Covid-19, Recto-Verso (part two) – Quels impacts sur le logement ?

La crise sanitaire a eu un impact sur le marché immobilier, tant pour le (futur) propriétaire que pour le locataire[1]. À nouveau, une série d’inégalités ont été renforcées par l’augmentation du temps passé au domicile[2]et les pertes/diminutions de revenus de certains ménages. La crise sanitaire a été un révélateur de la crise du logement que nombre d’acteurs mettent en lumière depuis des années. Depuis, les inondations ont encore davantage creusé les inégalités et ont plongé des centaines de ménages dans une détresse absolue.

1.     Propriétaires: moratoire sur les crédits hypothécaires

Les propriétaires ayant été impactés financièrement par la crise ont eu la possibilité de reporter le remboursement de leurs crédits relatifs au logement.

Pour rappel, au début de la crise, le gouvernement, en accord avec le secteur financier, avait conclu un accord autorisant les emprunteurs à introduire une demande de report de paiement des crédits hypothécaires jusqu’à la fin du mois de décembre 2020[3]. Le 1er janvier 2021, une deuxième charte prolongeait cette aide jusqu’au 31 mars 2021. Concrètement, cette deuxième charte devait permettre aux travailleurs impactés par la crise sanitaire et remplissant quatre conditions de demander un report de paiement. En d’autres termes, pendant un maximum de trois mois, l’emprunteur ne devait pas rembourser son crédit. Dans le cadre de la première et de la deuxième charte, les reports ne pouvaient pas dépasser neuf mois au total.

Lors du premier moratoire, plus de 140.000 crédits hypothécaires ont bénéficié d’un report de remboursement, ce qui correspond à 4,4% de ces crédits en cours. Une prolongation a été demandée pour près de 10% des crédits hypothécaires et des crédits à la consommation ayant obtenu un moratoire. Pour 97% des crédits ayant obtenu un moratoire, les remboursements ont repris, conformément à ce qui était prévu, à la fin du report des paiements.

Lors du deuxième moratoire, les demandes ont été beaucoup moins nombreuses. Concernant spécifiquement le crédit hypothécaire, seuls 13.383 reports ont été accordés pour un encours de 1,6 milliard d’euros. C’est très peu par rapport au nombre de crédits hypothécaires en cours. L’encours moyen des crédits hypothécaires ayant bénéficié d’un report est de 117.000 euros.

Les inondations ont conduit de nombreux ménages à également solliciter leur prêteur pour obtenir des délais de paiement. Ces différents délais et moratoires auront sans aucun doute un impact fort sur le budget des ménages lorsque toutes les mesures seront levées et que les remboursements devront reprendre et conduiront inévitablement à des difficultés financières sévères à long terme.

2.     Futurs propriétaires: un marché immobilier en pleine effervescence

Au début de la crise sanitaire, les analystes craignaient une crise du marché immobilier. L’activité sur ce marché avait en effet connu un net ralentissement en 2020. Cette baisse était attendue (hors crise) en raison de la suppression du bonus logement en Flandre à la fin de 2019. Toutefois, la crise du coronavirus a engendré des difficultés supplémentaires. Elle a eu un impact (direct ou indirect) sur les futurs acquéreurs à différents niveaux, positif ou négatif.

Offre et demande inégales

Lors du premier confinement, les vendeurs de biens immobiliers sont restés sur la réserve, préférant s’abstenir de mettre leurs biens sur le marché dans un contexte marqué par l’incertitude. Les mesures relatives aux visites n’ont pas non plus facilité les transactions. Ces mesures s’étant assouplies au fil du temps, la mise en vente de biens a explosé, notamment pour récupérer le «retard» accumulé, mais aussi, entre autres, en raison des conséquences du confinement sur certains ménages (séparations, télétravail…).

La demande a fortement augmenté en raison des conséquences précitées, mais aussi en raison des besoins nés du vécu de ces confinements successifs (télétravail, suppressions des activités, déplacements dans un périmètre réduit…). Les évolutions les plus marquantes relatives aux critères des futurs acquéreurs sont les suivantes: recherche d’un espace extérieur (terrasse, jardin), recherche d’un espace bureau ou chambre aménagée en bureau, déplacement vers la périphérie. Ce qui marque également les observateurs, c’est la demande croissante pour les résidences secondaires en Belgique. Les restrictions aux voyages ont suscité des vocations immobilières. Les particuliers ont investi dans les résidences secondaires, pour une occupation personnelle ou dans un but de location.

Depuis quelques mois déjà, l’offre est inférieure à la demande et plus particulièrement dans le segment des biens répondant aux critères précités. Les conséquences d’une demande si nettement supérieure à l’offre sont doubles: d’une part, l’augmentation des prix (voir ci-dessous), mais également l’exigence de certains vendeurs de ne pas permettre l’insertion de clauses suspensives[4] dans les compromis de vente.

Selon les analystes, la situation sur le marché immobilier ne changera pas fondamentalement à court terme pour deux raisons:

–   les faillites qui s’annoncent devraient tasser un peu la demande, notamment en raison de l’augmentation du chômage;

–   la mise en vente de biens qui avait été ralentie en raison de la crise devrait créer un «effet de rattrapage» et augmenter légèrement l’offre de nouveaux biens.

