Familles monoparentales: des dispositifs pour les soutenir

Parmi les personnes précarisées, les familles monoparentales sont en bonne place. Elles figurent également dans le peloton de tête des dossiers de surendettement. Pour leur venir en aide, des plans ainsi que des dispositifs ont été mis en place par les Régions, afin que ces familles soient mieux encadrées et prises en charge dans leurs difficultés. Petit état des lieux de ce qui existe.

ERRATUM: Dans la version papier de cet article, Samira Laasiba était mentionnée comme faisant partie de l’équipe du Relais Familles Mono. Or elle est membre de l’asbl Relais des Mamans Solos. Toutes nos excuses pour cette erreur, corrigée dans l’article ci-dessous.

 Les familles monoparentales sont une réalité socio-démographique qui est loin d’être négligeable dans notre pays, mais qui semble diversement chiffrée: en Wallonie, selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, l’an dernier, on dénombrait 196.396 ménages de ce type, soit 12,2% parmi la population du sud du pays. À Bruxelles, c’est le Baromètre social de l’Observatoire de la santé et du social qui donne un ordre de grandeur de cette réalité et, là aussi, on tourne autour des 12% (soit 65.106 familles concernées par cette réalité) pour 2021. Pour autant, certains rapports citent le chiffre de 25% de familles monoparentales, ce qui double la mise. Si on calcule leur proportion sur le nombre de ménages avec enfants, celles-ci représentent 28% des ménages avec enfants en Région wallonne et 33% de ces mêmes ménages à Bruxelles (chiffres de janvier 2022).

Il faut également se pencher sur la définition de ce type de familles, comme l’a fait Financité dans une analyse «Monoparentalité: attention danger»[1]. Selon cette analyse, la définition du sociologue Martin Wagener semble pertinente, soit «un ménage formé d’un seul parent et au moins d’un enfant à charge, dans lequel le parent éduque son/ses enfant(s) seul (en continu ou en alternance) et qui assume la totalité ou une partie de la responsabilité financière du ménage»[2]. Alors que, dans les années 60, ce type de familles était essentiellement le fait de décès d’un des parents dans le couple, aujourd’hui les familles monoparentales sont majoritairement la conséquence de ruptures de couples. Or, selon Financité, «le SPF Économie (NDLR: Statbel) se base sur l’inscription au registre national des personnes physiques. [Les statistiques] ne tiennent pas compte des gardes alternées, quelles qu’en soient les modalités. Compte tenu du fait que l’alternance dans les gardes d’enfants est privilégiée […], il convient de multiplier le chiffre par deux».

Quels que soient le calcul et les chiffres, ce qui est sûr, c’est ue ces familles concernent majoritairement des femmes (soit 86%) et qu’elles rencontrent des difficultés financières plus ou moins importantes du fait de cette situation. Le risque de pauvreté de ces ménages est accru, de par la réalité genrée, mais aussi (et c’est en lien avec le premier élément) en raison du cumul d’un faible taux d’activité, d’emploi et un taux de chômage élevé, ainsi qu’un paiement irrégulier, voire inexistant des contributions alimentaires. On retrouve une surreprésentation de ces ménages dans les dossiers de médiation de dettes (voir les chiffres de l’Observatoire du crédit et de l’Observatoire de la santé et du social). Près d’un quart des personnes qui se sont adressées à un SMD sont dans cette situation de monoparentalité, avec pour premiers déclencheurs du surendettement l’impossibilité de payer les frais de logement, en particulier les charges, et les soins de santé.

«Constamment en apnée»

 À l’occasion d’auditions en commission de la Justice au parlement fédéral, afin de discuter d’une proposition de loi visant à favoriser le recours au règlement collectif de dettes[3], Samira Laassiba, représentante de l’association Relais des Mamans Solos et personnellement concernée par une procédure de RCD, a livré un témoignage et un plaidoyer pour une adaptation de la loi:

«Quand mes prédécesseurs lors de ces auditions évoquent la facilité du RCD, le fait que cela permet de faire tomber le stress lié aux dettes, au sein de notre association, on se dit qu’on doit vivre dans un monde parallèle au vôtre où vous avez trop d’argent et nous pas assez. Car, pour nous, cette procédure, elle est anxiogène. Déjà, quand on parle des familles monoparentales, il faut savoir que derrière ce vocable il y a une réalité sexuée: ce sont les femmes qui assument seules la charge des enfants. Seules, c’est-à-dire à plein temps, toute l’année, pas une semaine sur deux. Le logement est plus cher, il faut assurer la nourriture, la santé, le bien-être des enfants…

 Vous dressez le portrait d’une procédure dont il faudrait faire la publicité. C’est vrai que les personnes arrivent trop tard dans cette procédure. Fatalement il y a une situation de non-retour. Mais il faut savoir que ces dettes ont été contractées à deux, avec le conjoint. Quand ce dernier est aux abonnés absents, qu’il a organisé son insolvabilité, alors c’est la mère et les enfants qui paient les dettes. Et c’est un cartable trop lourd pour ces enfants. Quand on vous écoute, on devrait se dire: «Sept ans, c’est pas grand-chose», et je m’indigne quand je vous entends dire «les chiffres ont baissé». Pourquoi ont-ils baissé? Ne serait-ce pas selon vous parce que cette procédure est trop longue, trop lourde? Notre premier constat, c’est que le RCD est quelque chose d’invasif et que c’est une intrusion dans notre liberté d’agir. On n’est plus maître de notre salaire, notre employeur est d’office au courant. On est mises à nu, également quand on cherche un logement, car c’est indiqué sur la fiche de salaire. À quel moment on a un peu de tranquillité dans notre tête? Vous avez dit qu’on n’a plus le stress de la boîte aux lettres, mais par exemple, quand on est en RCD, il n’y a aucune place pour les imprévus. Je vous donne pour exemple le cas de cette dame, une maman dont la maman est décédée. La mort ne prévient pas. Il a fallu emmener le corps à l’étranger, mais il n’y a pas de procédure rapide pour traiter cela en RCD. Il n’y avait pas assez de pécule, et donc, l’enterrement, on le voit à distance par WhatsApp. C’est ça le RCD.

