Fonds Covid: quelle utilisation?

Courant de l’été 2020, les CPAS se sont vu octroyer des fonds pour venir en aide aux personnes touchées par la crise sanitaire (d’abord le fonds Covid, puis le fonds Zoom 18-25 et le fonds pour le «bien-être psychologique des usagers»). Reconduits à plusieurs reprises, ces fonds devaient s’éteindre en cette fin d’année 2021. Fin octobre, les trois Fédérations des CPAS (Bruxelles, Wallonie et Flandre) demandaient instamment au fédéral la prolongation de leur durée d’utilisation, jusqu’à fin 2022, voire 2023, mais aussi leur pérennisation. Ces aides ont été utilisées très diversement jusqu’ici par les CPAS. Voire pas dépensés du tout, malgré les besoins…

Le 10 décembre dernier, le gouvernement décidait de prolonger une série de mesures de soutien aux personnes impactées par le coronavirus. Des mesures prolongées jusqu’à la fin du premier trimestre 2022, soit pour trois mois. Étaient ainsi visés: le chômage temporaire pour «force majeure», le droit passerelle (double pour ceux qui voient toujours leur activité fermée obligatoirement, simple pour ceux non forcés à la fermeture, mais qui voient une diminution de leur chiffre d’affaires de 40% par rapport à l’année de référence de 2019), la prime de 25 euros pour certains publics fragiles, mais aussi l’utilisation des fonds Covid-19, Zoom 18/25 et «bien-être psychologique».

Trois mois, contre les douze, voire les vingt-quatre mois demandés par les Fédérations des CPAS pour ces fonds Covid: est-ce une aubaine? Cette prolongation règle-t-elle les difficultés d’utilisation de ces fonds par les CPAS? Cela ne semble pas le cas, au vu du courrier transmis par les trois présidents de fédérations de CPAS du pays à la ministre fédérale de l’Intégration sociale, Karine Lalieux, en septembre 2021.

Quelles difficultés?

Dans ce courrier, Luc Van Dormael (président de la Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes de Wallonie), Khalid Zian (président de la Fédération des CPAS bruxellois Brulocalis) et Wim Dries (président de l’Association des villes et communes flamandes) mentionnaient «une grande disparité d’utilisation de ce fonds au sein des CPAS». Autre remarque dans cette lettre: «Le fait est que les CPAS n’ont pas actuellement énormément de demandes et s’attendent, lorsque les droits temporaires prendront fin, à recevoir des situations jusqu’alors couvertes autrement.»Avec, comme explications additionnelles à cette disparité, les difficultés d’accès physique aux CPAS, étant donné les exigences de télétravail, mais aussi l’image négative que véhiculent les CPAS et qui freine certains publics pourtant en difficulté.

Autre problème relevé par les trois présidents de fédérations des CPAS: la multiplication des tâches administratives liées à ces fonds Covid, étant donné que l’aide du CPAS est une aide résiduaire par rapport à d’autres droits, ce qu’il faut vérifier et prend beaucoup de temps aux travailleurs sociaux. Concernant la multiplication des tâches incombant aux CPAS, la lettre ouverte fait mention du surcroît de travail lié à l’analyse des situations financières des indépendants, alors que la première ligne sociale était déjà en souffrance.

Tensions avec le SPP IS

Autre difficulté rapportée dans cette lettre ouverte: le fait que les aides à accorder via les fonds Covid doivent l’être selon les directives formulées dans une circulaire du Service public fédéral de programmation Intégration sociale (SPP IS), en fonction de difficultés exceptionnelles et temporaires liées au Covid. Or les aides ordinairement octroyées par les CPAS le sont en fonction de l’état de besoin, tel que défini dans l’article 57 de la loi organique des CPAS. La volonté pour cette aide Covid a été d’aider plus souplement les personnes, mais les CPAS craignent de voir se modifier leurs obligations dans le futur, étant donné les aides octroyées dans le cadre de ces fonds. Un glissement dans la définition des interventions des CPAS pourrait s’opérer pour le futur, mais cette fois sur fonds propres.

Toujours concernant l’utilisation de ces fonds, il est relevé que certaines démarches créatives ont été rendues difficiles, vu l’avis réservé, voire négatif du SPP IS quand il a été consulté en amont. Une telle attitude a dès lors entraîné, selon les présidents, une peur des inspections ultérieures et dès lors une «frilosité» de certains CPAS. Le versement d’aides forfaitaires a notamment été rejeté par le SPP IS, alors qu’elles auraient pu contourner le risque de recours ultérieurs, étant donné leur justification exceptionnelle et temporaire.

