C.T. Mons (10ème ch.), 15 janvier 2013, RG n° 2012/AM/434

Même si la décision d’admissibilité a été prononcée avant le 3 mai 2012, les allocations familiales peuvent-elles ne pas être intégrées totalement dans le pécule de médiation sans motivation ? Des charges renseignées par le requérant peuvent-elles être exclues ou diminuées alors que de telles mesures ne permettraient plus au requérant et à sa famille de mener une vie conforme à la dignité humaine, à savoir, par exemple, pouvoir disposer d’un téléphone dans le cadre d’une recherche d’emploi ou maintenir un lien avec sa famille résidant à l’étranger, se nourrir et se soigner correctement et constituer le cas échéant une provision pour en payer le coût, et détenir un véhicule pour se rendre à l’hôpital, chez le médecin ou le pharmacien ou au magasin, les transports en commun n’étant pas réguliers ?

« Le plan imposé par le tribunal est basé sur l’article 1675/13 du Code judiciaire (plan de règlement judiciaire avec remise partielle de dettes en capital).

(….)

Dans le cadre de l’élaboration du plan, le tribunal a considéré que le montant du RIS à concurrence de 1.047,48 euros par mois était suffisant pour assurer l’ensemble des charges mensuelles des médiés.

L’article 1675/13, §5, du Code judiciaire dispose que, dans le respect de l’article 1675/3, alinéa 3, le juge peut, lorsqu’il établit le plan, déroger aux articles 1409 à 1412 par décision spécialement motivée, sans que les revenus dont dispose le requérant puissent être inférieurs aux montants prévus à l’article 14 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale.

Pour justifier la dérogation aux articles 1409 à 1412 du Code judiciaire, le tribunal a ‘exclu’ certaines dépenses et en a ‘raboté’ d’autres.

La cour ne partage pas l’analyse du premier juge dans la mesure où :

il ne motive pas sa décision de déroger à l’article 1410, §2, 1°, du Code judiciaire qui protège les allocations familiales ;

certaines exclusions ou diminutions de charges ne sont pas justifiées notamment au regard du respect d’un minimum de dignité humaine.

S’agissant des allocations familiales, actuellement, l’article 1675/9, §4, du Code judiciaire, tel qu’il a été modifié par la loi du 26 mars 2012 (entrée en vigueur le 23 avril 2012), prévoit que le pécule de médiation est au moins égal au montant protégé en application des articles 1409 à 1412 et qu’il peut être réduit uniquement aux conditions suivantes :

la période doit être limitée ;

il faut l’autorisation expresse écrite du requérant ;

il doit toujours être supérieur, tant dans le cadre du plan de règlement amiable que dans le cadre du plan de règlement judiciaire, aux montants visés à l’article 14 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, majorés des allocations familiales.

Toutefois, cette disposition ne s’applique pas aux règlements collectifs de dettes dont la décision d’admissibilité a été prononcée avant son entrée en vigueur (article 8 de la loi du 26 mars 2012).

Il n’en demeure pas moins que le juge doit motiver pourquoi, dans le cadre de l’élaboration du plan, il a dérogé aux articles 1409 à 1412 du Code judiciaire et notamment à l’article 1410, §2, 1°, du Code judiciaire suivant lequel les prestations familiales ne sont ni cessibles ni saisissables.

En l’espèce, la cour estime que les allocations familiales (133,57 euros/mois) ne doivent pas être intégrées dans les revenus du ménage dans la mesure où, au regard du coût d’un enfant âgé de 3 ans, elles permettent tout au plus de faire face aux frais d’entretien et d’éducation ; il en est d’autant plus ainsi que les appelants établissent que l’enfant a des problèmes de santé nécessitant des soins dont certains ne sont pas remboursés par la mutuelle (pommade pour traitement de l’eczéma, location de l’appareil aérosol pour traitement de l’asthme). Il serait parfaitement inhumain de priver l’enfant de ces soins.

S’agissant des charges exclues ou rabotées par le tribunal, il apparaît que le premier juge n’a pas tenu compte de la situation particulière des appelants au regard du critère de la dignité humaine.

En effet, il ressort des nombreux documents médicaux versés aux débats que :

Monsieur M.S. a été hospitalisé suite à un anévrisme partiellement thrombosé en 2010 ; plus récemment (septembre 2010), il a de nouveau connu de sérieux problèmes de santé (emphysème sous-pleurale, problèmes gastriques, asthme, syndrome anxio-dépressif, …). Il est en incapacité de travail depuis le 19 septembre 2012 ;

Madame B.C. souffre d’une maladie orpheline (le vitiligo : affection de la peau consistant en une perte de pigmentation). Il est médicalement admis que les changements cutanés provoqués par le vitiligo peuvent avoir des répercussions émotionnelles et sociales.

