RCD Attention, jurisprudence fraîche! (janvier/février/mars 2021)

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

1. Cour constitutionnelle, 17 décembre 2020 (n°166/2020)

Règlement collectif de dettes – Remise de dettes – Dettes incompressibles – Indemnités pour la réparation d’un préjudice corporel causé par une infraction – Indemnités pour la réparation d’un préjudice moral causé par une infraction pour violation de l’intégrité psychique et sexuelle – Article 1675/13, §3, CJ – Violation des articles 10 et 11 de la Constitution si le préjudice moral n’est pas compris dans le préjudice corporel.

Le requérant est admis à la procédure de règlement collectif de dettes depuis le 26 juin 2015. Le médiateur demande, en septembre 2017, l’homologation d’un plan de règlement amiable d’une durée de sept ans qui prévoit le remboursement de la moitié de l’endettement.

Fin 2016, le requérant est condamné par le tribunal correctionnel à payer à l’une de ses créancières des indemnités à la suite d’une atteinte extrême à son intégrité psychique et sexuelle. Son préjudice moral est fixé à la somme de 8.500 euros, majorée des intérêts. Celle-ci s’oppose au plan amiable, au motif qu’elle trouve inadmissible qu’une partie de sa créance puisse faire l’objet d’une remise de dettes.

Comme un créancier s’oppose au plan, le tribunal doit, en principe, imposer un plan de règlement judiciaire. De ce fait, le juge serait contraint d’imposer une remise partielle de dettes. Dès lors, il se demande si le fait d’imposer une remise de dettes au créancier qui n’a obtenu «que» la réparation d’un préjudice moral, et non d’un préjudice corporel – qui ne peut faire l’objet d’une remise de dettes dans le cadre de la procédure –, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination.

Le tribunal pose donc la question préjudicielle suivante à la Cour constitutionnelle:

«L’article 1675/13, § 3, deuxième tiret, du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s’il est interprété en ce sens que le juge ne peut pas décider la remise de dettes constituées d’indemnités accordées pour la réparation d’un préjudice corporel causé par une infraction, alors que le juge peut décider la remise de dettes constituées d’indemnités accordées pour la réparation d’un préjudice moral causé par une infraction pour violation de l’intégrité psychique et sexuelle de la victime, en ce que deux catégories de personnes se trouvant dans la même situation de victime seraient ainsi traitées différemment, selon que l’auteur d’une infraction est tenu à la réparation d’un préjudice corporel ou d’un préjudice moral, et ce sans que cette différence de traitement soit raisonnablement justifiée?»

La Cour constitutionnelle rappelle que «le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé».

La volonté du législateur est de réduire au minimum le nombre de dettes qui ne peuvent pas faire l’objet d’une remise de dettes. Mais la Cour constate que les travaux préparatoires n’expliquent pas en quoi les indemnités pour préjudice corporel vaudraient plus que les indemnités accordées en réparation d’un préjudice moral causé par une infraction pour violation de l’intégrité psychique et sexuelle de la victime.

La Cour estime donc qu’en l’absence d’une quelconque justification, la question préjudicielle appelle une réponse positive.

L’article 1675/13, § 3, deuxième tiret du Code judiciaire, peut également être lu dans le sens où le préjudice corporel comprend le préjudice moral causé par une infraction pour violation de l’intégrité psychique et sexuelle de la victime. Dans ce cas, la différence de traitement n’existe plus et l’interprétation est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.

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2. C. trav. Bruxelles (12e ch.), 13 octobre 2020 (R. G. 2019/AB/686)

Règlement collectif de dettes – Plan judiciaire – Article 1675/13 CJ – Remise de dettes partielle – Maintien de l’immeuble – Dignité humaine – Intérêt de la masse – Appel – Prise de cours du plan.

La requérante est admise à la procédure de règlement collectif de dettes en date du 8 novembre 2016. Elle vit avec son compagnon et ses trois enfants mineurs. Elle travaille comme aide-soignante et promérite un salaire d’un montant moyen de 2.880 €/mois. Elle est propriétaire de son logement situé dans un immeuble à appartements multiples. La requérante est en litige avec la copropriété de cet immeuble:

  • d’une part, un litige relatif à des infiltrations d’eau;
  • d’autre part, un litige relatif à des arriérés de charges de copropriété.

