En février 2015, le gouvernement croate annonçait un plan d’annulation des dettes de quelque soixante mille personnes en état de grande précarité. Soixante mille personnes vivant avec des revenus inférieurs à 325 euros par mois ou 160 euros par membre au sein d’une même famille (le salaire moyen en Croatie est de 737 euros) et présentant un volume de dettes inférieur à 4.550 euros. Une mesure qui concerne aussi ceux qui touchent des allocations sociales. Cette annulation porte sur les dettes auprès d’entreprises publiques, d’opérateurs de téléphonie et de banques. Elle intervient après six ans de récession économique qui frappe durement la population et, parmi elle, les moins favorisés.
Cette mesure a donné des idées à un Think Thank #18 intitulé «Pour la formation d’un comité pour l’annulation de la dette du quart-monde», qui s’est réuni en ce début d’année 2016 et qui lance aujourd’hui un appel pour la remise de dettes pour grands précaires. Parmi les arguments pour justifier une telle mesure, appliquée par le gouvernement croate, l’un d’eux fait mouche, particulièrement lorsque l’on envisage les pertes d’emploi et les restructurations qui frappent de nombreux travailleurs. Ce Think Tank, porté par l’asbl DouchFlux, rappelle que «la faillite, qui a droit de cité dans le milieu des affaires, constitue une forme de dettes jamais honorée. Or l’économie néolibérale fait de chaque citoyen un “petit entrepreneur”, c’est-à-dire une personne morale. Donc la faillite des personnes physiques doit être valorisée comme celle d’une personne morale. Il ne peut plus s’agir, d’un côté, d’une erreur de calcul compréhensible, voire d’un goût du risque assumé, et de l’autre, d’une faute morale». Autre réflexion émise par le Think Tank: «La dette n’existant qu’entre égaux potentiels, exiger le remboursement, c’est rétablir l’égalité incontestablement. Mais quand cette exigence est démesurée, l’inégalité est entérinée, irréversiblement.» Enfin, «si les Croates l’ont fait, les Belges devraient pouvoir y arriver».
Cette réflexion sur l’annulation de la dette des particuliers, sans passer par une procédure longue et douloureuse de mise sous tutelle et de mea culpa, est sans doute à mener, d’autant qu’elle se pratique déjà, en Croatie et ailleurs, dans les pays anglo-saxons où s’endetter est bien plus courant, mais peut-être aussi moins stigmatisant. Cette réflexion intervient également dans un contexte mondialisé, où des milliers de travailleurs qui ont joué le jeu de l’endettement comme moteur de l’économie et ont acheté maison, voitures, cuisines équipées et véranda en aluminium avec leur salaire gagné en échange de leur labeur, se voient remerciés de leurs bons et loyaux services. Sans avoir le moins du monde démérité, ni exagéré dans leurs dépenses, ayant juste suivi les prescrits de notre société de consommation, les voilà à la merci de grands groupes qui ont décidé d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus grasse ou de diminuer les coûts pour engranger davantage de bénéfices. Des travailleurs à qui l’on propose des cellules de reconversion, des campagnes les incitant à aller parler de leurs problèmes à leurs banquiers, du soutien psychologique, mais à qui l’on demande néanmoins d’honorer leurs engagements financiers alors que les règles de l’économie libérale et de la mondialisation ne s’encombrent ni d’honneur, ni de parole, ni d’engagements. N’est-ce pas alors à la collectivité, à la société de rétablir l’équilibre? Le droit que l’on appelait jadis social n’est-il pas là pour contrebalancer les inégalités, diminuer les rapports de force? L’appel du Think Tank #18 doit-il concerner les grands précaires ou s’appliquer aussi à ceux qui ont joué le jeu et s’en trouvent pénalisés?
Nathalie Cobbaut