Téléphone

Les appelants ont évalué ce poste à 30 euros par mois.

Le tribunal l’a réduit à 20 euros considérant que ce montant était suffisant.

Dès lors qu’il apparaît qu’indépendamment de leurs problèmes de santé, les appelants avaient entrepris et souhaitent encore entreprendre des démarches pour rechercher un emploi, il y a lieu de maintenir le chiffre de 30 euros. Il en est d’autant plus ainsi qu’il y a lieu de préserver le lien familial en Tunisie.

Nourriture

Le poste « nourriture » fixé à 540 euros a été ramené à 369 euros sur la base des statistiques de l’Observatoire du crédit.

En limitant le pécule journalier à 4 euros par personne, le premier juge n’a manifestement pas tenu compte du fait que ce poste visait non seulement la nourriture mais également les frais d’hygiène quotidienne, d’entretien du logement et d’habillement.

La cour considère que le forfait de 200 euros/mois et par adulte postulé par les appelants est tout à fait raisonnable eu égard notamment au fait que la maladie de Madame B.C. nécessite des soins corporels spécifiques médicalement conseillés.

Toutefois, la cour ne tiendra pas compte des frais afférents à l’enfant dans la mesure où ils sont couverts par les allocations familiales (voir supra).

Frais médicaux et pharmaceutiques

Le premier juge a considéré qu’il y avait lieu de s’en tenir au maximum à facturer (MAF) de 450 euros.

Il apparaît cependant que le MAF applicable aux appelants est de 650 euros (pièce 37 du dossier des appelants).

Par ailleurs, contrairement à ce qu’a décidé le tribunal, les appelants ne remplissent plus les conditions pour bénéficier du système du tiers payant concernant les consultations médicales.

Ainsi, comme les appelants le font judicieusement observer, indépendamment du MAF, ils doivent faire l’avance du prix des consultations, attendre quelques jours pour être remboursés partiellement et attendre la fin de l’année pour vérifier s’ils ont dépassé le MAF et être remboursés du surplus des tickets modérateurs. Ce système impose donc qu’une réserve mensuelle soit prévue en sus du MAF.

Enfin, tous les soins nécessités par l’affection dont souffre Madame ne sont pas pris en charge. Dès lors que les professionnels de la santé admettent qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement parfaitement efficace (Union professionnelle des dermatologues, www.dermanet.be), il ne peut lui être reproché de tenter un traitement venant de l’étranger dont le coût reste raisonnable.

Ce poste peut donc être raisonnablement évalué à 100 euros par mois considérant qu’il n’y a pas lieu de mettre en péril la santé des appelants et de leur jeune enfant.

Charges liées au véhicule

Le premier juge a considéré que les charges liées à la détention d’un véhicule n’étaient pas indispensables et les a rejetées.

Or, il ressort des pièces versées aux débats que l’état de santé des requérants nécessite l’utilisation d’un véhicule :

le médecin traitant de la famille l’atteste formellement ;

l’arrêt de bus le plus proche est à 1 km du domicile des appelants et Monsieur M.S. souffre de problèmes respiratoires ;

le trafic des bus dans la commune des appelants n’est pas régulier.

Par ailleurs, les possibilités de transport évoquées par le tribunal (CPAS et mutuelle) ne sont pas garanties dans le cas d’espèce. En tout état de cause, ils pourraient uniquement être utilisés pour des problèmes médicaux et non pour assurer les tâches régulières (courses).

En outre, la dignité humaine doit s’entendre de la possibilité pour le débiteur de faire face d’une part, aux besoins essentiels de la vie (se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner) et, d’autre part, aux frais indispensables pour éviter autant que possible sa marginalisation ; or, les appelants manifestent le souhait de s’intégrer à nouveau dans le circuit économique dès que leur état de santé le leur permettra. Un véhicule s’avère indispensable à moyen terme.

La cour relève enfin que le coût du véhicule a été réduit au minimum. Les charges vantées par les appelants sont en conséquence acceptées.

 

Les Echos du Crédit

Télécharger le pdf (C.T. Mons (10ème ch.), 15 janvier 2013, RG n° 2012/AM/434)