Attention, jurisprudence fraîche (octobre-décembre 2017)

RCD

Attention, jurisprudence fraîche!

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, en l’occurrence en degré d’appel. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

CT Mons (10e ch.), 20 juin 2017, RG n°2017/BM/12

Le tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, avait déclaré la demande en règlement collectif de dettes du requérant non admissible aux motifs:

–   que l’endettement du requérant, consistant principalement en des amendes pénales et en une créance du Fonds commun de garantie automobile, démontrait une totale indifférence à la sanction pécuniaire;

–   que le requérant contribuait, par ses infractions multiples, à se rendre insolvable;

–   que, par son comportement, aucune possibilité de remboursement des créanciers ni de rétablissement de sa situation financière n’était envisageable.

Le requérant interjette appel de cette décision estimant que la nature des dettes n’a pas d’incidence sur l’accès à la procédure, qu’il ne peut se déduire de l’existence d’amendes pénales que le requérant ait organisé son insolvabilité et que la capacité de remboursement ne peut pas être exigée au stade de l’admissibilité.

La cour constate que 72% de l’endettement est constitué d’amendes pénales qui ne peuvent entraîner, en vertu de l’article 464/1, §8, alinéa 5 du Code d’instruction criminelle, aucune remise de dettes.

À cette occasion, la cour rappelle qu’il ressort des travaux préparatoires que la remise ou la réduction de peines (peines pécuniaires pénales et confiscations) dans le cadre d’une telle procédure d’insolvabilité collective ne peut être consentie que par l’octroi de la grâce royale (article 110 de la Constitution) et que les articles 1675/10, 1675/12 et 1675/13bis du Code judiciaire concernant la remise de dettes dans le cadre d’un règlement collectif de dettes ne peuvent y porter atteinte en tant que norme juridique inférieure (Doc. Parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2934/001 et DOC 53-2935/001, p. 12).

La cour fait également référence à l’ouvrage de C. Bedoret, qui qualifie ces amendes pénales de «super-incompressibles» tant dans le cadre d’un plan judiciaire que dans celui d’un plan amiable (Ch. Bedoret, «Le règlement collectif de dettes et… les amendes pénales super-incompressibles», BSJ, 9/2014, p. 3, n°526).

L’interdiction de remise des amendes pénales est absolue et vaut tant pour le principal que pour les intérêts. L’appelant ne pourra donc pas bénéficier d’une remise de ses dettes pénales, celles-ci n’étant pas «hors plan» mais «hors remise de dettes».

Partant du constat que 72% du passif ne peut pas faire l’objet d’une remise de dettes, la cour examine la possibilité de remboursement de l’appelant et constate que celle-ci est nulle et qu’il n’y a aucune possibilité de rétablissement de la situation financière.

En effet, l’appelant perçoit une aide sociale d’un montant de 300 euros qui est entièrement absorbée par ses charges et n’est propriétaire d’aucun immeuble. De plus, malgré ses dires, la perspective de la signature prochaine d’un contrat article 60, à l’issue de la prestation des heures d’intérêt général auxquelles il a été condamné, n’est pas confirmée par son assistante sociale.

En outre, la cour, constatant que l’appelant n’a jamais tenté de verser le moindre centime à ses créanciers, qu’il a perduré dans la délinquance et qu’il retire systématiquement au distributeur le montant de l’aide sociale dès son versement sans justificatif, estime que ce dernier démontre son intention de se soustraire frauduleusement à ses obligations, en se rendant insolvable.

Par conséquent, la cour confirme l’ordonnance de non-admissibilité, estimant que, dans ces conditions, admettre l’appelant au bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes n’aurait pour seule conséquence que de suspendre provisoirement les poursuites de ses créanciers, ce qui détournerait la loi de son objectif.

La décision en PDF ici: C. Trav. Mons (10e ch.) 20.06.2017 (R.G. 2017.BM.12)

CT Mons (Chambre des vacations), 26 juillet 2017, RG 2017/BM/21

Les requérants sollicitaient l’autorisation du tribunal du travail du Hainaut, division Tournai, de signer un contrat de bail, de débloquer la somme de 1.400 euros à titre de garantie locative et la somme de 595 euros pour payer les frais d’agence. Le tribunal a refusé l’autorisation sollicitée au motif que le loyer était trop élevé par rapport au projet de plan amiable (loyer de 600 euros dans un premier temps et de 700 euros lorsque deux garages auront été construits avec possibilité de sous-location) et que le bail avait en fait déjà été signé sans demande préalable.

Les requérants interjettent appel de l’ordonnance refusant l’autorisation.