 Autre difficulté, c’est de voir ses enfants pendant sept ans soumis à une escalade de privations. C’est très dur de répondre constamment: ‘On ne peut pas. Les voyages scolaires on ne peut pas, les loisirs on ne peut pas, l’université on ne peut pas.’ Alors entrer en RCD pour avoir un peu de dignité OK. Mais quand commence-t-elle et quand s’arrête-t-elle? On a vu beaucoup de mamans avec des enfants tellement impactés que, finalement arrivés à l’âge de 18 ans, ils ne font pas d’études et vont travailler pour payer les dettes de la maman parce que cela devient trop anxiogène. On est constamment en apnée. Pourtant il aurait suffi d’aller rechercher le père et de lui demander de payer la moitié des dettes. Mais la loi n’est pas faite comme cela. La loi, elle est faite pour les pères qui organisent leur insolvabilité et nous, les mères qui sommes institutrices, fonctionnaires, infirmières, journalistes… on paie. Or le fait d’avoir un emploi n’est plus un rempart contre la pauvreté. Personnellement j’ai 1.000 euros de pécule et j’ai trois enfants. On doit composer avec des dettes et des miettes. Et les dettes, ce ne sont pas des dettes où on a flambé, ce sont des dettes de loyer, de santé… La dignité, cela devient une chimère. Et qui parle des traumas sur les enfants pendant sept ans, durant l’enfance, l’adolescence? Bernard Devos, également auditionné, a dit: «Il n’y a pas plus grande violence à un enfant que la précarité.» 

Et puis, pourquoi tirer sur l’élastique puisque de toute façon toutes les dettes ne seront pas payées dans leur intégralité? Dans mon cas, j’avais une dette de 60.000 euros, aujourd’hui il reste 24.000 euros. Si mon ex avait payé avec moi, j’aurais déjà fini la procédure. Il faut prendre en compte les violences économiques faites aux femmes et aux enfants. Le confinement que vous avez vécu en 2020, c’est notre vie au quotidien pendant sept ans. Alors il faut réfléchir à ce que vous faites. Libérez les enfants de dettes et aller chercher les pères.»

 Des dispositifs d’aide

 La situation des familles monoparentales est davantage prise en compte depuis plusieurs années par les autorités: des politiques spécifiques sont menées et des dispositifs et des outils ont été mis en place pour les aider.

On trouve tant en Wallonie qu’à Bruxelles des sites dédiés à la situation spécifique des familles monoparentales, tels que la page spécifique «Seul.e avec enfant.s» sur le Portail de l’Action en Wallonie (http://actionsociale.wallonie.be/seulavecenfant) et le site dédié aux ménages concernés dans la capitale https://parentsolo.brussels. Ce dernier site reprend également le Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales, dont l’objectif est d’apporter des réponses transversales pour venir en aide à ces ménages. Il renseigne également les services d’aide généralistes et spécifiques, comme la Maison des parents solos (https://maisondesparentssolos.be) qui dispose d’une équipe d’assistants sociaux, de juristes et de psychologues pour aider les parents en difficulté, et organise également des activités parents-enfants. Récemment, un dispositif a été mis en place en Région wallonne, le Relais Familles Mono, avec 19 travailleurs sociaux implantés au sein de différents centres de services sociaux et un centre d’appui qui accompagne ces travailleurs. Coordonné par la Fédération des services sociaux (FDSS), le projet est d’impulser des actions adaptées aux besoins, en vue de réduire les inégalités sociales vécues par les familles en situation de monoparentalité. Pour en savoir plus: https://www.fdss.be/fr/hors-les-murs/relais-familles-mono/

Sur le site Mes-aides-financieres.be, on retrouve une page relative aux aides pour les familles monoparentales en Belgique. Celle-ci renseigne sur les possibilités d’aides spécifiques comme l’existence d’un supplément aux allocations familiales, avec des montants majorés propres à la Région wallonne et à la Région de Bruxelles-Capitale, ou encore la possibilité de toucher une pension de survie en cas de décès d’un des conjoints/parents ou encore d’allocations d’études. Certaines déductions fiscales spécifiques aux familles monoparentales existent, notamment pour les frais de garde d’enfants, ou encore via la majoration de la quotité des revenus exemptée d’impôts. Autre difficulté rencontrée par les familles monoparentales: le paiement des contributions alimentaires par l’ex-conjoint ou le parent pour les enfants. Au-delà des procédures judiciaires classiques, le SECAL (ou service des créances alimentaires) peut effectuer des avances sur pensions alimentaires et aussi aider à récupérer les contributions impayées (https://finances.belgium.be/fr/particuliers/famille/rente_alimentaire/secal).

Nathalie Cobbaut

[1] https://www.financite.be/sites/default/files/references/files/analyse_monoparentalite_-_ab.docx.pdf

[2] M. Wagener, «La monoparentalité à Bruxelles – Première esquisse des données statistiques disponibles», UCL, CriDIS, working paper n°27, mars 2011, p. 15.

[3] Pour voir l’audition (44:20 min): https://www.lachambre.be:443/media/index.html?sid=55U3694 – pour consulter la proposition de loi: https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/2679/55K2679001.pdf