Bien des indépendants fragilisés

Avec l’arrêt des activités non essentielles, un certain nombre d’indépendants ont énormément souffert du confinement. Le déconfinement signe la reprise des activités, mais, sans doute pour un certain nombre d’entre eux, le mal est fait. Pour envisager l’aide à apporter à ces indépendants et PME, nous avons interrogé Olivier Kahn, coordinateur du Centre pour entreprises en difficulté (CED) à Bruxelles, qui a lancé dès le début du confinement une ligne d’appel (02/533 40 90) pour toutes les questions liées au Covid-19.

Échos du crédit: Quel impact la crise sanitaire a-t-elle sur les demandes adressées au CED par des indépendants bruxellois en difficulté?

Olivier Kahn: Il est clair que les indépendants et petites entreprises ont beaucoup souffert du confinement, et les dégâts ne sont pas encore visibles: il faudra des mois, si pas des années pour mesurer leur ampleur. Nous sommes passés en quelques jours à 30 dossiers par semaine à près de 100 dossiers introduits au mois de mai. Nous avons eu des pics à la permanence de plus de 400 appels par jour. Avant cette période Covid, nous avions commencé à prendre des contacts avec les CPAS et les services de médiation de dettes, il y a de ça plusieurs mois, afin de mettre en place une collaboration sur ces dossiers, pour mieux structurer nos interventions respectives et ne pas réinventer ce qui existe déjà. Avec le Covid, tout cela a été mis en stand-by: certes les CPAS et les SMD ont continué de fonctionner, mais ils travaillaient à guichets fermés, et, dès lors, nous avons été amenés à prendre en charge les centaines d’appels émanant des indépendants et des PME. Nous avons mobilisé une task force de 100 conseillers pour prendre en charge ces appels et permettre une première analyse des situations exposées. Parmi ces 100 conseillers, 50 comptables, 30 avocats, 10 médiateurs commerciaux et 10 coachs sont sur le pont pour répondre aux questions.

ECE: Quels sont les types de demandes qui vous parviennent?

O.K. : Au début de la crise, les questions portaient évidemment sur l’obtention des primes. Comment s’y prendre? Quelles démarches entreprendre? Au fur et à mesure que le temps passe, les questions se complexifient. D’autres mesures apparaissent, comme le prêt d’urgence Recover pour les très petites entreprises (TPE) bruxelloises. On est amené à être imaginatif dans les solutions à proposer, mais il est clair que les entreprises ont souffert et que les tensions de trésorerie se font sentir de plus en plus. Ceux qui avaient des réserves les ont affectées à éponger les pertes; ceux qui n’en avaient pas sont en plus mauvaise posture, avec, notamment, la difficulté de payer un loyer pour un espace commercial qui ne rapportait plus rien, la seule solution étant de trouver un arrangement à l’amiable avec le propriétaire.

Cela étant, les reports de loyer ou de cotisations sociales, par exemple, devront être rattrapés un jour: que se passera-t-il pour les indépendants qui devront payer l’an prochain leurs cotisations sociales pour toute l’année 2020 et le premier trimestre 2021?

Ce qui inquiète surtout aujourd’hui, c’est la rapidité avec laquelle l’économie va reprendre: si cela évolue favorablement, il y aura des possibilités de remises en route; si cela traîne ou se bloque avec un reconfinement dû à une deuxième vague, alors les problèmes vont clairement s’aggraver.

ECE:Comment les indépendants et les entreprises peuvent-ils agir pour limiter les dégâts?

O.K. : Au-delà des aides existantes que nous expliquons à notre public et pour lesquelles nous les aidons dans les démarches administratives, il est important de planifier les remboursements des reports demandés et de surfer sur la reprise des activités. Je pense par exemple à ce garagiste qui est resté fermé pendant plus de deux mois: aujourd’hui il a des rendez-vous jusqu’en septembre. Il faut répondre présent et profiter de l’effet d’aubaine, là où c’est possible.

