Des médiés interdits de casino, à tort ?

En septembre dernier entrait en vigueur une nouvelle disposition qui vise à protéger les personnes en règlement collectif de dettes des dangers du jeu. Suite à l’introduction de cette nouvelle mesure, la Commission des jeux de hasard chargée d’administrer ces exclusions a été confrontée à des centaines de réclamations de personnes se disant exclues à tort des salles de jeux et revendiquant le droit de récupérer cette faculté. En cause : la mauvaise tenue du fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession et de règlement collectif de dettes.

Des appels incendiaires sur le numéro vert 0800/35777, des centaines de mails reçus en quelques jours seulement, après l’entrée en vigueur de l’interdiction des personnes admises en règlement collectif de dettes (RCD) dans les casinos, les salles de jeux automatiques et agences de paris : telle est la volée de bois vert que la Commission des jeux de hasard a récoltée après avoir entré dans le système électronique EPIS le nom des personnes médiées figurant dans le fichier des avis de saisie, de délégation, de cession et de RCD.

Depuis septembre 2013, les personnes admises en RCD se voient refuser l’accès des salles de jeux, comme d’autres catégories de personnes visées par la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard (voir encadré). Quelque 88 000 personnes en RCD sont ainsi visées par cette mesure. Comme nous l’a expliqué Etienne Marique, président de la Commission des jeux de hasard, « sous la précédente législature, nous avons participé à des réunions pour évaluer les actions qui ont découlé du premier plan contre la pauvreté. Lors de ces réunions, l’asbl Dignitas, qui défend les droits des personnes surendettées, avait évoqué les problèmes de jeux de ce public et la nécessité de les protéger. En effet, certaines personnes en difficulté financière le sont à cause du jeu ou pensent pouvoir se refaire en y recourant. Ce qui a mené à la modification de la loi de mai 1999 et à l’introduction d’une nouvelle catégorie de personnes exclues de la fréquentation des salles de jeux de hasard ».

Des joueurs qui réclament

Cette mesure entrée en vigueur en septembre dernier a provoqué de vives réactions dans le chef d’une série de personnes qui se sont dites injustement exclues des salles de jeux, n’étant plus en règlement collectif de dettes. À la grande surprise de la Commission des jeux de hasard qui s’est basée sur les données du Fichier des avis de saisie, de délégation, de cession et de RCD. Comme l’explique Barbara Masquelier, attachée à la Commission et responsable de la cellule Protection des joueurs, « nous avons été surpris par l’importance des plaintes reçues à la suite de la mise en œuvre de cette mesure. Près de 400 en septembre et un volume qui a à peine faibli les mois suivants. Nous ne comprenions pas bien la provenance des difficultés : les plaignants nous disaient ne pas être en RCD et donc ne pas être visés par cette mesure d’exclusion. Nous avons contacté la Chambre nationale des huissiers de justice, gestionnaire du Fichier des avis de saisie, pour tenter de comprendre, lequel nous a renvoyés vers les opérateurs chargés d’alimenter le fichier en matière d’avis de RCD : les greffes des tribunaux chargés jusqu’en septembre 2013 de l’introduction des données relatives au RCD et les médiateurs de dettes, ayant récupéré la mission à cette date. »

À la suite de son enquête, la Commission des jeux de hasard a reçu des réponses allant en sens divers, les greffes des tribunaux ne travaillant pas tous de la même manière par rapport à la gestion des données du fichier des avis de saisie. Certains greffes ont accepté d’effectuer la radiation du RCD si celui-ci était échu, d’autres ont rétorqué que le maintien de ceux-ci dans le fichier leur permettait de conserver un historique des requêtes, afin notamment de pouvoir statuer sur la pertinence d’une nouvelle demande lorsqu’un plan a été interrompu, par exemple en cas de révocation. Ce type d’attitude étonne, car le maintien des inscriptions dans le fichier des avis de saisie a des conséquences, comme c’est le cas ici en matière d’accès aux casinos et autres salles de jeux. C’est également le cas lorsque le particulier sollicite un prêt : le fait d’être signalé comme étant en RCD impacte également la capacité d’emprunter de la personne en règlement collectif, puisque tout prêteur doit consulter le fichier négatif et tirer les conséquences des informations y recueillies en vue de l’octroi ou du refus du prêt sollicité. Or le fichier négatif en matière d’avis de RCD est directement alimenté par les données figurant dans le fichier des avis de saisie1.

