Indépendants et petites entreprises, sauve qui peut !

Depuis une année, maintenant, la crise du coronavirus affecte le monde entrepreneurial, et
de nombreux acteurs, notamment dans le secteur de l’horeca, du tourisme ou encore de l’événementiel, sont particulièrement touchés. Beaucoup d’indépendants et de petites entreprises ne disposent pas forcément d’un conseil juridique ou d’un expert fiscal pour les aider. Les institutions bruxelloises et wallonnes offrent une information et un encadrement. Mais sur le plan psychologue, la situation se détériore également.

 

Les entrepreneurs, victimes de stress post-traumatique

 Tout le monde le dit, la santé mentale des Belges est assez fragile après une année de confinement. C’est particulièrement vrai pour les indépendants dont l’activité est toujours à l’arrêt. Le cas du suicide d’Alysson Jadin, coiffeuse à Liège, en novembre dernier, était emblématique de ce désarroi. Mais qu’existe-t-il pour leur venir en aide?

Cela fait des mois maintenant que certains indépendants sont à l’arrêt ou travaillent au ralenti. Des entrepreneurs ont déjà mis la clef sous le paillasson ou ont dû mettre l’ensemble de leur personnel au chômage temporaire et tentent de faire face aux charges dues, tant bien que mal. Et souvent, de plus en plus mal.

C’est ce que l’on dit également de la santé mentale de ces travailleurs qui, du jour au lendemain, lors du premier confinement, ont dû fermer leurs portes et qui, après l’espoir de l’été, ont vu pour un certain nombre d’entre eux se refermer la fenêtre d’opportunités, dès l’automne 2020. La réouverture des coiffeurs et des métiers de contact, tout récemment, en a soulagé certains. Mais l’horeca, l’hôtellerie, la culture ou encore l’événementiel sont toujours au point mort. Et le spectre de la troisième vague au moment de ce bouclage fait trembler ceux qui ont pu rouvrir.

L’ampleur du mal-être

Le Syndicat neutre pour indépendants (SNI) parle de 70% des indépendants très stressés par leur situation. Une même proportion se dit incapable de décrocher psychologiquement de leur activité. La fatigue, le découragement et l’angoisse sont les symptômes les plus souvent cités.

Le chiffre d’un suicide tous les trois jours dans le chef des indépendants a également circulé, mais difficile de le confirmer: ceux du parquet de Bruxelles montre une augmentation des suicides dans la capitale, passés de 108 à 126, soit une augmentation de 16,7%, mais sans qu’ils soient attribués à une catégorie professionnelle en particulier; en revanche les tentatives de suicide auraient, elles, diminué de 11,7%. Des chiffres qui, pour l’ensemble de la Belgique, ne suivent pas la même tendance, car le taux de suicide des Belges, pris dans leur globalité, aurait baissé en 2020.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas être grand prêtre pour imaginer la détresse psychologique vécue par ces professionnels à l’arrêt ou ayant déjà repris, mais en mauvaise posture.

Des dispositifs mis en place

Diverses initiatives ont été prises à différents niveaux de pouvoir: en septembre 2020, le ministre des Indépendants du gouvernement précédent, Denis Ducarme, a chargé l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants d’organiser un numéro vert – le 0800/20 118. Il vise à réorienter les indépendants en détresse psychologique vers les services adéquats. De l’avis du service de presse, ce call center n’a pas été surchargé de demandes : 354 appels ont été enregistrés depuis le mois d’août 2020.

La ministre wallonne de la Santé Christie Morreale avait pour sa part chargé l’asbl wallonne «Un pass dans l’impasse» de mettre également sur pied un numéro d’appel – le 0800/300 25 pour répondre aux sollicitations des indépendants wallons mal en point. Un réseau de sentinelles (tels que les comptables, les tribunaux de l’entreprise, les syndicats, les banques, les caisses d’assurances sociales… ) était pressenti pour renvoyer les professionnels en difficulté vers ce numéro. Depuis juillet 2020, le service a reçu grosso modo 300 appels.

On lit aujourd’hui que le gouvernement fédéral – le ministre des indépendants, David Clarinval, et celui de la Santé publique, Franck Vandenbroucke – souhaite recycler ce dispositif. Le comité de l’assurance Inami a d’ailleurs signé en février dernier une convention avec l’asbl «Un pass dans l’impasse» pour fournir ce service, déjà proposé par la ministre Morreale. Autre mesure à venir: la possibilité pour les indépendants de bénéficier de huit séances gratuites de soins psychologiques. Le tout pour un budget de 55 millions d’euros.