Confirmations et réactions

La demande des présidents de fédérations de CPAS a été finalement entendue, mais de manière partielle. En effet, la ministre fédérale de l’Intégration sociale Karine Lalieux a obtenu du gouvernement fédéral que les fonds Covid soient maintenus jusqu’au 31 mars 2022 et distribués à ceux qui en font la demande.

À cet égard, Luc Van Dormael, président de la Fédération des CPAS-UVCW, estime qu’il s’agit d’une bonne nouvelle que le robinet ne soit pas coupé, mais déplore que cela ne le soit que pour trois mois, car «fonctionner de trois en trois mois, c’est le choix que fait le gouvernement depuis le début de cette crise, mais qui n’est pas forcément évident à mettre en œuvre». Il reconnaît que le fait que les CPAS n’aient pas consommé les sommes allouées peut sembler paradoxal: «Que les CPAS, se déclarant en difficulté financière et ayant reçu des montants à distribuer, ne les aient pas utilisés, cela semble difficilement compréhensible et ce non-consommé sert d’ailleurs d’argument à certains pour affirmer que les CPAS n’ont besoin de rien.»

Les raisons pour lesquelles ces aides n’ont pas été distribuées à leurs destinataires existent et ont été listées dans la lettre adressée en septembre à la ministre. Luc Van Dormael détaille: «Certains CPAS ont été échaudés par l’impossibilité d’octroyer des sommes forfaitaires à certains publics, comme une intervention dans les frais scolaires au moment de la rentrée ou un chèque à tous les artistes domiciliés dans la commune; d’autres ont sans doute été moins frileux. Je n’explique pas une telle disparité, sans doute une gestion, des réalités socio-économiques ou encore des publics différents. Peut-être est-ce aussi la manière de penser des travailleurs sociaux qui, comme l’a relevé la ministre Lalieux dans une interview accordée à Alter Échos, doit évoluer.» Une réflexion qui devrait sans doute être appliquée à d’autres instances au sein de ces institutions…

Relayé en cela par Alain Vaessen, directeur de la même fédération, à l’égard de mesures que l’on pourrait qualifier de sparadraps, ce dernier estime qu’«il s’agirait de mettre plutôt l’accent sur des mesures structurelles, en relevant les minimaux sociaux ou encore en supprimant le taux cohabitant. La question est de savoir ce qu’il adviendra quand ces fonds seront stoppés ou bien taris». Une réflexion qui s’applique par exemple au fonds «bien-être psychologique» qui a été débloqué pour permettre une prise en charge des difficultés de santé mentale générées par la crise sanitaire. «Mais ce type de problèmes se règle-t-il en trois mois? Comment expliquer aux personnes aidées qu’il n’y ait plus d’argent pour leur suivi, que la convention avec une psychologue ou un psychologue extérieur ou son engagement ne puisse être maintenue, vu l’épuisement des fonds?»

Nous avons sollicité la Fédération des CPAS bruxellois de Brulocalis, mais nous n’avons pas obtenu de réactions.

Côté SPP IS

Quoi qu’il en soit, il semble qu’il y ait eu du retard à l’allumage: les chiffres transmis mi-décembre par le SPP IS et arrêtés en octobre 2021 (sur la base d’une extrapolation et d’échantillons représentatifs de 248 CPAS sur 581) reflètent des taux d’épuisement de ces fonds relativement bas, à savoir 62% d’utilisation pour le fonds Covid-19 général (115 millions), 29% pour la mesure Zoom 18-25 pour les jeunes et les étudiants, et 41% pour le Fonds «Soutien psychosocial» (10 millions). La période envisagée (d’avril 2020 à octobre 2021) ne tient dès lors pas compte de la quatrième vague qui ne se reflète pas dans ces chiffres.

Selon le SPP IS, le service d’inspection ne commencera à contrôler l’utilisation des fonds qu’une fois que les données auront été soumises dans l’outil de reporting, appelé «rapport annuel unique». Cela se fera en janvier-février 2022. Afin d’aider et de soutenir autant que possible les CPAS et les travailleurs sociaux, les inspecteurs ont également participé aux nombreux webinaires organisés pendant cette période de crise.

Enfin, le gouvernement examine la possibilité de transformer certaines mesures (comme celle relative au bien-être psychologique) en soutien structurel, en fonction du 4e plan fédéral de réduction de la pauvreté. Mais aucune décision n’a encore été prise.