Un fichier mal complété

Nous avons contacté la Chambre nationale des huissiers de justice, gestionnaire du fichier des avis de saisie. Celle-ci estime avant tout que la fiabilité des données du fichier dépend de la manière dont les personnes et organismes chargés d’introduire ces données relatives aux RCD effectuent leur mission. Comme le souligne Nicolas De Cock, juriste auprès de la CNHJ, « le fichier ne peut être correctement établi et donc efficace que si les utilisateurs chargés d’introduire les données réalisent cette tâche avec soin. La réglementation prévoit que dans les 24 heures de l’admissibilité de la requête, cet avis doit être inscrit dans le fichier. Une fois un plan amiable ou judiciaire établi, la date de début et de fin doit être introduite, ainsi que toute modification, rectification, révocation, suspension qui intervient par la suite. Cette tâche revient aujourd’hui aux médiateurs de dettes pour les RCD postérieurs à septembre 2013. Pour les procédures antérieures, ce sont les greffes des tribunaux qui étaient chargés de cette mission. Nous devrions effectuer une formation auprès des médiateurs de dettes sur leur responsabilité en la matière, mais pour l’instant la mise en œuvre de la nouvelle loi sur le statut des huissiers (voir Télex p.30, NDLR) nous prend énormément de temps et nous empêche mettre sur pied cette formation»

Quant à la mise en œuvre d’une solution aux difficultés rencontrées par la Commission des jeux de hasard et la mise en conformité des données du fichier des avis de saisie, au cabinet de la ministre de la Justice, Annemie Turtleboom, on envisage la mise en œuvre d’une rectification automatique des règlements collectifs qui sont venus à échéance. Ce qui semble une solution à première vue de bon sens, mais qui pourrait générer des dysfonctionnements si les données relatives aux plans de RCD figurant dans le fichier n’ont pas été actualisées. On ne voit par exemple pas ce qu’il adviendra des plans provisoirement suspendus, notamment en raison d’une dette imprévue venant aggraver la situation de surendettement et hypothéquant le plan jusque-là négocié. Selon Koen Peumans, porte-parole de la ministre, « une instruction sera transmise aux greffes pour expliquer la nécessité de radiation des RCD arrivés à échéance ». Pour ce qui est des formations à dispenser par la CNHJ, il faudra sans doute patienter. Enfin, pratiquement, la Commission des jeux de hasard qui est amenée à gérer de nombreuses plaintes, renvoie aux greffes et aux médiateurs de dettes pour que les données du fichier des avis de saisie soient actualisées.


Nathalie Cobbaut

Les exclus des salles de jeux

EPIS, pour Excluded Persons Information System : un système électronique géré par la Commission des jeux de hasard qui regroupe tous les joueurs exclus et qui permet d’interdire l’accès aux personnes qui figurent dans ce fichier à l’entrée d’une salle de jeux automatiques, d’un casino réel ou virtuel ou d’une agence de paris virtuelle. Toute personne fréquentant de tels établissements doit en effet produire sa carte d’identité à l’entrée et les nom, prénom et date de naissance de celle-ci sont introduits dans le système avant de pouvoir accéder au « saint des saints ». Si la personne figure parmi les exclus de la liste EPIS, l’entrée de la salle de jeux lui sera interdite.

Actuellement ce sont quelque 250 000 personnes qui figurent dans EPIS, qu’elles se voient refuser l’accès aux salles de jeux ou qu’elles en aient fait la demande. En effet la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard prévoit une série de mesures de protection. L’article 53 §3 dispose que les moins de 21 ans ne peuvent accéder aux salles de jeux. L’interdiction vaut également pour certaines professions comme les magistrats, les notaires, les huissiers et les membres des services de police, soit 46 000 personnes. Il y a également les personnes qui souhaitent être protégées d’elles-mêmes et qui demandent à être exclues du droit d’entrée des salles (19 665 demandes début 2014, avec des dossiers en augmentation). Autre catégorie : les exclus à la demande de tiers. En effet, depuis 2010, un tiers intéressé (par exemple, le conjoint, un parent, un enfant) peut demander à la Commission des jeux de hasard d’exclure un proche. Pour cela il faut introduire un dossier étayé auprès de la Commission. Ces exclusions à la demande de tiers étaient au nombre de 85, début 2014. Il y a également les cas d’exclusion pour statut de minorité prolongée ou pour incapacité : environ 50 000 dossiers. À cet égard, les dispositions de la loi du 7 mai 1999 vont être considérablement modifiées suite à la réforme du système de l’administration provisoire. Pas moins de 88 000 personnes en RCD sont également interdites de jeux, depuis septembre 2013.