Entre-temps, les sommes de 1.400 euros et 595 euros ont finalement été avancées par la mère du requérant (sur un compte bloqué pour la garantie locative et de la main à la main pour les frais). Cette dernière en sollicite le remboursement.

La cour du travail rappelle que, dès la décision d’admissibilité, l’article 1675/7 §3 du Code judiciaire interdit au requérant, sauf autorisation du juge:

  • d’accomplir tout acte étranger à la gestion normale du patrimoine;
  • d’accomplir tout acte susceptible de favoriser un créancier, sauf le paiement d’une dette alimentaire mais à l’exception des arriérés de celle-ci;
  • d’aggraver son insolvabilité.

Sans autorisation du juge, l’acte est inopposable aux créanciers. L’autorisation peut toutefois être donnée a posteriori lorsqu’il est accompli en urgence pour faire face à la mise en péril du droit à la dignité humaine.

La cour estime pouvoir donner une réponse favorable à une demande d’autorisation pour autant qu’elle réponde à trois critères:

1° l’octroi est légitimé par un critère de base: le droit à la dignité humaine, l’apurement des dettes et le respect des obligations qui touchent à l’ordre public (cotisations, contributions, précompte immobilier…), qui sont en lien avec le plan de règlement (paiement du prêt hypothécaire…) ou vis-à-vis des titulaires d’une créance incompressible;

2° l’octroi est conforté par la balance des critères complémentaires: unicité de la dépense, faisabilité économique, perspective de désendettement, investissement du demandeur, fréquence des demandes,…;

3° le respect des exigences formelles: précision de la demande, production de justificatifs, de la dernière grille budgétaire et communication du solde du compte de médiation.

En l’espèce, la cour précise que le premier critère est rempli: le droit au logement relève du droit des requérants et de leur fils de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine. De plus, le requérant ayant récemment conclu un contrat de travail, elle estime que le loyer est raisonnable et que la possibilité d’adopter un plan est toujours d’actualité et n’est nullement mise en péril par la signature du contrat de bail. En outre, le compte de médiation permet la prise en charge de la garantie locative prévue contractuellement. Ces critères complémentaires mis en balance permettent d’accéder à la demande d’autorisation en ce qui concerne la délivrance de la garantie locative et la signature du contrat.

À cela s’ajoute le fait que la demande est postérieure à la signature du contrat de bail; la Cour est ainsi amenée à se pencher sur le contexte entourant celle-ci et estime qu’elle a été justifiée par l’urgence: en effet, les requérants résidaient de manière précaire dans un logement d’urgence prêté par le CPAS et risquaient de se retrouver sans domicile vu la demande d’expulsion introduite devant la justice de paix. La signature du contrat est donc intervenue dans un contexte d’urgence. L’absence d’autorisation préalable du juge est donc justifiée.

Enfin, concernant la demande relative aux frais de l’agence immobilière, le contrat de bail prévoit exclusivement la prise en charge par le locataire de la moitié des frais de l’état des lieux d’entrée dressé par l’agence. Or, la somme de 595 euros ne correspond nullement à la moitié du coût de l’état des lieux d’entrée. Le requérant n’apporte aucune preuve quant à la justification de ce poste (courrier de l’agence, rappel, reçu,…). La cour considère qu’il n’y a pas lieu de procéder au remboursement de cette somme.

La cour du travail de Mons déclare donc l’appel partiellement fondé et délaisse les dépens aux appelants s’agissant d’une contestation ayant trait à une demande d’autorisation.

La décision en PDF iciC. Trav. Mons (Ch. des vacations) 26.07.2017 (R.G. 2017.BM.21)

CT Mons (Chambre des vacations), 26 juillet 2017, RG 2017/BM/26

Dans la requête introductive, la requérante, âgée de 26 ans et vivant avec ses deux jeunes enfants, faisait état d’un endettement de 3.507,09 euros et mentionnait des charges évaluées aux environs de 1.263 euros par mois pour des revenus mensuels nets de 1.614 euros composés d’un revenu d’intégration, d’allocations familiales et d’une part contributive.

Le tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, avait déclaré sa requête en règlement collectif de dettes non admissible, au motif que son endettement ne présentait pas un caractère durable et structurel dès lors qu’au regard de ses revenus, de ses charges et du faible montant de ses dettes, un disponible mensuel, évalué par la requérante à 350 euros, pourrait être dégagé, permettant la négociation à l’amiable du remboursement des créanciers dans un délai raisonnable.

La requérante interjette appel de l’ordonnance de non-admissibilité rendue par ce tribunal.