Si la demande ralentit et si l’offre augmente légèrement, la croissance des prix devrait ralentir. Les analystes n’envisagent cependant pas de diminution des prix du marché avant deux à trois ans.

Augmentation du prix des biens immobiliers

En un an, les prix ont augmenté de 5% à 10% selon le type de biens et la localisation. Dans son rapport annuel[5], la Banque nationale de Belgique estime que le marché est globalement surévalué, c’est-à-dire que le prix des biens immobiliers est supérieur à leur valeur réelle (d’environ 14% en 2021).

Cette augmentation des prix n’est pas neuve. Toutefois, dans ce contexte de crise, celle-ci s’explique principalement par trois facteurs:

–   le faible niveau des taux hypothécaires;

–   la présence d’investisseurs;

–   les mesures destinées à soutenir les revenus et la possibilité de différer les remboursements des emprunts hypothécaires.

Cette hausse renforce les inégalités d’accès au logement pour les ménages plus fragiles financièrement.

Attentes prudentielles et crise sanitaire, incompatibles?

Le 1er janvier 2020[6], des normes prudentielles (émanant de la BNB) entraient en vigueur concernant l’octroi des crédits hypothécaires.

Dans son rapport macro-prudentiel publié le 31 mai dernier[7], la BNB tire un bilan de ces mesures. Bien qu’il soit difficile d’avoir assez de recul pour pouvoir apprécier leur impact, d’autant plus que l’année 2020 fut très particulière, les résultats semblent positifs[8]. Une inquiétude persiste toutefois au sujet des emprunts contractés par des investisseurs en vue de mettre un bien à la location («buy-to-let»)[9], car la part de ces emprunts répondant aux attentes prudentielles est inférieure au seuil recommandé[10].

Augmentation des taux d’intérêt en perspective?

Bien que des incertitudes persistent concernant l’évolution des taux d’intérêt à long terme, leur augmentation progressive est attendue.

Pour certains, une hausse des taux d’intérêt aurait des conséquences marginales, étant donné qu’ils resteraient très faibles d’un point de vue historique. Pour d’autres, cette hausse renforcerait le phénomène d’exclusion bancaire des ménages moins aisés. Cette exclusion impliquerait une possibilité réduite pour ces derniers d’emprunter, d’investir, d’avoir accès à la propriété, etc.

Réforme des frais de notaire: une bouffée d’oxygène en vue?

Dans ce contexte de forte demande d’achats de biens immobiliers, l’Observatoire des prix a réalisé une analyse sur le secteur notarial[11]. Les tarifs pratiqués par les notaires n’ont en effet plus été révisés depuis 1980[12].

Le SPF Économie souligne que le montant des honoraires perçus par les notaires pour des actes de vente immobilière de gré à gré a augmenté de 65,9% entre 2000 et 2019, notamment en raison des hausses du prix des logements et du nombre de transactions. En a suivi une réaction du monde politique, notamment du ministre de la Justice qui a annoncé en avril dernier une proposition de réforme des frais de notaire[13]. Cette proposition est toujours en discussion à la Chambre.

Les frais de notaire ne sont pas financés par les banques et sont à charge du futur acquéreur qui doit posséder les fonds nécessaires pour les assumer. La question centrale est donc la suivante: la réforme de ces frais représenterait-elle une bouffée d’oxygène pour les futurs acheteurs dans cette période de hausse des prix de l’immobilier? Rien n’est moins sûr.

3.     Locataires

La crise sanitaire a renforcé la crise du logement. Le marché de la location résidentielle a subi, comme tous les autres, les effets négatifs du Covid. Selon certains analystes, la pression vécue sur le marché résidentiel locatif est comparable à celle enregistrée sur le marché acquisitif: l’arriéré accumulé («transactions» non réalisées) lors du premier confinement n’a pas encore été résorbé.

Cet «effet retard» a entraîné la création de listes d’attente de candidats locataires. Il en résulte dès lors une augmentation des loyers. L’augmentation des prix d’acquisition a un effet sur les loyers demandés. En effet, cette hausse des prix d’achat provoque une pression sur l’acheteur pour rembourser son prêt. Il risque dès lors de répercuter cette pression sur le locataire en augmentant les loyers.

Pour les locataires qui connaissaient des difficultés financières avant la crise sanitaire, la diminution ou la perte des revenus et l’augmentation du coût de la vie ont eu pour conséquence l’apparition ou l’augmentation des arriérés de loyer[14]. Avec l’expiration du moratoire sur les expulsions, le risque de nouvelles expulsions s’est accru. Dès lors, l’augmentation du nombre de sans-abri est à craindre, même si les propriétaires ont été encouragés à faire un geste vis-à-vis des échéances de leurs locataires. Tous ne sont pas en mesure de répondre à cet appel à la compréhension, dépendant eux-mêmes de ces rentrées financières pour assurer leur survie financière.