La requérante présente un endettement total d’un montant de 100.777,59 €. La créance de la copropriété s’élève à la somme de 31.819,98 € en principal. Le médiateur propose un plan amiable sur sept ans à dater de l’admissibilité, qui prévoit que:

  • la requérante conserve son appartement;
  • la distribution d’un dividende de 5.366,59 € pour 2019, des dividendes annuels de 2.800 € et une distribution du solde du compte de médiation (supérieur à 500 €) en fin de plan;
  • une remise partielle de dettes en capital et une remise totale des accessoires et intérêts.

Deux créanciers, dont la copropriété, s’opposent à ce plan.

Le juge décide d’imposer un plan judiciaire sur cinq ans qui prévoit que:

  • la requérante conserve la propriété de son appartement;
  • la distribution d’un dividende de 5.366,59 € pour 2019, des dividendes annuels de 2.800 € (à condition que la réserve sur le compte de médiation atteigne 4.000 €) et une distribution du solde du compte de médiation en fin de plan;
  • une remise de dettes en capital, intérêts et frais au terme du plan.

Le tribunal a considéré, à juste titre, que la vente de l’appartement ne rencontrait ni les intérêts des créanciers ni les intérêts de la requérante:

  • l’appartement a subi des infiltrations d’eau imputables à la copropriété en raison d’un défaut d’entretien,
  • la valeur actuelle de l’appartement se situe entre 92.000 € (en vente forcée) et 115.000 € (en vente de gré à gré),
  • le solde du crédit hypothécaire était de 125.854,12 € en 2019.

La copropriété interjette appel de ce jugement. Elle demande que la Cour impose soit de vendre l’appartement, soit de dégager un disponible plus important pour les créanciers grâce à une participation «digne de ce nom» du compagnon dans les charges du ménage.

La Cour rappelle tout d’abord les principes. À défaut de plan amiable ou de plan judiciaire permettant un remboursement intégral des sommes dues en principal, le juge ne peut accorder de remise de dettes qu’à la condition que les biens saisissables soient réalisés. Cette réalisation se fait dans le respect de l’égalité des créanciers, sans préjudice des causes légitimes de préférence[1].

Cependant, cette condition de vente des biens saisissables n’est pas une condition absolue. La Cour rappelle, en effet, que «des considérations tenant à la dignité humaine ou à l’abus de droit peuvent y faire obstacle».

La Cour de cassation admet qu’il puisse «être dérogé à cette condition [de réalisation des biens saisissables] […] si le juge considère cette dérogation nécessaire afin que le débiteur et sa famille puissent mener une vie conforme à la dignité humaine ou parce que la vente relèverait de l’abus de droit»[2].

La Cour confirme le jugement du tribunal qui écarte le contredit en le considérant comme abusif. La Cour considère que le créancier abuse de son droit et ne s’oppose au plan que pour empêcher la requérante de conserver son bien.

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3. Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi (5e ch.), 20 octobre 2020 (R. G. 16/753/B)

Règlement collectif de dettes – Amendes pénales – Frais de justice et cotisation au fonds spécial – Déclaration de créance tardive – Renonciation – Séparation des médiés – Plan judiciaire remplaçant le plan amiable – Article 1675/13 CJ – Fixation du pécule – Montant minimum.

Les requérants sont admis à la procédure de règlement collectif de dettes le 31 octobre 2016. Un plan de règlement amiable est homologué le 19 décembre 2017 pour une durée de sept ans à dater de l’admissibilité. À la suite du changement de situation familiale, le médiateur dépose un procès-verbal de carence le 20 juin 2019.

Les requérants se sont séparés en 2018. Les trois enfants communs sont hébergés de manière égalitaire. Chaque requérant s’est remis en ménage de son côté. Compte tenu de la situation de chaque ménage, le plan amiable ne peut plus se poursuivre. Le médiateur propose de le remplacer par un plan judiciaire. De plus, il signale avoir reçu, le 28 octobre 2019, une déclaration de créance actualisée du SPF Finances. Celle-ci concerne des impôts et des amendes pénales au nom de Monsieur à la suite d’une condamnation du tribunal de police du 8 juin 2016 constituée comme suit:

  • Amendes pénales: 180 €
  • Fonds spécial: 150 €
  • Frais de justice: 76,26 €.

La dette d’impôts étant une créance ante-admissibilité, le médiateur l’a intégrée au plan. En revanche, il sollicite que la déclaration de créance concernant la condamnation pénale soit déclarée tardive et que le SPF Finances soit réputé y avoir renoncé.