Certains ont également demandé à bénéficier du report des échéances de leur crédit (soit 130.316 reports de paiement accordés à la fin mai 2020, pour un montant de 21 milliards d’euros et un encours moyen de 160.174 euros, accordé à 80% à des indépendants et des PME – NDLR) afin de leur permettre de rencontrer d’autres obligations financières plus urgentes. D’autres ont sollicité un prêt nouveau pour bénéficier de liquidités (nouveaux crédits accordés aux indépendants et PME fin avril: 49.452 pour un montant de 5,451 milliards d’euros; et nouveaux crédits accordés aux grandes entreprises: 4.945 crédits pour 4,569 milliards d’euros, avec et sans garantie de l’État, au 29.05.20 – NDLR). Mais la réactivité des banques n’est pas toujours au rendez-vous, cela dépend vraiment d’une banque à l’autre et d’une situation à l’autre. En tout cas, pour bénéficier du report jusqu’à la fin octobre 2020, il fallait avoir été en règle de paiement de ses traites jusque-là et, pour les nouveaux prêts, il s’agit de montrer patte blanche. Il s’agit de bien préparer son dossier et de ne pas traîner à introduire sa demande, car, avec la crise de 2008, les effectifs ont été réduits dans les agences bancaires et le temps de réaction est assez long.

ECE: Cette crise va-t-elle faire beaucoup de casse, selon vous?

O.K. : Comme je le disais, tout dépendra de la reprise, mais une chose est certaine: pour tous ceux qui étaient déjà en mauvaise santé financière, vacillants sur leur base, cela va vraiment être compliqué. En termes de licenciement, les entreprises que nous aidons ne sont pas dans une logique de dégraisser du personnel pour assainir les finances. Ici on est face à de petites structures qui risquent ne pas se relever, tout simplement.

Nous avons dès lors travaillé durant le confinement à une série d’outils, de type «webinaires» ou «vidéos pédagogiques» qui permettent de toucher plus de gens, notamment sur la procédure de réorganisation judiciaire, le dépôt de bilan, mais aussi sur des aspects plus psychologiques, pratiques… Des solutions comme la revente d’une partie de l’entreprise ou une association avec un employé fraîchement licencié qui chercherait à investir dans une activité indépendante peuvent être envisagées. Il faut être créatif.

Mais, étant donné qu’il y a un moratoire sur les faillites (hormis sur aveu et celles qui étaient en stand-by), il est très difficile d’estimer la casse et l’effet boule de neige que pourrait entraîner une reprise trop lente. En 2008, la crise financière a eu des effets retards et les dégâts se sont vraiment fait sentir en 2010, soit 24 mois plus tard.

ÉCE: Les mesures prises jusqu’ici sont-elles suffisantes?

OK: Je pense qu’il y a eu une vraie volonté de la part du monde politique, de l’administration et des banques d’essayer d’apporter une aide, mais chacun avec sa propre réalité. Des mesures d’aide ont été rapidement prises, puis ont dû être ajustées, notamment par rapport à ces fameux codes NACE (nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne). C’était assez normal que tout n’ait pas été parfait du premier coup, la situation étant vraiment inédite. Mais ce sont des mesures qui ont coûté très cher, car elles ont concerné beaucoup de monde pour avoir un effet de levier suffisant. Dans un second temps, il va falloir davantage «customiser» les aides ou en tout cas les penser de manière plus ciblée. Je pense par exemple à une aide spéciale qui a été imaginée pour les grossistes dans l’Horeca, avec un crédit qui leur serait octroyé pour pouvoir accorder des délais de paiement à ceux qu’ils fournissent. En aidant un grossiste, cela permet de toucher 50 restaurateurs. Autre piste: privilégier de gros restaurateurs qui emploient beaucoup de travailleurs, afin de sauvegarder l’emploi. Ces questions sont réfléchies dans le cadre de Finance & Invest Brussels.

Propos recueillis par Nathalie Cobbaut

 

Et en Wallonie?

Un numéro spécial d’appel a été mis en place par la task force wallonne pour aider les entreprises à faire face aux conséquences du coronavirus: le 1890 a été activé. Ligne téléphonique et site Internet, cet outil permet de retrouver les informations sur les mesures spécifiques wallonnes et celles prises sur le plan fédéral. Le site renseigne notamment sur le prêt Ricochet pour renforcer la trésorerie des PME et des indépendants.

Par ailleurs, on peut citer l’exemple de partenariat entre la Chambre de commerce et d’industrie du Brabant wallon, le tribunal de l’entreprise du BW et le barreau dudit arrondissement qui collaborent et facilitent l’accès à la procédure de médiation d’entreprise pour les sociétés en difficulté (voir article ci-après).