une ouverture de crédit d’un montant de 362.514,05 euros à la société privée à responsabilité limitée. Le père du requérant avait également mis en gage une série d’actions pour garantir le remboursement de cette ouverture de crédit. Ces actions ainsi qu’un immeuble appartenant au requérant et à l’ancienne cohabitante avaient été vendus au bénéfice de l’établissement bancaire en question. La dette due à ce dernier s’élevait encore à 37.354,65 euros, outre des intérêts de retard au taux de 13,5% l’an à compter du 12 mars 2013.

Le requérant vivait seul avec sa fille âgée de 18 ans et demi qui poursuivait des études universitaires. Il travaillait désormais comme salarié et percevait une rémunération de 1.789,25 euros par mois, outre un pécule de vacances et une prime de fin d’année. Il ne possédait plus aucun avoir immobilier. Ses revenus, mis en balance avec ses charges et son endettement, ne lui permettaient pas de rembourser ses dettes échues ou à échoir dans un délai raisonnable.

Ses créanciers comprenaient l’établissement bancaire précité, une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants à laquelle il devait d’importants montants de cotisations sociales, le Service public fédéral Finances, son père et son ancienne cohabitante envers laquelle il était redevable de 150.000 euros. L’essentiel de cet endettement trouvait son origine, suivant le requérant, dans la faillite des deux sociétés précitées.

Diverses procédures d’exécution forcée ayant été diligentées contre lui, le requérant avait sollicité le bénéfice de la procédure de règlement collectif de dettes.

Le tribunal francophone du travail de Bruxelles avait sollicité diverses informations de la part du requérant, vraisemblablement par rapport aux procédures de faillite et à leurs suites, et ne les avait pas obtenues. C’est la raison pour laquelle, le 8 avril 2015, il a déclaré non admissible une demande de règlement collectif de dettes par trop sommaire et incomplète. Le tribunal du travail avait notamment relevé «qu’une information pénale était en cours pour de possibles malversations dans la gestion de la société». Le requérant avait formé appel contre cette décision le 13 mai 2015.

Dans un arrêt avant dire droit, quant au fond rendu le 22 mars 2016, la cour du travail avait elle aussi posé plusieurs questions au requérant.

Dans l’arrêt du 12 juillet 2016 qui nous occupe ici, elle rappelle que:

«la phase unilatérale de l’admissibilité requiert un examen urgent, vu les effets de la procédure»;

– à ce stade, «le contrôle à exercer par le juge ne peut qu’être limité»;

«le législateur a voulu accélérer le cours des procédures, dans le cadre de la compétence de contrôle du juge».

Mais elle souligne également que:

  • «un contrôle judiciaire s’impose à tous les stades de la procédure, en ce compris dès la phase de l’admissibilité»;
  • «il n’y a aucun doute sur la nécessité de devoir vérifier la bonne foi (procédurale) dès le dépôt de la requête» et «c’est cette bonne foi procédurale qui justifie la possibilité de solliciter des informations complémentaires, à peine de refuser l’admissibilité»;
  • «outre celle de la qualité de commerçant, la question d’une organisation d’insolvabilité doit être posée».

La cour relève en outre que, dans le cas de requérants en règlement collectif ayant été autrefois des gérants de sociétés commerciales, le juge doit veiller à ce que les compétences du tribunal de commerce (qui connaît de la faillite des commerçants) et du tribunal du travail (qui connaît des demandes de règlement collectif de dettes introduites par des non-commerçants) soient exercées de manière cohérente.

Or, si le gérant d’une société commerciale n’est pas, en cette qualité, un commerçant, la cour énonce, de manière fondamentale, que le seul fait de cette gérance «ne peut suffire à justifier une admissibilité». Elle attire l’attention sur le fait qu’au-delà des présentations formelles, «des confusions de patrimoines (entre celui du requérant et celui de la société qu’il gérait) ne sont pas à exclure». Il importe dès lors de connaître la manière dont une société a fonctionné du point de vue du droit social, du droit fiscal et du droit comptable et de pouvoir examiner la comptabilité de cette société.

En l’espèce, la cour n’a peut-être pas obtenu toutes les informations qu’elle attendait. Mais, sur la base des rapports déposés dans le cadre des faillites des deux sociétés en cause et des renseignements relatés ci-dessus quant à la situation familiale, sociale, patrimoniale et financière du requérant, elle a réformé la décision du tribunal du travail et a admis le requérant à la procédure de règlement collectif en appliquant l’équilibre – qu’elle avait rappelé – à respecter entre la nécessité de limiter le contrôle judiciaire au stade de l’admissibilité et celle de disposer d’un minimum de renseignements notamment dans la situation très particulière des anciens gérants de sociétés commerciales.

La décision en PDF: CT Bruxelles (12e ch extraordinaire), 12 juillet 2016, RG n°201/BB/16

TT Bruxelles (francophone) (21e ch.), 28 avril 2016, RG n°14/441/B

Le tribunal du travail a repris la jurisprudence qu’il partage avec la cour du travail de Bruxelles à propos de la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et des frais de justice que la personne condamnée à une peine d’amende doit payer parallèlement à celle-ci: contrairement à l’amende, la contribution et les frais en question peuvent faire l’objet d’une remise de dettes dans le cadre d’un plan amiable ou judiciaire de règlement collectif de dettes. Nous renvoyons le lecteur notamment à l’arrêt du 10 mai 2016 de la 10e chambre de la cour du travail de Bruxelles (RG n°2016/AB/173) publié dans le numéro du mois de juin et au jugement du 18 février 2016 de la 20e chambre du tribunal du travail de Bruxelles (RG n°14/344/B) publié dans le numéro de mars. Au-delà de cette question, les dispositions du plan de règlement judiciaire méritent d’être décrites.

