Indépendants et petites entreprises: quel soutien en médiation de dettes?

Trois témoignages de médiateurs de dettes à Bruxelles et en Wallonie sur leur expérience de prise en charge de dossiers d’indépendants en personne physique ou en société. Bilan: un nombre limité de dossiers, mais beaucoup d’énergie pour peu de résultats.

Claire de Schaetzen travaille comme médiatrice de dettes bénévole à l’espace social Télé-Service. Des dossiers concernant des indépendants ou des petites entreprises, elle en traite régulièrement: «Non, cela ne me fait pas peur, en soi, mais je ne peux pas toujours apporter une aide très concrète. Le fait qu’ils soient en personne physique ou en société ne change pas grand-chose, mais une des premières étapes est d’aller consulter la Banque-Carrefour des Entreprises pour voir selon quel statut ils travaillent. Comme indépendants, gérants, administrateurs ou associés. En tout cas, il s’agit de toutes petites structures. Le type d’activités? La construction, le nettoyage, l’épicerie ou les marchés, des car wash…»

Le point commun, c’est que ce ne sont pas des dossiers faciles à démêler. Il faut faire le point sur la situation et établir un budget, mais Claire a rarement accès à la comptabilité. Parce qu’il n’y a pas de comptable ou qu’il n’a pas été payé. Démêler les dettes privées des dettes professionnelles et connaître la situation financière de la personne est un casse-tête car il n’y a pas de revenus fixes. «Ce qui se passe souvent, c’est qu’il y a de l’argent qui rentre, mais les cotisations sociales, les impôts ou la TVA ne sont pas réglés, car les montants à payer sont dus après des mois d’activité. Généralement les fournisseurs, eux, sont payés, sinon il n’y a plus de marchandises. Il y a sans doute aussi de l’argent au noir, mais qui n’est pas mentionné. Bref, difficile d’y voir clair» Selon Claire de Schaetzen, certains ne savent même pas qu’ils sont indépendants car ils reçoivent une fiche de paie, mais en réalité ils le sont. D’autres pensent avoir créé des sociétés à responsabilité limitée; or, ce n’est pas le cas. Dès lors tous leurs biens sont engagés en cas de problème.

Des aides parcellaires

Ce que la médiatrice de dettes tente de mettre sur pied, ce sont notamment des négociations avec certains créanciers pour établir des plans de paiement. C’est par exemple le cas des dettes vis-à-vis du SPF Finances, afin d’éviter les saisies sur les débiteurs du redevable pour une dette d’impôts ou de TVA (voir l’article «On nous écrit, on nous demande…» p. 25-27). «Pour donner un exemple, lorsque l’indépendant fait du transport, il faut éviter que le SPF Finances aille s’adresser aux clients de cet indépendant pour récupérer ses créances. Négocier des plans de paiement permet d’éviter de telles saisies simplifiées. Autre démarche: demander des dispenses ou des réductions de cotisations sociales.»

Des faillites, il y en a finalement assez peu, car l’État ne prend pas forcément les devants, surtout avec la période Covid où il y a eu une forme de tolérance. Par ailleurs, comme l’explique Claire, «les personnes refusent la plupart du temps de mettre fin à leur activité, ils tiennent à leur entreprise. Ils refusent d’en venir à la faillite, même si cela semble la seule solution. Par ailleurs, si l’activité a cessé depuis plus de six mois, la faillite ne sera plus accessible et il faudra se tourner vers le RCD sans la possibilité de l’effacement des dettes». Si l’activité a cessé, l’indépendant pourra le cas échéant se présenter au CPAS pour demander le revenu d’intégration sociale (RIS). En revanche, s’il est toujours en activité, le RIS lui sera a priori refusé, sauf exception (voir l’article «Les indépendants aux CPAS: quelles aides?» p. 15).

Et en Wallonie?

Sans prétendre être exhaustifs, nous avons également effectué des coups de sonde auprès de services de médiation de dettes wallons afin de connaître leur sentiment à propos de dossiers concernant des indépendants et autres petits entrepreneurs.

