Flambée des prix de l’énergie: quels impacts ?

Dossier

Quel impact social de la crise de l’énergie?

Quelles sont les difficultés vécues par les ménages, en lien avec ces augmentations du prix de l’énergie? Quatre indicateurs sont mobilisés pour les évaluer: les plans de remboursement et les défauts de paiement, les placements de compteurs à budget, le recours au tarif social et le recours au Fonds Énergie. Les acteurs de terrain témoignent également de ces difficultés.

Plusieurs fournisseurs d’énergie mentionnent une augmentation récente des plans de remboursement[1]. La porte-parole d’Engie-Electrabel indique une hausse de plus 50% du nombre de plans de remboursement ces dernières semaines. Elle précise que ce résultat n’est pas seulement la conséquence de la flambée du prix de l’énergie, mais aussi de la crise Covid et des inondations de cet été. Chez TotalEnergies, on constate une progression de 35% des plans de remboursement par rapport à l’an dernier. Luminus confirme cette tendance. Nombreux sont leurs clients qui demandent un plan de remboursement après un complément à payer. Le nombre de défauts de paiement (non-réaction suite à un rappel et une mise en demeure) attesterait directement de la difficulté des citoyens à payer leur facture énergétique, mais aucune donnée récente n’est disponible.

Le nombre d’installations de compteurs à budget fait suite à un défaut de paiement ou à la demande d’un CPAS ou du client lui-même. En Wallonie, selon l’IWEPS[2], la précarité énergique est de plus en plus présente. La hausse du nombre de compteurs à budget ces dix dernières années le montre: on passe de 1% des ménages en 2007 avec un compteur à budget pour 4,25% en 2020. Il n’existe pas de données plus récentes que 2020.

Le nombre de personnes qui bénéficient du tarif social pourrait aussi nous indiquer comment la hausse des prix de l’électricité et du gaz impacte les ménages. Ce tarif s’applique aux bas revenus et aux personnes ayant accès à certaines allocations. Néanmoins, les dernières données disponibles remontent à 2019 pour le gaz et à 2020 pour l’électricité (Fédération belge des entreprises électriques et gazières, FEBEG).

Une plus grande utilisation du Fonds Énergie par les CPAS est un autre indicateur. Le 23 décembre 2021, le SPP Intégration sociale a réinjecté 16 millions d’euros supplémentaires dans le Fonds Énergie pour le gaz et l’électricité. Cependant, il n’existe aucune information quant au nombre de bénéficiaires de ce tarif social depuis 2021.

L’absence d’un monitoring actualisé et agrégé de ces indicateurs est interpellant. Il est impossible d’évaluer objectivement les difficultés des ménages et dès lors d’adapter les politiques à leurs besoins.

Quelles difficultés sur le terrain?

Les données chiffrées manquent donc. Toutefois, tous les jours, la presse fait état de témoignages d’acteurs du terrain quant à la prise en charge des situations difficiles pour les particuliers. Les fédérations des acteurs sociaux ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Selon la dernière livraison du Baromètre de la précarité énergétique de la Fondation Roi Baudouin et datant de 2019, 20,7% des ménages belges étaient en précarité énergétique, et ce sans changement depuis 2009. Il y a pourtant fort à parier que ces chiffres ont évolué depuis…

Le public se tournant vers les aides sociales ne cesse de s’élargir. Ce constat était déjà présent avant la crise sanitaire. La hausse des prix de l’énergie renforce cette tendance. Les ménages frappant à la porte des CPAS ne sont plus seulement ceux bénéficiant d’un revenu d’intégration ou du tarif social. On retrouve encore plus qu’avant des travailleurs pauvres, des indépendants, des étudiants, des familles monoparentales et des retraités. Après la crise sanitaire et les inondations, la facture énergétique est souvent la goutte qui fait déborder le vase. Les présidents de CPAS le répètent, la classe moyenne est aussi touchée et sollicite leurs services en nombre.

Certains ménages sont en incapacité de se chauffer ou craignent de se chauffer. Ils utilisent également des chauffages alternatifs tels que des chauffages d’appoint, avec tous les risques que cela comporte (incendie, explosion, électrocution, intoxication au monoxyde de carbone…).

Pour de nombreux ménages, la facture de régularisation, lorsqu’elle arrivera, fera très mal. Les CPAS s’attendent à un afflux encore plus important de demandes d’aide pour 2022.

Des CPAS qui doivent s’adapter

Les ménages ne sont pas les seuls à être dépassés par la situation, les CPAS ont aussi du mal à suivre la cadence avec l’explosion de la demande d’aides. Comme expliqué par la Fédération des CPAS[3], la multiplication des mesures de soutien et de dispositifs d’aides complique encore plus la compréhension des citoyens et le travail des aides sociales. Il faut aussi faire face aux retards de prise en charge causés par la crise sanitaire. En effet, il était interdit en plein confinement d’effectuer des visites domiciliaires, sauf en cas d’urgence. Plusieurs situations jugées non impératives se sont dès lors détériorées. Dans ce contexte, les CPAS doivent recruter. Le processus est en marche, mais les renforts tardent à arriver. Le télétravail a aussi créé une fracture numérique et freiné la cohésion d’équipe. À tout cela s’ajoute un épuisement généralisé des travailleurs, certains changent d’orientation professionnelle ou vivent des burn-out à la suite de la charge massive de travail. D’autres s’interrogent sur le sens de leur travail en raison de l’incohérence et de l’incompréhension des mesures prises.

Certains fournisseurs d’énergie doivent aussi faire face à une diminution de leur revenu. Les pompistes et les distributeurs de mazout sont obligés de contourner la loi des prix maximaux pour éviter d’être en perte systématique (L’Écho). En effet, il existe un délai entre les prix d’achat sur le marché des produits pétroliers et la publication des prix maximaux par le SPF Économie. Certains pompistes et distributeurs de mazout sont donc forcés d’acheter à un prix supérieur au prix maximal auquel ils peuvent vendre. Dans le court terme, si rien ne change, on pourrait s’attendre à une fermeture de stations-service et la fin de certaines commandes pour le mazout.

En ce qui concerne les fournisseurs de gaz et d’électricité, le risque de défauts de paiement de leurs clients va augmenter (FEBEG). Les fournisseurs doivent s’acquitter de tout un tas de coûts fixes tels que les coûts de transport et de distribution. Ceux-ci restent présents, et ce, même si les clients ne paient pas leur facture. L’augmentation des défauts de paiement va aussi dès lors impacter financièrement les fournisseurs.

E. Dehon et C. Jeanmart

[1] Adriaen D., (2022), «De plus en plus de Belges veulent un délai pour payer leur facture d’énergie», L’Écho [en ligne]. 15 mars 2022. Disponible sur: https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/economie/de-plus-en-plus-de-belges-veulent-un-delai-pour-payer-leur-facture-d-energie/10373541.html

[2] L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.

[3] Webinaire de l’OCE.