Le requérant était âgé de près 60 ans. Il était divorcé et vivait avec un de ses enfants âgé de 13 ans. Étant incapable d’encore travailler, il percevait des revenus de remplacement et des allocations familiales pour un montant total de 2.090,62 euros par mois. Ses charges courantes incompressibles s’élevaient à 1.437 euros par mois. Son endettement a été chiffré par lui-même à 28.203,01 euros et, en ce qui concernait le principal uniquement, par le médiateur de dettes à 22.384,12 euros.

La demande de règlement collectif a été introduite le 2 avril 2014 et déclarée admissible le 11 juillet 2014. Le 4 août 2015, le médiateur de dettes a proposé un projet de plan de règlement amiable qui s’était heurté au seul contredit du Service public fédéral Finances, celui-ci estimant que, contrairement à ce que le projet de plan prévoyait, les frais de justice que le requérant avait été condamné à payer par le tribunal de police – en même temps qu’une amende – ne pouvaient faire l’objet d’une remise de dettes. Faute d’obtenir un accord sur son projet, le médiateur a déposé le 30 décembre 2015 un procès-verbal de carence.

Dans son jugement du 28 avril 2016, le tribunal du travail a arrêté un plan de règlement judiciaire sur la base de l’article 1675/12 du Code judiciaire, comportant les éléments suivants:

  • la durée du plan était fixée à cinq ans au maximum conformément à la proposition du médiateur, mais, contrairement à celle-ci, le point de départ est fixé au 1ermai 2016 et non à la date de la décision d’admissibilité;
  • à l’instar de ce qu’avait fait le médiateur, le juge fixait le pécule de médiation à un montant légèrement supérieur à celui des charges courantes, soit 1.550 euros par mois, indexé annuellement sur la base de l’indice santé;
  • ce montant pouvait être adapté ultérieurement de commun accord entre le médiateur et le requérant pour autant qu’il n’en vienne pas à dépasser 1.700 euros; dans ce dernier cas, l’augmentation était soumise à l’autorisation du juge; celui devait également trancher en cas de désaccord persistant entre le requérant et le médiateur;
  • la partie des revenus excédant le pécule de médiation était affectée, dans l’ordre, au paiement des frais et honoraires du médiateur de dettes et d’éventuelles dettes de la masse, à d’éventuelles retenues à décider par le médiateur pour couvrir des dépenses exceptionnelles et au remboursement des créanciers;
  • le principal des créances en concours devait être intégralement remboursé dans le cadre du plan, le requérant bénéficiant d’emblée d’une remise de tous les intérêts de retard, indemnités, clauses pénales, majorations et frais;
  • la somme déposée sur le compte de la médiation (11.028,25 euros) devait être répartie, dès la notification du jugement, entre les créanciers au marc l’euro, après le paiement des frais et honoraires du médiateur (1.280,49 euros);
  • les dividendes revenant ultérieurement aux créanciers devaient être répartis entre eux suivant les mêmes modalités, annuellement à partir du 1ermai 2017;
  • les sommes se trouvant sur le compte de la médiation au terme du plan, en cas de révocation ou si la procédure prenait fin prématurément, devaient être réparties entre les créanciers au marc l’euro, une fois le solde des frais et honoraires du médiateur et les éventuelles dettes de la masse réglés;
  • ces sommes ne devaient revenir au requérant que si le plan avait bien été exécuté, si le principal des créances était remboursé;
  • toute créance née antérieurement à l’admissibilité, mais non encore connue devait être intégrée dans le plan pour autant qu’elle ait été déclarée au médiateur, à compter du jour de cette déclaration; les dividendes devant revenir ultérieurement aux créanciers seraient ajustés pour tenir compte des répartitions déjà opérées;
  • au terme du plan, le médiateur devait déposer un rapport de clôture;
  • dans ce cas, le juge devait rendre un jugement constatant ce fait et le fait que le plan avait ou non été exécuté, décider que le requérant était ou non déchargé de ses obligations envers les créanciers, taxer les derniers frais et honoraires du médiateur, décharger celui-ci de sa mission et clôturer la procédure;
  • si un créancier n’avait pas communiqué le numéro de son compte au médiateur et si, par cette négligence, le médiateur était incapable de lui verser son dividende, ce dernier devait être consigné sur le compte de la médiation pour être distribué aux autres créanciers à la fin de la procédure.

Si le pécule de médiation se situait ou venait à se situer en dessous du montant de revenus insaisissables ou incessibles, le tribunal justifiait cette situation de la manière suivante:

  • le pécule de médiation garanti au requérant lui permettait, ainsi qu’à son enfant, de mener une vie conforme à la dignité humaine;
  • les efforts que le requérant devait consentir étaient limités dans le temps;
  • le requérant bénéficiait de la remise de tous les accessoires assortissant les créances.

La décision en PDF: TT Bruxelles francophone (21e ch), 28 avril 2016, RG n°14/441/B

Didier Noël,
coordinateur scientifique de l’Observatoire du crédit et de l’endettement