Gérer le surendettement quand il n’y a pas de disponible

 

Quelle solution pour les personnes surendettées et insolvables?

De nos jours, un grand nombre de personnes rencontrent des difficultés financières. Certaines d’entre elles sont dans une situation financière qui semble inextricable, à savoir les personnes insolvables, celles dont les revenus sont tellement faibles qu’elles n’ont aucune possibilité de proposer des plans de paiement raisonnables à leurs créanciers, celles dont les charges, pourtant indispensables, sont plus élevées que leurs revenus… Quelles solutions s’offrent à elles? Quelle est la marge de manœuvre des médiateurs de dettes? Témoignages de professionnels confrontés à ces situations de plus en plus fréquentes.

De l’avis des médiatrices et médiateurs de dettes, il est un nombre de dossiers de médiation en croissance constante qui posent des problèmes difficilement surmontables, à savoir les situations où les personnes surendettées ne disposent d’aucun disponible pour désintéresser les créanciers. Après avoir effectué le travail d’évaluation du budget sur la base des rentrées (revenus, allocations sociales, allocations familiales, indemnités diverses) et des charges courantes (loyer, énergie, eau, alimentation, frais scolaires, de déplacement…), le médiateur de dettes se rend compte qu’il ne reste rien pour rembourser les créanciers pour des dettes qui peuvent être liées à du crédit, mais également inhérentes à ces charges courantes, considérées comme étant de première nécessité, mais qui ne peuvent pas être honorées. L’analyse du budget révèle dans certains cas un solde négatif, et de manière structurelle la situation ne peut que générer de nouvelles dettes, vu l’insuffisance des rentrées. Que faire alors pour ces personnes surendettées, confontrées à des pressions importantes de la part des créanciers qui souhaitent récupérer leur dû, mais qui ne sont manifestement pas en mesure de faire face à leurs obligations? Le RCD est-il la solution? La médiation de dettes amiable est-elle plus souple et plus adaptée à ces cas de figure? Les réponses sont à tout le moins contrastées.

Les enseignements du RCD

Le colloque organisé l’an dernier par l’Observatoire du crédit et de l’endettement sur «le RCD, les défis de demain» faisait le point sur vingt années d’application de cette procédure. Lors de l’intervention de Sabine Thibaut et de Caroline Jeanmart, respectivement juriste et sociologue (et directrice) de l’Observatoire, sur les chiffres et le ressenti concernant le RCD, l’absence de disponible dans les dossiers de RCD a été évoquée: certains magistrats interrogés sur l’efficacité de la procédure ont notamment relevé que la loi serait inefficace face à des débiteurs dont l’insuffisance des ressources financières est structurelle et ne préviendrait pas non plus l’apparition d’un nouvel endettement pendant, voire après la procédure. Ils pointaient donc les limites de la procédure face aux situations de déséquilibre budgétaire structurel.

On pourrait dès lors penser que, pour ces situations, la remise de dettes partielle ou totale pourrait être un élément de réponse. Les chiffres cités concernant l’évolution du pourcentage de plans de RCD terminés avec une remise totale de dettes entre 2014 et 2017 tournent autour des 4% (source: Centrale des crédits aux particuliers). Ces solutions seraient plutôt réservées aux personnes âgées ou malades, pour lesquelles un espoir d’amélioration de leur situation n’est plus de mise. Il y a également les possibilités de négociation des médiateurs judiciaires (voir article pages 15 à 18). Mais la question de la responsabilisation et d’éducation du médié reste centrale dans la procédure de RCD, alors qu’un certain nombre de dossiers de déconfiture n’ont aucun lien avec un défaut de responsabilisation ou d’éducation.

Autre élément relevé par les deux chercheuses, dans leur analyse[1]: le fait qu’un certain nombre de procédures en RCD (environ 10%) se soldent après coup par une rechute et un retour à la case RCD pour les personnes à nouveau surendettées. «Ces situations remettent en question la procédure dans le sens où elle devrait permettre aux personnes de régler leurs problèmes financiers pour ensuite repartir sur de bonnes bases[2] Sans doute, parmi ces cas de rechute, trouve-t-on des personnes qui n’ont pas changé leurs habitudes de consommation et éprouvent à nouveau des difficultés à garder leur budget à l’équilibre, mais on peut aussi valablement penser que, dans les cas d’insuffisance structurelle de revenus, on assiste à des rechutes elles aussi structurelles. Les magistrats interrogés dans le cadre de cette étude parlent en effet de paupérisation croissante d’une partie de la population en RCD.

