Crédits en magasin : un module de formation en chantier

Certains observateurs en matière de surendettement nʼhésitent pas à comparer les crédits en magasin à l’une des dix plaies dʼEgypte. On le sait, ce type de crédits est souvent présent dans les dossiers de médiation de dettes et diverses enquêtes tendent à démontrer quʼon octroie ces produits au lance-pierres. Une meilleure formation des vendeurs en magasin, en cours de préparation au sein de Febelfin Academy en collaboration avec l’UPC, pourra-t-elle faire la différence ?

Dans les recommandations 2012 de la « Plate-forme Journée sans crédit », cette question de la formation des intermédiaires de crédit est longuement abordée. La problématique de lʼoctroi des crédits en magasin est clairement explicitée : « Plus dʼune ouverture de crédit est réalisée via un intermédiaire : courtier, agent, vendeur par correspondance, magasin ou hypermarché. Or, dans bon nombre de ces établissements, lʼoctroi du crédit se fait au comptoir, à la caisse, debout devant dʼautres clients qui patientent derrière. Ces conditions nʼincitent le consommateur ni à la prudence, ni à poser des questions précises au vendeur,… Par ailleurs il est évident que la personne qui va proposer le crédit (le vendeur, la caissière,…) nʼest pas un professionnel du crédit. Il est généralement incapable d’informer ou de conseiller correctement le consommateur quant au choix du crédit le plus adapté. » La Plate-forme relève aussi que malgré lʼarticle 10 de la LCC qui oblige les intermédiaires de crédit à vérifier la solvabilité du consommateur, cette vérification se limite à la consultation de la Centrale des crédits aux particuliers et à une série de questions standards. Il nʼy a pas à proprement parler dʼanalyse du budget et des charges du demandeur.

Au vu dʼune telle situation, la Plate-forme estime que les intermédiaires de crédit illustration Kanardevraient être formés adéquatement et de manière continue par un recyclage régulier. À lʼheure actuelle, seuls les intermédiaires en services bancaires et en services dʼinvestissement ou en assurances ont l’obligation légale de se former. En attendant une législation complète et cohérente qui réglemente le statut de tous les intermédiaires, la Plate-forme estime quʼil est prioritaire de soumettre les intermédiaires de crédit aux mêmes obligations de formation et de recyclage que les intermédiaires visés par la loi relative à l’intermédiation bancaire. La Plate-forme plaide également pour lʼinterdiction du démarchage en rue ou dans les réseaux de transport en commun, ainsi que pour lʼobligation d’aménager un espace réservé au crédit dans les lieux de vente.

L’UPC se bouge

Il semblait intéressant de prendre le pouls du secteur des professionnels du crédit par rapport à cette question. Or, il se trouve que ça fait plus dʼun an que le conseil dʼadministration de lʼUnion professionnelle du crédit (UPC) travaille à la manière de s’assurer de la maîtrise suffisante par les intermédiaires de crédit des exigences et des connaissances professionnelles et techniques de base. Cette réflexion porte sur les vendeurs de crédit en magasin, mais pas uniquement. Toutes les personnes en charge de la promotion et de l’octroi de crédit dans les points de vente, en particulier la vente d’ouvertures de crédit (quʼils soient intermédiaires de crédit à titre principal ou accessoire) devraient être concernées par l’évaluation des connaissances requises actuellement en cours d’élaboration par l’UPC avec la Febelfin Academy. L’UPC insiste sur la terminologie utilisée : il s’agit d’évaluer les connaissances requises et non de formation à proprement parler, telle que l’épingle la « Plate-forme Journée sans crédit ». Comme lʼexplique Bertrand Rasquain, conseiller juridique à lʼUPC, « on peut dire que les ouvertures de crédit (OC) délivrées en magasin ont fait couler pas mal d’encre ces derniers temps : le contexte économique, ainsi que lʼinsistance des médias à propos des OC, nous incitent donc à montrer que le secteur se préoccupe des conditions dans lesquelles ces crédits sont octroyés. Lʼon sait aussi que la directive européenne en préparation sur le crédit hypothécaire portera entre autres sur le statut des intermédiaires de crédit offrant du crédit hypothécaire. Ces travaux en crédit hypothécaire pourraient inspirer une réglementation plus générale sur lʼintermédiation pour lʼensemble des crédits. Lʼidée est donc dʼanticiper sur des obligations en termes de connaissances professionnelles qui vont inévitablement être adoptées.»

