CT Liège (division Liège – 10e chambre), 17 février 2015 (RG n°2014/AL/599); TT Mons et Charleroi, (division Charleroi – 5e chambre), 17 février 2015 (RG n°09/600/B) et TT Liège (division Namur), 5 janvier 2015 (RG n°09/357/B)

Les amendes pénales peuvent-elles encore faire l’objet d’une remise de dettes dans le cadre d’un plan de règlement collectif de dettes?

Les alinéas 3, 4 et 5 de l’article 464/1, §8, alinéas 3, 4 et 5 du Code d’instruction criminelle prévoient désormais que:

– le SPF Finances sera le créancier à prendre en considération dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité impliquant la personne condamnée par un tribunal pénal à payer une amende, une somme d’argent confisquée et/ou des frais de justice en matière pénale ou un tiers qui conspire sciemment et volontairement avec cette personne afin de soustraire son patrimoine à l’exécution de cette condamnation;

– au sens de l’article 461/1, §8, les procédures collectives d’insolvabilité comprennent la faillite, la réorganisation judiciaire, le règlement collectif de dettes ou toute autre procédure collective judiciaire, administrative ou volontaire, belge ou étrangère, qui implique la réalisation des actifs et la distribution du produit de cette réalisation entre, selon le cas, les créanciers, les actionnaires, les associés ou les membres;

– la remise ou réduction des amendes et des frais de justice en question dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité ou d’une procédure de saisie civile ne peut être accordée qu’en application des articles 110 et 111 de la Constitution, autrement dit, par le Roi (le pouvoir exécutif) dans le cadre d’un recours en grâce et non par le juge.

Ces dispositions, comme l’ensemble de l’article 468/1, ont été introduites dans le Code d’instruction criminelle par la loi du 11 février 2014 portant des mesures diverses visant à améliorer le recouvrement des peines patrimoniales et des frais de justice en matière pénale (MB, 8 avril 2014, p. 29.894), entrée en vigueur le 18 avril 2014. Cette loi instituait une enquête patrimoniale spéciale dénommée «enquête pénale d’exécution» (EPE) qui permet au ministère public de disposer du droit, moyennant certaines conditions, de mener des enquêtes afin de rechercher, d’identifier et de saisir le patrimoine des personnes condamnées par un tribunal pénal à payer les sommes précitées.

L’article 464/4 du Code d’instruction criminelle, introduit par la loi précitée, réservait l’EPE aux hypothèses où ces sommes n’ont pas été payées complètement et où le montant de l’obligation de paiement est important. Il prévoyait qu’un arrêté royal définirait ce qu’il y aurait lieu d’entendre par ce montant en fonction du montant à recouvrer ou de la gravité de l’infraction qui a motivé la condamnation.

Cela a été fait par l’arrêté royal du 25 avril 2014 portant exécution de l’article 464/4, §1er du Code d’instruction criminelle (MB, 30 mai 2014, p. 41.988) dont l’article 1er précise que l’EPE ne peut être effectuée que si les conditions suivantes sont réunies:

1° le condamné doit avoir été déclaré coupable d’une infraction qui, au moment de la condamnation définitive, peut être punie d’une peine principale d’emprisonnement correctionnel d’un an ou davantage;

2° le solde à recouvrer des sommes d’argent confisquées, amendes pénales et frais de justice en matière pénale doit s’élever, au jour de l’ouverture de l’EPE, à un total d’au moins 10.000 euros.C’est la raison pour laquelle le tribunal du travail de Liège, division de Namur, dans un jugement prononcé le 5 janvier 2015[1], a imposé un plan de règlement judiciaire avec remise de dettes en capital, frais et intérêt alors que le passif du requérant comprenait plusieurs créances correspondant à des amendes pénales en estimant que l’interdiction de remise de dettes dans le cadre d’une procédure collective d’insolvabilité prévue à l’article 461/1, §8, alinéa 5 du Code d’instruction criminelle ne concernait que les amendes pénales qui pouvaient faire l’objet d’une enquête pénale d’exécution, c’est-à-dire les amendes prononcées du chef d’une infraction punie d’une peine principale d’emprisonnement d’au moins un an et dont le montant s’élevait à plus de 10.000 euros. Or, dans le cas d’espèce, les montants des amendes pénales déclarés dans le cadre de la procédure de règlement collectif de dettes n’atteignaient pas 10.000 euros, qu’ils soient considérés séparément ou globalement. La remise de dettes pouvait dès lors leur être appliquée.