Encadré

Deux poids, deux mesures

Interrogé sur sa pratique en cas d’absence de disponible, Jean-Luc Denis, avocat médiateur judiciaire, parle de circuit court, avec des remises totales de dettes sans plan qui seraient une possibilité utilisée par les juges du travail de l’arrondissement judiciaire du Brabant wallon. On y observe très peu de rejets, même en cas d’absence de disponible, «mais ce n’est pas le cas partout». Cela étant, il confirme que les remises totales de dettes sont généralement réservées aux cas sans espoir (personnes pensionnées, handicapées mentales, malades de longue durée). «Pour les autres cas, le règlement collectif de dettes reste très marqué par une vision judéo-chrétienne, où il s’agit de faire des efforts. Or, aujourd’hui, avec la possibilité de faillite qui s’étend aux indépendants, on a deux solutions qui cohabitent: pour les uns, un effacement rapide des dettes, pour les autres le purgatoire. On risque dès lors de voir arriver des indépendants de manière simulée ou à titre temporaire pour bénéficier des avantages de la faillite. Ce n’est pas très cohérent.»

Sur le terrain

À la question de savoir comment les médiateurs de dettes des services de médiation de dettes s’arrangent avec ces situations où aucun disponible ne peut être dégagé, nous avons interrogé, deux services, l’un à Bruxelles, l’autre en Wallonie.

Estelle Mathurin, médiatrice de dettes au Service social juif de Saint-Gilles, une des 19 communes bruxelloises, confirme bien l’évolution de son travail vers une prise en charge de plus en plus fréquente de situations de cette nature: «Je suis de plus en plus confrontée à des dossiers où j’ai très peu de marge de manœuvre: je pense à cette jeune dame de 32 ans qui souffre de problèmes psys. Elle ne travaille pas, vit avec des indemnités de mutuelle et ne peut rien proposer aux créanciers comme remboursement: je ne peux que contacter les créanciers en leur disant que la personne ne pourra pas honorer ses dettes, que j’assure un suivi et que, si les choses s’améliorent, je reviendrai vers eux. Je les tiens informés tous les six mois de la situation. J’effectue aussi un travail de fond avec cette jeune femme, en lui proposant des formations, qu’elle suit, mais qui n’aboutissent pas à un engagement. Je lui ai également suggéré de changer de logement, pour quelque chose de moins cher, mais je ne suis pas toujours écoutée.»

Pour cette médiatrice de dettes, le fait de rester neutre et impartial est important: il ne faut pas prendre le parti du surendetté, mais essayer de faire comprendre aux créanciers quand il est inutile de s’acharner. «Quand je demande un moratoire, j’étaye ma demande, souvent en demandant aux personnes si je peux expliquer la situation concrète dans laquelle elles se trouvent. Cela permet aux créanciers de mieux comprendre le dossier: en donnant des éléments précis aux créanciers ou aux huissiers sur la situation, il y a davantage de compréhension et de clémence.» Mais il faut aussi jouer le jeu, donner des informations régulières aux créanciers et ne pas défendre à tout prix le point de vue de la personne surendettée. «Dans certains cas, les créanciers ont été très patients, ont accepté plusieurs plans de paiement qui n’ont pas été respectés et ils sont alors peu enclins à faire encore des efforts.»

Parfois aussi cela fonctionne: Estelle Mathurin repense à ce cas d’un ancien toxico qui, en sortant de prison, est venu s’installer chez sa mère. «Au début, il n’avait pas de travail: j’ai donc contacté les créanciers pour expliquer la situation; ensuite, il a trouvé un mi-temps. Mais là encore j’ai demandé aux créanciers de patienter pour lui permettre de se remettre en selle, en leur expliquant qu’il allait sans doute être engagé à temps plein, ce qui s’est concrétisé. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai introduit la requête en RCD, très rapidement, car tous les créanciers étaient sur la balle. Un plan sur cinq ans a été conclu, avec remise des intérêts, qui s’est bien déroulé: il est revenu pour me dire qu’il avait fini son plan, avait son propre appartement et un scooter pour se rendre au travail. Ça fait du bien quand ça marche!»

«On ne peut pas faire saigner une pierre»

Autre attitude, autre prise en charge: celle prônée par le service de médiation de dettes Gréasur, qui gère la médiation de dettes pour une série de CPAS dans le Namurois. Pour sa responsable, Caroline Goossens, «s’il n’y a vraiment aucun disponible, on ne va pas conserver le dossier, car on ne pourra pas aider. Idem par rapport au RCD: si les charges courantes ne peuvent pas être payées et que le budget est en négatif, on n’introduit pas de RCD, car cela reviendrait à créer de nouvelles dettes, ce qui n’est pas admis. Généralement, dans ces cas-là, on renvoie vers le CPAS pour voir si la personne est bien en possession de tous ses droits. Par ailleurs, celui-ci pourra établir un courrier à l’intention des créanciers faisant un constat d’insolvabilité de la personne. De notre côté, on clôture, car on ne pourra rien faire».