Un module de connaissances requises, décomposé en deux axes, a été préparé par l’UPC. Ce module s’inspire directement des modules de connaissances en vigueur pour l’agrément des agents en services bancaires et financiers, dont la base est la loi du 22 mars 2006 relative à l’intermédiation en services bancaires et en services d’investissements et à la distribution d’instruments financiers. (dite loi Willems). Le programme et l’examen applicables aux agents bancaires avaient été validés par l’autorité de contrôle, la CBFA (actuellement l’Autorité des Services et Marchés Financiers, en abrégé la FSMA). Le module applicable aux intermédiaires de crédit a été retravaillé et réécrit en fonction des spécificités de l’intermédiation en crédit à la consommation.

Une première partie est consacrée à lʼenvironnement du secteur financier. On y passera en revue les grandes lois applicables, comme les pratiques de commerce, le règlement collectif de dettes et la réglementation sur la centrale des crédits aux particuliers, mais aussi des aspects de droit civil relatifs à la preuve, aux sûretés, les régimes matrimoniaux et leurs effets sur l’octroi de crédit ou encore la protection de la vie privée. La deuxième partie portera sur les différents éléments de la loi sur le crédit à la consommation auxquels les vendeurs de crédit doivent être attentifs : le champ dʼapplication de la loi, les différents produits visés, lʼinformation précontractuelle et le devoir de conseil, la conclusion du contrat. Comme le précise Bertrand Rasquain, « le but est de surligner lʼindispensable à connaître en matière de crédit à la consommation et dʼuniformiser parmi nos membres les exigences de connaissance, et donc la professionnalisation des vendeurs en contact avec le public ».

Outre le module, une plate-forme d’examen interactive est mise à la disposition des membres de l’UPC concernés et du public cible. Cette plate-forme est munie d’un environnement « test » permettant au candidat de s’exercer et de s’auto-évaluer, et d’un environnement d’examen proprement dit. Le processus d’évaluation sur l’ensemble du secteur va démarrer en janvier 2013, et s’étendra probablement sur l’année entière.

Si la formation des vendeurs en magasin pourrait être significativement améliorée, il n’en reste pas moins que la politique dʼoctroi de ces produits crédits doit sans doute elle aussi être interrogée. Car au-delà des compétences minimales quʼon est en droit dʼexiger dans le chef de tout vendeur de crédit, la problématique du scoring est évidement au centre des préoccupations.

Nathalie Cobbaut

Une enquête du SPF Économie en cours

Au cours des derniers mois, une enquête a été menée par le SPF Économie, DG Contrôle et médiation, Direction B (Contrôle services financiers), afin de vérifier les conditions dʼoctroi des crédits en magasin et le respect des nouvelles obligations introduites dans la loi sur le crédit à la consommation (notamment en ce qui concerne la remise du formulaire standard d’information du consommateur de crédit, le SECCI). Déjà, en 2008, une enquête générale avait été menée auprès des mêmes cibles, soit certaines chaînes spécialisées dans la vente à crédit dʼappareils électroménagers. Une enquête qui visait entre autres l’obligation d’information et de conseil de lʼintermédiaire de crédit vis-à-vis du consommateur, ainsi que la remise du prospectus, ancêtre du SECCI. En 2012, comme en 2008, cette enquête s’est basée sur des questionnaires (check list) soumis aux vendeurs de première ligne ou aux responsables crédit dans les magasins, mais aussi sur un échantillon de contrats de crédit et des documents justificatifs y afférent, de manière à analyser les conditions dʼoctroi de ces crédits et les éléments pris en compte pour lʼoctroi de ceux-ci (article 15 de la loi sur les crédits à la consommation).

De source non confirmée par le SPF Économie (qui ne souhaite pas se prononcer sur cette enquête tant qu’elle nʼest pas clôturée), des procès-verbaux dʼavertissement auraient été dressés à l’encontre de certaines chaînes de grands magasins qui ne respectent pas la réglementation et certaines négociations seraient en cours. Le SPF confirme que des observations ont bien été transmises aux prêteurs, afin que ces derniers modifient les modus operandi dans les chaînes de magasins. Il faut savoir que le non-respect des dispositions de la loi sur le crédit à la consommation entraîne désormais la possibilité de poursuites et, le cas échéant, de condamnations pénales. En fonction de lʼattitude des prêteurs, des suites judiciaires pourront donc suivre.

Les résultats de cette enquête devraient être rendus publics début 2013. Le ministre fédéral de la Protection du consommateur, Johan Vande Lanotte, sera évidemment informé en primeur de ces résultats, ce qui pourrait le pousser à adopter des mesures spécifiques concernant le crédit en magasin. En octobre dernier, il avait dʼailleurs déclaré que des règles plus sévères pour les achats à crédit en magasin pourraient être mises en oeuvre. Il a notamment évoqué la possibilité de séparer de manière nette la décision dʼachat d’un article et la souscription à une carte de crédit. Il semblerait bien que lʼétau se resserre autour des pratiques dans ce secteur.

Nathalie Cobbaut