Le tribunal rappelle que:

  • «la remise ou réduction des peines dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité ou d’une procédure de saisie civile ne peut être accordée qu’en application des articles 110 et 111 de la Constitution[3]».
  • Les travaux préparatoires[4] précisent que «les dispositions légales qui règlent les procédures d’insolvabilité collectives telles que 5 […] les articles 1675/10, 1675/13 et 1675/13bis du Code judiciaire concernant la remise de dettes dans le cadre d’un règlement collectif de dettes ne peuvent y porter atteinte en tant que norme juridique de rang inférieur».
  • La Cour de cassation[5] a estimé, vu l’article 464/1, § 8, qu’il n’était plus possible d’octroyer de remise de dettes, dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes, en matière d’amendes pénales.

Le tribunal précise, cependant, que cette impossibilité de remettre les amendes pénales ne vise pas les frais de justice ni la cotisation au Fonds spécial.

Se pose alors la question de savoir si les amendes pénales peuvent néanmoins se voir appliquer la sanction de déchéance[6]. À ce sujet, le tribunal cite la doctrine: «L’arrêté royal [de grâce] n’efface pas la condamnation. Il exempte uniquement le condamné de l’exécution effective de sa peine ou le soumet à une peine moins rigoureuse… mais la condamnation n’en sort pas moins tous ses effets légaux[7]

Dès lors, admettre que les amendes pénales puissent faire l’objet d’une déchéance revient à exempter Monsieur de l’exécution effective de la peine à laquelle il a été condamné et, par conséquent, à lui octroyer le bénéfice d’une grâce «judiciaire».

Le tribunal estime que la déclaration de créance du SPF Finances est tardive pour les frais de justice et la cotisation au Fonds spécial. Par contre, l’amende pénale est une peine au sens de l’article 464/1, §8, al. 3 et s. du Code d’instruction criminelle et doit donc être intégrée au passif de Monsieur. Il impose ensuite un plan judiciaire sur pied de l’article 1675/13 du Code judiciaire à chacun des requérants.

Le montant du pécule de médiation de Madame pose également question. Elle perçoit mensuellement un revenu de 400 € et des allocations familiales de 688 €. Son compagnon actuel perçoit une rémunération mensuelle de 1.700 €. Les charges communes du ménage sont de 960 € (contribution de Madame fixée à 200 €). Les charges propres de Madame sont de 690 €. Le médiateur propose de fixer le pécule de médiation à la somme de 890 €.

Le tribunal rappelle les principes pour déterminer le pécule de médiation. Il faut tenir compte des deux limites fixées par le Code judiciaire:

  • la première limite, à laquelle il est possible de déroger, correspond au montant insaisissable;
  • la seconde limite, à laquelle il est impossible de déroger, correspond au revenu d’intégration sociale majoré des allocations familiales.

Pour l’application de cette seconde limite, le tribunal part du principe qu’il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des ressources d’un ménage (revenus d’un conjoint non requérant, aide en nature…): «En effet, la limite minimale de fixation du pécule de médiation a pour objectif de garantir à la médiée et à sa famille de mener une vie conforme à la dignité humaine. […]

Ainsi, fixer un pécule de médiation d’un montant inférieur au revenu d’intégration sociale augmenté des allocations familiales ne peut être considéré comme contraire à la dignité humaine et/ou contraire aux dispositions légales applicables (dont notamment la seconde limite visée par l’article 1675/9 § 4 du Code judiciaire) lorsque le médié dispose, à côté de ce pécule, d’autres ressources (à savoir celles de son conjoint) pour autant que l’ensemble des ressources (c’est-à-dire le pécule de médiation et les ressources dont bénéficie le médié par ailleurs, telles que celles de son conjoint):

  • respecte la seconde limite visée par l’article 1675/9 § 4 du Code judiciaire;
  • et permette au médié ainsi qu’à sa famille de faire face à leurs besoins essentiels de la vie (se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner) et à leurs frais indispensables pour éviter, autant que possible, une marginalisation sociale.»

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Virginie Sautier,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Article 1675/13, §1er du code judiciaire.

[2] Cass., 3 juin 2013, S.11.0145.N.

[3] En vertu de l’article 464/1, § 8, al. 3 et s. du Code d’instruction criminelle.

[4] Projet de loi portant des mesures diverses relatives à l’amélioration du recouvrement des peines patrimoniales et des frais de justice en matière pénale (1), Ch. repr., 53e légis., Doc. 2934/001, séance du 9 juillet 2013, p. 12.

[5] Cass., 21 novembre 2016, R.G. S.16.0001.N.

[6] Visée à l’article 1675/9, § 3 du Code judiciaire.

[7] BRAAS, Traité élémentaire de droit pénal, p. 246.