Des mesures de protection contre la dépendance

Au-delà du cafouillage généré par la gestion problématique du fichier des avis de saisie, on peut s’étonner du nombre important de personnes qui se sont plaintes de cette exclusion des salles de jeux. Elles ont déjà pourtant rencontré des problèmes importants d’endettement, vu qu’elles ont recouru à la procédure de RCD. Pour la Commission des jeux de hasard, ces demandes de réintégration sont interpellantes.

Situation un peu paradoxale que de voir un État autoriser le jeu et s’enrichir sur la base des taxes que cette activité lui rapporte (tout comme sur la cigarette ou l’alcool) et en même temps mandater un organisme public, la Commission des jeux de hasard, afin de prévenir les risques inhérents à cette même activité. Dans son rapport d’activités 2011, la Commission des jeux de hasard chiffre le problème : « La dépendance aux jeux de hasard est une dépendance sans substance toxique. Elle peut cependant avoir de graves conséquences pour le joueur et son entourage : séparation/divorce, dépression, anxiété, surendettement, perte d’emploi, criminalité en vue de se procurer de l’argent, voire suicide. On estime que le nombre de joueurs pathologiques s’élève à 44 000 en Belgique. De plus, 176 000 personnes rencontreraient des problèmes liés aux jeux de hasard. »

À côté des activités de la Commission en termes d’octroi des licences pour les casinos et casinos en ligne, les salles de jeux et de jeux en ligne, les jeux pour débits de boissons ou encore les salles de paris et de paris en ligne, ainsi que les jeux médias, mais aussi de surveillance, de contrôle et de sanctions des activités illégales, la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard prévoit la protection des joueurs et des personnes vulnérables. L’encadrement de l’accès aux jeux est donc réglementé pour en limiter les effets pervers, avec la possibilité d’en interdire l’accès à certaines catégories de personnes (voir pages précédentes).

De la prévention multimédia

Autre effort de la Commission des jeux de hasard : la sensibilisation et la prévention du grand public. Pour cela plusieurs axes d’action : un folder de prévention (en français, néerlandais, anglais, allemand, turc et mandarin) à l’intention des joueurs problématiques, contenant des conseils, des adresses où trouver de l’aide, un test, ainsi qu’un formulaire de demande d’interdiction des casinos et des salles de jeux. Mais aussi un site internet : www.aide-aux-joueurs.be, une initiative commune de la Commission des jeux de hasard, de l’asbl Le Pélican (Bruxelles) et du CAD-Limburg. Ce site bilingue propose une aide et des informations pour les personnes souffrant de problèmes de jeux, ainsi que des autotests et une aide en ligne.

La Commission a également pour mission de faire respecter le placement d’une bannière sur les sites de jeux en ligne qui renvoie aux sites www.gamingcommission.be et www.aide-aux-joueurs.be. Il existe également un numéro gratuit : le 0800/35 777 qui est actif 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ainsi qu’une page Facebook créée pour informer le public actif sur les réseaux sociaux.

N. C.

Bluff : prévenir le jeu chez les jeunes

C’est tout un kit de prévention que la Commission des jeux de hasard a imaginé pour prévenir l’addiction au jeu chez les adolescents. Le principal outil pédagogique réside dans un film de fiction de 37 minutes en DVD, dont l’intrigue se situe dans une école où une bande de jeunes découvre et plonge lentement dans les méandres et la dépendance aux jeux d’argent. Un brin caricatural et catastrophiste, ce moyen-métrage découpé en cinq chapitres montre néanmoins comment d’un divertissement occasionnel, on peut évoluer vers une pratique dangereuse, liée à des gains prétendument faciles et à la criminalité qui accompagne dans certains cas le fait de jouer à des jeux d’argent. Le film peut aussi être visionné via le site web www.bluffonline.be. Le kit de prévention dont le graphisme et les visuels ont été soignés reprend également un dossier pédagogique qui explicite les différentes facettes des jeux de hasard et ce que représente la dépendance aux jeux. Ce dossier contient également des questions à propos du film, ainsi que des jeux et activités autour de ce thème. Le kit comprend encore un jeu de société éducatif sur le thème du jeu et un carnet à remplir par le jeune afin qu’il évalue ses propres comportements par rapport aux jeux de hasard.

1 Voir l’article « Centrale des crédits aux particuliers : des informations incomplètes », in : Les Échos du crédit, n°38, avril-mai-juin 2013, p. 4 à 6.