Pour répondre à cette problématique, la Région wallonne a notamment mis en place un dispositif permettant à la Société wallonne de crédit social d’accorder des prêts à taux zéro pour les locataires afin de payer leur loyer durant la crise[15]. Bien que cette initiative soit louable, elle fait face à différents écueils. Notamment, l’information sur cette possibilité qui doit parvenir aux oreilles du locataire en difficulté.

Comme déjà mentionné, certains ménages en difficulté de payer leur loyer avant la crise se sont retrouvés dans l’incapacité d’honorer leurs dettes à l’égard de leur propriétaire. Cette situation a entraîné une expulsion (hors moratoire) pour une part d’entre eux.

4. Sans-abrisme

Certains profils étaient déjà plus vulnérables avant la crise. Ils sont maintenant plus nombreux à connaître une situation de sans-abrisme. Par ailleurs, de nouveaux profils basculent dans le sans-abrisme[16]. Citons notamment:

  • les personnes qui, avant la crise sanitaire, étaient hébergées dans le «circuit de la débrouille», chez des amis ou dans la famille, dans des logements insalubres ou très exigus;
  • les «personnes en décrochage», qui ont perdu leur emploi ou qui avaient un revenu de remplacement irrégulier et pour qui la crise sanitaire a restreint ou coupé toute ressource financière;
  • les usagers en sortie d’institution (hôpitaux et prisons) qui, en raison de la faiblesse du nombre de lits hospitaliers et des règles sanitaires, se sont retrouvés en rue sans aucune solution;
  • un nouveau public lié aux séparations et aux violences conjugales renforcées par le confinement;
  • des sans-papiers qui ont perdu leurs revenus issus de l’économie informelle.

Pendant les confinements, le besoin d’hébergement pour les personnes sans abri a augmenté. Des mesures ont été prises par les autorités, mais globalement la capacité d’accueil a diminué en raison des mesures sanitaires.

Les milieux d’accueil n’ont pas été pensés pour répondre aux contraintes sanitaires. Ils n’ont pas eu le temps de se réinventer vu l’urgence de la crise sociale. Bien que de nouveaux moyens financiers aient été alloués au secteur, ils n’ont pas réellement pris en considération les réalités de terrain, pourtant dénoncées de longue date.

Cette situation de sans-abrisme liée aux difficultés financières sera examinée dans le prochain dossier des Échos du crédit et de l’endettement de décembre.

Caroline Jeanmart, sociologue, et Elena McGahan,
économiste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Une analyse plus détaillée sur ces différents aspects et des pistes de relance sont développées dans un article publié sur le site de l’Observatoire dans l’onglet «Nos analyses» (www.observatoire-credit.be).

[2] Le temps passé au domicile a augmenté en raison du télétravail imposé, des mises au chômage, des fermetures de commerces, des recommandations, etc.

[3] Plus précisément, la première charte prévoyait un report de six mois à partir d’avril 2020 jusqu’au 31 octobre 2020 au maximum. Cette mesure a ensuite été prolongée de trois mois jusqu’au 31 décembre, pour ceux qui avaient déjà bénéficié d’un premier report et pour autant que leur demande ait été introduite entre le 1er et le 20 septembre. Une deuxième charte a finalement prévu une nouvelle possibilité de report de trois mois, jusqu’au 31 mars 2021.

[4] Dans le compromis de vente, le futur acheteur peut demander que soit insérée une clause suspensive d’octroi du crédit. Selon cette clause, il ne s’engage définitivement à acheter que s’il obtient son crédit. Ainsi, si sa demande de crédit est refusée, la vente est censée n’avoir jamais existé. Le futur acheteur récupère en outre son acompte.

[5] Report 2020 – Economic and financial developments | nbb.be

[6] Dheygere E., 2020, «Recouvrement, énergie, sociétés, règlement collectif de dettes, crédit hypothécaire… Retour sur les modifications législatives de 2019 et focus sur les bonnes résolutions de 2020»

[7] Financial Stability Report: le secteur financier belge jouera un rôle clé dans la reprise économique | nbb.be

[8] BNB, 2021, Rapport macroprudentiel 2021, p. 14.

[9] Les banques accordent trop de crédits pour des biens destinés à la location | L’Écho (lecho.be)

[10] BNB, 2021, Rapport macroprudentiel 2021, p. 14-15.

[11] Analyse des prix – Le fonctionnement du marché du secteur notarial en Belgique | SPF Économie (fgov.be)

[13] Proposition de loi du 21 avril 2021 modifiant l’arrêté royal du 16 décembre 1950 portant le tarif des honoraires des notaires, visant à diminuer la tarification des actes notariés concernant la vente des biens immeubles, Doc. Parl., Ch. Repr., 2020-2021, n°55-1952/001/

[14] Note-interfederale-impact-COVID-19-avril-2021-FR.pdf (luttepauvrete.be)

[15] Prêt à taux zéro pour aider les locataires en difficulté – SWCS – Société wallonne du crédit social.

[16] Mormont M., Legrand M., 2020, «Sans-abrisme, l’autre pandémie», in Alter Échos, hors-série «Un toit pour tous et pour toujours», p. 6-9.