Cette attitude est modalisée par la prise en compte de la réactivité des personnes aidées. Comme l’explique Sabine Merschaert, médiatrice de dettes à Gréasur, «si on sent que la personne est prête à entamer un travail sur le budget, alors on gardera le dossier ouvert, en informant les créanciers de ce travail qui est en train d’être réalisé, ce qu’un certain nombre d’entre eux respectent surtout si on leur explique le bien-fondé de la démarche. On ne va plus comme par le passé dicter des solutions, mais on va plutôt travailler sur les besoins, les impératifs, ce qui l’est moins avec la personne, afin que la solution qui émerge soit acceptée et non imposée. C’est sans doute la meilleure manière pour qu’un plan tienne, a fortiori si le disponible est très étroit».

Caroline Goossens souligne que, pour l’élaboration de ce budget, les médiatrices de dettes ne travaillent pas avec des références budgétaires qui ne tiennent pas compte des spécificités de chaque situation, des équilibres en jeu dans la structure familiale. «Ce qui nous importe, c’est que les efforts consentis le soient librement et en connaissance de cause, sinon cela ne mène à rien.» Ces deux professionnels font néanmoins le constat que bon nombre de dossiers sont clôturés, car il n’y a pas de réactivité de la part des personnes surendettées: «Là encore, on ne juge pas, ce n’est sans doute pas le bon moment. Ils peuvent toujours revenir plus tard pour entreprendre ce travail.»

Freiner l’élan des créanciers et des huissiers

Malgré le travail des médiateurs et médiatrices sur ces dossiers difficiles, les créanciers et les huissiers mandatés par ces derniers pour récupérer leurs créances ne sont pas toujours enclins à écouter les arguments des débiteurs en défaut. Les démarches insistantes, les courriers, mises en demeure, significations et saisies-pression sont légion, malgré le fait qu’il n’y a aucun disponible. La volonté est d’arracher quelques dizaines d’euros, quitte à générer d’autres dettes, étant donné cette sortie d’argent pour tenter de calmer le jeu. Rien en tout cas qui soit durable et constructif par rapport à la situation de la personne surendettée.

Au Gils, le centre de référence de Liège, on travaille sur cet aspect-là des choses, avec les services de médiation de dettes. Arrnaud Galloy, juriste au GILS, explique qu’«une lettre type de constat d’insolvabilité a été rédigée et présentée aux SMD de manière à outiller les médiateurs et leur permettre de communiquer la situation aux créanciers afin qu’ils cessent leurs démarches, de manière provisoire, voire définitive».

Car ces saisies-pression ne rapportent rien à personne si ce n’est peut-être aux huissiers qui les pratiquent. Un travail est également mené avec cette profession pour expliquer le travail des médiateurs de dettes, leur analyse pointue du budget qui permet d’évaluer si oui ou non il y a un disponible pour payer les créances dues. Comme le relève Arnaud Galloy, «une collaboration a été entamée avec le conseil d’arrondissement des huissiers de justice de Liège et sa syndic-présidente, Pascale Dumoulin, dont c’est le dernier mandat. Nous espérons mettre en place un système d’information des huissiers de l’arrondissement à propos de l’insolvabilité des personnes (avec leur accord) sur la base des informations transmises par les services de médiation de dettes à la chambre d’arrondissement. Avec une centralisation des informations et une vision claire et complète des dossiers, et en faisant confiance à l’analyse des médiateurs de dettes, les créanciers et les huissiers devraient être davantage enclins à cesser les poursuites, pour les cas où il est clair qu’une saisie sera forcément déficitaire, avec des frais de chargement et de vente supérieurs à la valeur des objets saisis. On espère que ce mécanisme portera ses fruits».

Sinon il restera toujours la possibilité d’introduire une procédure pour saisine abusive…

Nathalie Cobbaut

[1] Voir les actes du colloque de l’OCE «Le RCD, les défis de demain», sur le site de l’Observatoire: https://bit.ly/2lWL1f2.

[2] Caroline Jeanmart, Sabine Thibaut, «Entre succès, sorties et rechutes: quels chiffres, quels ressentis?, Actes du colloque 2018, p. 21.