Par contre, la cour du travail de Liège, réformant une décision prononcée par le tribunal du travail de Liège, division de Huy, à la suite d’un appel du SPF Finances, qui allait dans le même sens que celles prononcées par son homologue namurois, a jugé qu’en vertu de l’article 464/1, §8, alinéa 4, du Code d’instruction criminelle, le juge du règlement collectif de dettes n’était pas compétent pour accorder une remise de dettes (en capital, intérêts et frais) concernant des amendes pénales, que ce soit dans le cadre d’un plan judiciaire qu’il impose ou d’un plan amiable qu’il homologue. Celles-ci ne devaient pas être considérées «hors plan» mais bien «hors remise de dettes».

La Cour souligne également que depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition, il y a lieu de faire fi de la jurisprudence antérieure selon laquelle une dette résultant d’une condamnation à une amende pénale peut faire l’objet d’une remise totale dans le cadre d’un règlement collectif de dettes[2], bien que «le juge dispose dans ce cas d’un pouvoir de décision qui peut l’amener à déclarer la demande non fondée[3]».

La Cour déclare dès lors que le plan de règlement judiciaire tel qu’imposé en vertu de l’article 1675/13 du Code judiciaire par le juge du tribunal du travail se doit d’être amendé en précisant que, dans ce cas, les amendes pénales ne seront pas mises «hors plan» mais bien «hors la remise de dettes».

Dans le même esprit, dans un jugement du 17 février, le tribunal du travail de Mons et de Charleroi, division de Charleroi, a estimé ne pas pouvoir homologuer un plan amiable qui prévoyait une remise d’amende pénale au motif que «l’article 464/1, § 8, alinéa 5 du Code d’instruction criminelle garantit l’application de l’article 110 de la Constitution qui octroie au Roi la compétence de réduire ou de remettre les peines. Les dispositions légales qui règlent les procédures d’insolvabilité collectives ne peuvent y porter atteinte en tant que norme juridique de rang inférieur. La remise d’une amende pénale par le juge du règlement collectif de dette est dès lors de nature à heurter le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs». Le tribunal a donc imposé un plan judiciaire en application de l’article 1675/13 du Code judiciaire en précisant qu’aucune remise de dettes ne serait acquise au requérant en ce qui concerne la créance correspondant à l’amende pénale.

Cette jurisprudence est approuvée par Messieurs Bedoret, Burniaux et Westrade[4] tandis que la jurisprudence namuroise semble jusqu’ici demeurer minoritaire. Le dernier mot a-t-il été dit par la cour du travail de Liège? La Cour de cassation sera-t-elle amenée à se prononcer sur le sujet? L’avenir nous le dira.

Télécharger les PDF C.T. Liège (10e ch. – Division de Liège) 17 février 2015 (RG 2014.AL.599)T.T. Mons et Charleroi (5e ch. – Division de charleroi) 17 fevrier 2015 (RG 09.600.B)T.T. Liège (9e ch. – Division de Namur) 5 janvier 2015 (RG 09.357.B)

[1] Voyez dans le même sens T.T. Liège (division Namur), 2 février 2015, rôle n° 13/179/B, JLMB, 15/376.

[2] Cass. (3e ch.), 18 novembre 2013, RG n° S.12.0138.F, Annuaire juridique du crédit et du règlement collectif de dettes, 2013, p. 267.

[3] CA, 22 novembre 2006, arrêt n°175/2006, RG n° 3858, http://www.const.-court.be ; Cass. (1re ch.), 9 septembre 2005, RG n° C040888F, http://jure.juridat.fgov.be.

[4] Bedoret C., Burniaux J.-C. et Westrade M., « Inédits de règlement collectif de dettes II », JLMB, 2015/16, p. 740-742.