Dominique Moineaux, magistrate: «Tenter d’endiguer les rechutes en RCD, en maintenant du sens»

Que ce soit dans le chef des magistrats ou celui des médiateurs de dettes, il est important de s’interroger sur les causes d’échecs ou de rechutes et de réfléchir à des solutions qui pourraient améliorer le taux de réussite. Pour y tendre, bien des intervenants plaident pour un meilleur accompagnement des médiés. Mais selon quelles modalités?

«Jumet. 20 novembre 2018. 8 heures du matin. Je me rends au Palais. L’automne est là et sur la chaussée de Gilly, devant le numéro 18, une file de personnes déshéritées attend devant la porte de la maison Croix-Rouge avec leur chariot de courses. Ils attendent la distribution de colis alimentaires. S’ils n’arrivent pas avant 9 heures, ce n’est même pas la peine de se déplacer, il n’y aura plus rien. Et c’est la même routine trois fois par semaine et, à chaque fois, la file s’allonge un peu plus…»

Dominique Moineaux est présidente du tribunal du travail du Hainaut et depuis le transfert de la compétence du RCD devant ces juridictions, cette procédure, elle connaît bien. Si elle fait référence à ces cohortes de personnes devant la Croix-Rouge, c’est qu’elle sait que ce sont les mêmes personnes qu’elle verra arriver au greffe, étouffées sous les dettes et à la recherche d’une solution pour leur permettre de reprendre leur souffle. Si ce n’est que le RCD ne permet pas toujours d’accéder à un rétablissement financier.

Cette magistrate a évoqué, lors de son intervention au colloque de novembre, plusieurs causes d’échec de la procédure: en premier lieu, elle cite les cas de révocation (article 1675/15 du Code judiciaire). Selon les chiffres du Collège des cours et tribunaux, 16,2% des dossiers qui auraient été clôturés ces trois dernières années l’ont été par révocation. La juge rappelle le Code judiciaire qui parle de documents inexacts remis par le médié ou de fausses déclarations, le non-respect de ses obligations, l’augmentation du passif ou la diminution de l’actif, ou encore l’organisation de son insolvabilité. «Certes la procédure impose la collaboration, la transparence, l’absence de dettes post-admissibilité et, si les conditions ne sont pas respectées, le médié se met hors jeu. Mais parfois, à force de ne pas supporter les contraintes, de ne pas les comprendre, de ne pas supporter l’inertie de certains médiateurs de dettes, certains organisent une vie parallèle, des revenus parallèles. Le médié ne dit pas tout, il se débrouille hors de la procédure. À force d’avoir fixé des charges incompressibles, le médié s’écarte à nouveau et “oublie” de payer certaines charges (loyer ou plus souvent taxes communales, frais d’énergie, de communication, frais de santé…).»Sans pour autant être un fraudeur… Autre constat d’échec cité par Dominique Moineaux: le rejet, admis par la jurisprudence, pour éviter le purgatoire des cinq ans qu’induit aujourd’hui une décision de révocation. Enfin, troisième cause d’échec: la rechute, qui tournerait autour des 10% des dossiers. Et la juge, de citer des exemples, chiffres à l’appui, où des médiés, après une première procédure en règlement collectif de dettes, voire une seconde, menées à terme, se retrouvent à nouveau en RCD. À chaque fois, le dossier de RCD consécutif à une rechute comporte de nouvelles dettes (prêts personnels, carte de crédit, prêt auto, frais de santé…).

Comment garder du sens?

Selon la juge Moineaux, pour tenter d’endiguer ces rechutes, soigner le rôle du médiateur de dettes est central: «Le magistrat doit veiller à améliorer l’information des médiés par les médiateurs, avec de meilleurs médiateurs, plus diligents, plus pédagogues, mais il doit aussi diligenter un travail plus rigoureux avec des agendas, des échéanciers, une surveillance. Il s’agit aussi de trouver une autre forme de collaboration avec les services sociaux pour les mesures d’accompagnement et d’insister sur le fait que le travail pédagogique et social du médiateur de dettes doit être rémunéré, ce qui n’est pas le cas actuellement.» L’axe des magistrats est également primordial pour la juge Moineaux qui rappelle la nécessité d’avoir des moyens humains suffisants pour faire face et gérer ensemble ce contentieux:«Des projets doivent être mis en place pour nous aider à supporter ce contentieux intrusif et moralisateur avec des supervisions, des échanges et des formations, tout en étant attentifs à la question du sens.»