Nathalie Cobbaut

 

Et sur le terrain?

De Bruxelles-ville à Assesse, nous avons sondé deux CPAS sur la manière dont ils ont écoulé les fonds alloués. Deux réalités différentes, mais des aides bien réelles.

Bruxelles-ville. 185.000 habitants en 2020, avec un revenu annuel net imposable médian de 18.538 euros. 5% de la population de 18 à 65 ans touche un revenu d’intégration sociale, 31,8% sont bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) et 17% parmi les plus de 65 ans, de la Grapa (Garantie de revenus aux personnes âgées), sans oublier les sans-abri, les sans-papiers et tous ceux sous les radars.

Selon l’arrêté royal du 3 juillet 2020 modifiant l’arrêté royal du 13 mai 2020 portant création d’un subside Covid-19, le montant alloué au CPAS de la Ville de Bruxelles a été fixé à 4,5 millions d’euros (et à près de 400.000 euros pour couvrir les frais de personnel inhérents à la prise en charge et la distribution des fonds). En février 2021, la Ville de Bruxelles avait tout distribué. Selon Jan Willems, coordinateur du service de médiation de dettes et responsable de la cellule Covid, jusqu’à sa mise à l’arrêt en février dernier, «l’idée était de pouvoir aider tous ceux impactés par la crise sanitaire et éprouvant des difficultés financières en lien avec ces baisses de revenus, sans être pour autant dans les conditions des aides classiques du CPAS. On devait initialement dépenser ce fonds Covid pour décembre 2020: on a surtout voulu ne pas laisser dégringoler les gens dans la pauvreté».

L’octroi des aides l’a été de manière individualisée, avec une enquête sociale light. Quelques exemples: l’intervention pour l’achat d’un ordinateur pour un enfant devant suivre les cours à distance ou pour des sorties en famille, un soutien financier pour le paiement de certaines fractures en souffrance comme des loyers, des frais hospitaliers, des aides aux indépendants. «Les fonds ont également été utilisés pour les personnes déjà aidées par le CPAS et notamment celles suivies en médiation de dettes, notamment pour des plans de paiement qui n’ont pas pu être respectés, étant donné une perte de revenus ou une augmentation de certaines dépenses.»

Pour Jan Willems, ce qui explique peut-être la disparité dans l’utilisation de ces fonds entre CPAS, «c’est le travail qu’une telle aide a représenté dans le chef des équipes, avec la nécessité d’engager du personnel complémentaire dans une période extrêmement difficile».

CPAS des champs

Assesse. 7.098 habitants en 2020. Commune rurale par excellence, Assesse a reçu pour son CPAS la dotation de 25.404 euros d’aides Covid (et 2.209 euros pour les frais de personnel…), avec un solde restant de 587,81 euros au 13 décembre 2021. Une information précise, étant donné la gestion efficace et le suivi régulier de l’état de ces fonds, par une assistante sociale du CPAS.

Selon Brigitte Delcorde, assistante sociale de longue date au CPAS d’Assesse, «depuis la crise on a vu arriver de nouveaux publics à la recherche d’aide financière: de nouveaux pauvres, des familles affectées par des chutes parfois drastiques de revenus, alors qu’ils avaient deux salaires, deux voitures. Un chômage temporaire, des hausses du prix du carburant et du prix de l’énergie et cela dérape… Si, en plus de cela, l’idée leur est venue de souscrire un prêt pour éponger leurs dettes, c’est la cata. Heureusement les fonds Covid étaient là…»

Dans le cadre des dossiers de médiation de dettes, gérés en externe par l’asbl Gréasur, Sabine Merschaert, médiatrice de dettes, a entrepris d’étudier les dossiers pour lesquels il était possible d’envisager une aide via ces fonds Covid. Elle a ensuite contacté le CPAS d’Assesse pour voir ce qui était possible: «Le but était de soulager le budget des personnes médiées, déjà engagées dans un plan de paiement et pour qui la crise sanitaire a eu des répercussions. Pour ceux-là un montant de maximum 400 euros a pu être mobilisé.»

Les CPAS ont-ils été tous aussi ouverts à l’accueil de publics différents, en difficulté, mais pas forcément en état de besoin, comme l’édicte la loi organique des CPAS? On peut en douter: de nombreux sites de CPAS font référence à cette condition pour l’octroi des aides Covid. Des politiques locales, sans doute à rectifier pour les trois mois à venir.