Étant amenée à se prononcer sur l’appel d’une ordonnance de non-admissibilité, la cour rappelle les conditions de cette admissibilité, les obligations qui, dès le dépôt de la requête en règlement collectif de dettes et tout au long de la procédure, pèsent sur le requérant concernant les informations précises et actualisées, et les documents exacts à fournir ainsi que l’obligation de bonne foi procédurale.

La cour se penche ensuite sur la condition de l’endettement durable, en soulignant que «celle-ci ne dépend ni du seul niveau des dettes en principal et en accessoire, ni du seul niveau des revenus du débiteur, ni du seul niveau de la quotité disponible résultant de la différence entre ses revenus et ses charges ni encore de l’existence d’avoirs mobiliers ou immobiliers mais de la perspective d’aboutir à une extinction de l’endettement dans un délai raisonnable à la lumière tant de la capacité effective de remboursement du débiteur que de l’attitude des créanciers».

En l’espèce, la cour relève:

–   que, vu l’approximation de la grille budgétaire, annexée à la requête introductive d’instance, certains postes tels que les frais de déplacement, les frais d’entretien et les frais de loisirs n’ayant pas été budgétisés et le poste «alimentation et frais vestimentaires» ayant été manifestement sous-évalué, la quotité disponible avoisine en réalité 200 euros par mois;

–   que l’endettement, fixé à 3.507,09 euros dans la requête et retenu par le premier juge, ne porte que sur le montant dû en principal alors qu’il convient, dans l’évaluation de l’endettement, de prendre également en considération le montant dû en accessoire (intérêts, frais, pénalités, etc.);

–   qu’il apparaît que, malgré un plan de paiement négocié par un CPAS, la requérante n’est pas parvenue, depuis près de deux ans et demi, à rembourser ses créanciers;

–   que le compte de la requérante présente un solde créditeur d’un faible montant (21,72 euros).

Sur la base de ces éléments, la cour réforme l’ordonnance de non-admissibilité estimant qu’il n’existe, dans le chef de la requérante, aucune perspective d’aboutir à une extinction de son endettement dans un délai raisonnable, tel qu’un délai de 12 mois et que, par conséquent, présentant une situation d’endettement durable, la requérante remplit toutes les conditions pour être admise dans la procédure en règlement collectif de dettes.

La décision en PDF iciC. Trav. Mons (Ch. des vacations) 26.07.2017 (R.G. 2017.BM.26)

TT Brabant wallon (division Nivelles) (7e ch.), 8 juin 2017, RG 10/238/B

Le tribunal du travail est appelé à se prononcer sur l’affectation, soit aux créanciers, soit au requérant, du remboursement d’impôt qui a été versé sur le compte de la médiation après la fin théorique du plan judiciaire imposé pour une durée de trois ans, mais avant la décision de clôture de la procédure.

À cette occasion, le tribunal rappelle que «la durée de la procédure en règlement collectif de dettes ne se confond pas avec la durée du plan amiable ou judiciaire, la procédure peut survivre à la durée du plan, et qu’elle se termine par la décision de clôture prise par le tribunal».

Il poursuit en faisant référence à la position défendue par Ch. André, qui admet, à défaut de stipulation expresse dans le plan concernant l’affectation des sommes, que, «pour les sommes encore versées sur le compte de la médiation après le terme du plan, (…) les effets de la décision d’admissibilité se prolongent jusqu’à la fin de la procédure de règlement collectif de dettes». (Ch. André, «Le terme de la procédure en règlement collectif de dettes» in Le règlement collectif de dettes, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 242).

En l’espèce, le tribunal constate que ce remboursement d’impôt concerne des revenus portant sur une année durant laquelle le plan judiciaire était encore en cours et durant laquelle, par conséquent, ces revenus étaient encore soumis aux retenues en faveur des créanciers, de sorte que, dans l’hypothèse d’une retenue moins importante de précompte professionnel, le disponible pour les créanciers aurait été plus élevé.

Le tribunal est donc d’avis que ce remboursement, même s’il a été versé sur le compte de la médiation après la fin du plan mais avant la clôture de la procédure, concerne des revenus acquis pendant la durée du plan et doit, par conséquent, être réparti, sous réserve de frais et honoraires du médiateur, entre les créanciers du requérant.

La décision en PDF ici:T.T. Brabant Wallon (7e ch. – Div. Nivelles) 8.06.2017 (R.G. 10.238.B)

Sabine Thibaut et Virginie Sautier,
juristes à l’Observatoire du crédit et de l’endettement