Crédit responsable et exclusion financière: une équation sans solution?

Lors de la journée de réflexion organisée par l’Observatoire du crédit et de l’endettement (OCE), la question de l’exclusion de certains consommateurs s’est posée dès lors que l’on envisage l’octroi d’un crédit responsable. Une telle exclusion financière pose la question de l’inclusion sociale des personnes qui se voient ainsi refuser l’accès au crédit. Pourtant il existe des alternatives telles que celle proposée par Crédal.

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Dans un exposé autour de la question de l’exclusion d’un accès au crédit, Elisa Dehon, économiste à l’OCE, s’est tout d’abord penchée sur une définition de l’exclusion financière. C’est auprès de la Commission européenne que cette chercheuse a trouvé de quoi caractériser ce phénomène, comme «un processus par lequel des personnes rencontrent des difficultés pour accéder et/ou utiliser des services et des produits financiers sur le marché ordinaire, qui sont adaptés à leurs besoins et leur permettent de mener une vie sociale normale dans la société à laquelle ils appartiennent»[1]. Parmi ces produits financiers, le crédit représente un instrument permettant d’avoir accès à certains biens et services qui ne sont pas payables en une fois, comme un véhicule ou des meubles.

Des chiffres par défaut

Pour approfondir cette exclusion du crédit, Elisa Dehon reprend les nuances que la Commission européenne y apporte, comme le refus de l’accès au crédit, l’accès à des formes inappropriées de crédit auprès de prêteurs alternatifs (arnaqueurs, prêts à des taux d’intérêt trop élevés ou à de mauvaises conditions…) ou auprès de prêteurs agréés (avec des formes de crédit inadaptées ou un risque de défaut inévitable).

Pour l’économiste de l’OCE, une nécessité est de pouvoir quantifier ce phénomène, car «il n’existe pas de données ou d’enquêtes spécifiques visant à monitorer l’exclusion financière et, en particulier, l’exclusion d’accès au crédit». Elle s’est donc basée sur les données de la Centrale des crédits aux particuliers et de Statbel relatifs au nombre de «non-emprunteurs», en soustrayant le nombre de majeurs belges pouvant potentiellement emprunter et ceux qui ont effectivement un crédit. «On peut constater que ce nombre a plus que doublé entre 2011 et 2022.» Mais cela ne veut pas forcément dire que les personnes figurant dans cette catégorie ont toutes été confrontées à un refus d’accès au crédit: elles peuvent avoir décidé de ne pas y recourir de manière volontaire. Autre donnée: l’accès aux prêteurs alternatifs, difficiles à quantifier car non officiels. Mais la chercheuse s’est basée sur les notifications de fraudes et d’offres illicites de produits financiers enregistrées par la FSMA, en hausse depuis 2017 (avec une baisse pour la première fois en 2022). Enfin, une étude de la Banque nationale de Belgique a porté sur les crédits à la consommation présentant des taux d’intérêt à la consommation spécialement élevés et leurs souscripteurs. Ces derniers concernés par de tels crédits présenteraient des revenus plus faibles, des difficultés à épargner et une richesse nette inférieure aux ménages utilisant des crédits à la consommation présentant des taux d’intérêt réduits.

Un public défavorisé

 Ces données restant très impressionnistes, il conviendrait pour quantifier cette réalité de l’exclusion au crédit d’effectuer une large enquête sur cette thématique. Pour autant, Elisa Dehon s’est également basée sur des constats établis par Finance Watch pour appréhender les barrières d’accès au crédit, lesquelles portent sur les exigences financières du prêteur, qui peuvent être considérées comme légitimes, mais aussi sur le manque de compétences du potentiel emprunteur, notamment sur le plan digital, en matière financière ou encore en raison d’un manque de compréhension de la langue écrite ou orale. «L’auto-exclusion n’est sans doute pas à négliger non plus en raison d’un manque de confiance ou d’estime de soi de ces potentiels clients.»

 Anne Fily, coordinatrice de recherches et chargée de projets en inclusion financière au réseau Financité, appuie ce manque de données pour mesurer le refus de crédit. Néanmoins, selon une enquête par Financité réalisée en 2021-2022 sur le comportement financier des ménages, 5% d’entre eux feraient état de contraintes sur cet accès. Un chiffre en augmentation car une étude similaire en 2017 mentionnait le chiffre de 3%. Quant aux réactions face aux barrières existantes, «les emprunteurs exclus du crédit classique se tournent vers leur famille, leurs proches. Il y a également des tontines, soit des communautés autofinancées qui se prêtent des sommes collectées par ses membres. On peut aussi citer les faux prêteurs qui ciblent ces exclus du crédit». Enfin, pour cette chercheuse, le scoring bancaire (credit scoring) à la base de l’analyse de solvabilité des clients soulève deux types de critiques: le fait qu’il peut comporter des critères discriminatoires et qu’il se base sur le seul traitement automatisé d’informations. «L’appréciation d’une demande de crédit ne sera déterminée que par des corrélations statistiques sans égard à la situation individuelle du demandeur de crédit.»

Pour cette observatrice avisée des phénomènes liés à l’inclusion/exclusion financière, il serait bienvenu de créer un observatoire pour se pencher sur ces réalités.

Un acteur de terrain différent

 Quant à Christophe Legrand, conseiller microcrédits aux particuliers chez Crédal, il a situé son action dans l’octroi de crédits, destinés en règle générale à des personnes présentant des profils d’exclus bancaires dans les institutions classiques et bien souvent en situation de précarité financière. Pour autant, «il n’y a pas de droit inaliénable au crédit chez Crédal, mais le client reçoit une réponse adaptée à sa situation financière et budgétaire. Cela suppose une analyse de la situation financière, sociale, familiale du potentiel emprunteur dans tous ses aspects».

 L’octroi de crédit chez Crédal passe par un accueil de première ligne, l’analyse de la demande et des besoins du client, avec une analyse précise du budget pour déterminer s’il y a une marge de remboursement. «Il n’y a pas de credit scoring, mais un accompagnement personnalisé intensif, avec une analyse socioprofessionnelle globale et de la situation financière et budgétaire, ainsi que des perspectives d’avenir.» Enfin un comité de crédit constitué notamment de médiateurs de dettes et d’experts financiers valide les dossiers. Avec comme fil rouge, le partage de la responsabilité d’un crédit autant entre le prêteur que l’emprunteur.

Nathalie Cobbaut

[1] Financial services provision and prevention of financial exclusion, European Commission, 2008.