Comment en effet garder du sens quand, dans beaucoup de situations de surendettement, les revenus ou les revenus de remplacement sont trop peu importants? Telle est la question que pose la juge Moineaux, étant donné qu’«à la fin d’un dossier, on sait que les gens reviendront faute de moyens suffisants pour prendre en charge les dépenses de première nécessité. On assiste en quelque sorte impuissants à la réitération d’un endettement qui deviendrait perpétuel».Autre réflexion, également politique, que la juge Moineaux formule: la facilité avec les crédits sont accordés. «Dans les dossiers traités par les services de médiation de dettes agréés wallons, on retrouve des ouvertures de crédit dans 46,2% d’entre eux, des prêts à tempérament dans 38,7% des cas et des ventes à tempérament, dans 10,9%.»Et la juge de citer une interview d’Étienne de Callataÿ, économiste auprès d’Orcadia Asset Management spécialisée dans la gestion de patrimoine, que l’on interrogeait sur le risque d’une nouvelle crise financière: «La crise des subprimes fut une énième crise de l’endettement, où certains ont trop emprunté et d’autres trop prêté. Et il n’y a pas de raison que ce soit la dernière du genre. Du côté de l’emprunteur, l’envie de dépenser aujourd’hui les revenus d’après-demain est toujours bien présente, et la stagnation du pouvoir d’achat comme la faiblessedes taux d’intérêt et la force de persuasion du consumérisme alimentent cet attrait pour l’emprunt. Mais il faut être deux pour s’endetter et se surendetter. À l’envie d’emprunter répond l’envie de prêter, pas moins puissante, ayant pour elle la force de l’argent. Il y a prêt car il y a intérêt. Or aujourd’hui, prêter prudemment, c’est prêter à taux d’intérêt négatif, alors que l’inflation tend vers 2%. Ce n’est donc pas de cette manière que l’on s’enrichit ou qu’un dirigeant de banque répond à l’injonction d’offrir un rendement de 10% sur les fonds propres à ses actionnaires. Dès lors il faut bien voir que la tentation de prêter en masse à des emprunteurs plus risqués n’a aucune raison d’avoir disparu. Au contraire…»(Le Soir, 26 septembre 2018).

Nathalie Cobbaut

Un projet pilote en réflexion

Dans son intervention, Dominique Moineaux a cité une étude menée par l’ULB sur un projet pilote de cabinets d’aide juridique pluridisciplinaires, en réflexion avec l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG). Le constat à la base de cette recherche menée par Elise Dermine et Emmanuelle Debouverie part de la difficulté pour les publics les plus vulnérables d’accéder au système actuel d’aide juridique de seconde ligne. L’absence d’information du justiciable, la multitude d’intervenants dans des lieux géographiquement distincts, la complexité et la lourdeur administrative de la procédure de désignation d’un avocat sont citées comme des obstacles importants, tout comme le système d’indemnisation via des points qui dissuadent les avocats de prendre les dossiers trop lourds et trop chronophages. Le manque de collaboration structurelle entre les associations qui accompagnent les personnes les plus vulnérables et les avocats est également pointé. Autres difficultés, une fois l’aide juridique de seconde ligne acquise: la distance culturelle entre l’avocat et ces clients spécifiques, l’absence de prise en compte de l’ensemble des difficultés juridiques et sociales d’une personne, mais aussi l’absence de volet préventif, pré- ou post-contentieux.

Pour pallier ces difficultés et permettre une approche holistique, l’idée serait de tendre vers un système dit mixte d’aide juridique, avec des avocats rémunérés par des fonds publics pour représenter les personnes indigentes en justice, comme c’est le cas actuellement, doublé d’un système d’avocats permanents, rémunérés avec un revenu mensuel fixe et pratiquant une approche globale, préventive et systémique pour la prise en charge des dossiers les plus complexes et des personnes les plus vulnérables. Ces cabinets seraient composés d’avocats spécialisés mais aussi d’assistants sociaux, permettant une prise en charge pluridisciplinaire. Ces avocats pourraient prendre du temps pour le traitement de ces dossiers plus ardus et nécessitant un accompagnement spécifique.

Une piste visant à compléter le système actuel d’aide juridique et ayant pour but d’édifier un filet de sécurité pour tous les dossiers et les justiciables qui n’ont pas trouvé chaussure à leur pied.

Pour plus d’infos: elise.dermine@ucl.ac.be;emmanuelle.debouverie@ucl.ac.be).