Au service Greasur, qui est une association chapitre XII qui assure la médiation de dettes pour plusieurs CPAS en province de Namur, on reconnaît que ce sont des dossiers assez peu nombreux. Caroline Goossens, responsable du service, souligne: «Il y a très peu d’indépendants qui passent la porte et, quand on s’en occupe, la plupart du temps, leur réaction est de ne plus se représenter. On leur demande des documents liés à leur situation budgétaire, sur les plans familial et professionnel, et c’est souvent là que ça coince. Il n’y a pas non plus de comptabilité. C’est assez difficile pour nous d’évaluer leur situation. Impossible de savoir s’il y a une rentabilité de leur activité: il faut évaluer le chiffre d’affaires et les charges et voir si cela rencontre les besoins de la famille. Or nous n’avons pas vraiment la possibilité de faire cette analyse, surtout si les documents ne sont pas fournis.»

Si ces documents existent et qu’ils sont communiqués, il leur est conseillé de se tourner vers une association comme Belgian Senior Consultants (BSC), qui regroupe des consultants professionnels bénévoles qui peuvent aider à y voir plus clair sur la situation économique de l’entreprise. «En tout cas, pour pouvoir entamer une médiation de dettes, précise C. Goossens, il faut avoir une situation financière claire afin de pouvoir proposer quelque chose aux créanciers. On peut aussi prendre contact avec la caisse d’assurances sociales pour avoir des renseignements concernant les cotisations sociales ou s’enquérir du statut de l’entrepreneur. Cela arrive également que l’on remplisse les démarches pour un aveu de faillite auprès de RegSol (Registre central de la solvabilité), mais, quand la situation est complexe, on préfère passer le relais à un avocat spécialisé.»

Le sentiment général de la responsable de Greasur, c’est que bien souvent les personnes ne savent pas à quoi elles se sont engagées et qu’elles ont souvent signé à peu près n’importe quoi. À cet égard, elle s’interroge sur la responsabilité des caisses d’assurances sociales: «Les banques ont bien une responsabilité en matière d’octroi de crédits. Il faudrait sans doute s’interroger sur le rôle de conseil et la responsabilité de ces caisses d’assurances sociales.»

Peu de dossiers au CPAS de Dinant

Au CPAS de Dinant, la situation n’est pas très différente: Lucie Devillé, juriste et responsable des services de médiation de dettes, de guidance budgétaire et énergie, témoigne également du peu de dossiers pris en charge et du manque de clairvoyance avec laquelle les personnes en difficulté financière gèrent ces situations: «Je pense par exemple à cette personne qui nous a consultés: elle pensait qu’elle n’était plus indépendante, car elle avait cessé ses activités, mais elle ne savait pas qu’il faut entreprendre des démarches actives pour mettre un terme à ce statut. Acculés par les créanciers, on a pu lui conseiller de se tourner vers la procédure de faillite. Et on l’a orientée vers un avocat pour ce faire. Nous ne nous occupons pas d’introduire les demandes auprès de RegSol, car nous ne souhaitons pas effectuer les démarches à la place des personnes. Cela étant, dans un certain nombre de cas, les avocats consultés ont estimé qu’il n’est pas ou plus possible de faire faillite: alors on avise, même si on ne comprend pas toujours bien pourquoi.»

 Le service ne prend en charge que les indépendants en personnes physiques et pour ceux-là l’idée est de pouvoir les aider à faire cesser les saisies et autres procédures de recouvrement, surtout quand le patrimoine immobilier de ces personnes est en danger. Le RCD est alors la voie empruntée: «Dans deux dossiers, la requête en RCD a été déclarée admissible. Les personnes avaient été indépendantes, mais l’une percevait désormais le RIS et l’autre était sous la mutuelle. Mais, si c’est possible, on essaye de diriger les personnes vers la faillite qui est tout de même plus favorable. On renvoie aussi les personnes vers le service de première ligne pour une remise en ordre globale de leur situation administrative.»

 Lucie Devillé confirme, comme les autres interlocuteurs interrogés, le fait que ces indépendants ne maîtrisent absolument pas leur situation financière. Généralement il n’y a pas de bilan comptable ni de vision claire à propos de leur activité. Et malgré des situations financières très dégradées, beaucoup d’entrepreneurs n’acceptent pas la perspective de mettre fin à leur activité. C’est un échec personnel qui semble intolérable et souvent s’ensuivent une fragilité psychologique et une perte complète de confiance. Dès lors le risque est qu’ils s’enfoncent un peu plus dans les difficultés…

Nathalie Cobbaut