D’autres numéros d’appel sont également répertoriés sur le site www.info-coronavirus.be, onglet «Aide psychosociale».

S’intéresser à la santé mentale des entrepreneurs

Stéphanie Delroisse, docteur en psychologie et chercheuse à l’Université de Mons sur la souffrance au travail, travaille sur ces situations où des personnes voient leur activité professionnelle s’arrêter de manière abrupte: «Cela constitue un événement traumatisant, une perte de repères dans le quotidien qui peut mener à du stress post-traumatique. En effet, les entrepreneurs sont investis dans leur business, de manière intense: ils considèrent que leur affaire est un peu leur bébé. Cela définit leur identité. Il est indispensable d’évaluer la santé mentale de ces personnes et de les aider à mesurer l’intensité de leur anxiété, de leur niveau de pression, des problèmes de sommeil et du stress et de la solitude éprouvés. Il faut aussi évaluer le sentiment de soutien social dans le chef de l’entrepreneur, à savoir si ce dernier a le sentiment de ne plus pouvoir compter sur personne ou s’il a encore des ressources à mobiliser.»

Ce qui est difficile à cet égard, c’est de cerner cet état psychologique, au travers des contacts des entrepreneurs. Stéphanie Delroisse fait le constat suivant: «Les entrepreneurs sont plongés dans les problèmes financiers, la crainte d’une faillite et ne prennent pas vraiment le temps de se poser et de se préoccuper de leur état psychologique et émotionnel.»

  • Or, quatre types de soutien peuvent être apportés:
    le soutien informatif avec des conseils de base, des pistes de solution;
    le soutien émotionnel, en permettant à l’entrepreneur de se confier à une personne de confiance, ce qui constitue un grand levier contre la détresse;
    un soutien plus pragmatique, pratico-pratique qui peut passer par l’aide d’un comptable, de quelqu’un qui prépare les repas, qui accompagne l’entrepreneur à tel ou tel rendez-vous…

On peut y rajouter le soutien ludique, qui a pour but de distraire le professionnel de ses difficultés, avec des loisirs, des sorties, des activités extérieures. Avec le Covid, c’est sans doute le plus difficile à remplir aujourd’hui.

Des initiatives de terrain

Parmi les projets qui se préoccupent de l’état émotionnel et psychologique des entrepreneurs, 7 Jours Santé est un projet autour de la santé de l’entrepreneur mis sur pied en 2012 par Question Santé et financé par la COCOF. Comme l’explique Mathieu Seron, coach et expert indépendant auprès de ce projet, «être entrepreneur, cela nécessite de prendre soin de son bien-être. Il est important de connaître ses forces, mais aussi ses points de vigilance afin de tenir sur le long terme. Il est clair qu’en période de crise telle que nous la connaissons aujourd’hui, cette question d’équilibre se pose avec encore plus d’acuité, avec des aspects comme la gestion du temps, du stress, du sommeil, l’alimentation, la confiance en soi… Le site www.7jsante.be reprend des conseils et propose de faire le point sur les facteurs déterminants de la santé. Il existe aussi des outils présentés sur le site de 7 Jours Santé, comme le tableau de bord santé de l’entrepreneur ou le thermomètre du stress. Des questions autour du sens: «Qu’est-ce je fais?», «Pourquoi je le fais?», «Qu’est-ce que cela m’apporte?» se posent davantage aujourd’hui et c’est tant mieux. Des webinaires sont également organisés, permettant aux entrepreneurs qui s’inscrivent à ce type de session de se rendre compte du bien-fondé de s’intéresser à la gestion des émotions, de la charge mentale que représente la gestion d’un business. Y travailler dans des séances collectives peut aussi permettre un partage de vécus. Si un participant à une formation ou un webinaire s’avère en difficulté, on peut aussi orienter l’entrepreneur vers un accompagnement plus individuel.»

Des initiatives privées, comme la Fondation Pulse, prises par de grandes familles belges, la banque Degroof Petercam, existent également et ont souhaité être présentes pour aider les entrepreneurs en difficulté à cause de cette pandémie. Avec le programme Revival, la Fondation Pulse souhaite relancer les entrepreneurs ayant dû fermer leur entreprise, à la suite d’une faillite, d’une liquidation ou d’une revente à perte. Pour Jacinte Monsieur, responsable de ce programme, «l’objectif est de donner un nouveau départ à des entrepreneurs qui ont connu un échec. Dans nos sociétés, ces échecs sont encore tabous; peut-être que le Covid aura cette vertu de sortir les entrepreneurs de la honte et de la culpabilité».

L’accompagnement proposé est composé d’un coaching individuel et d’un accompagnement collectif. Parmi les aspects pris en compte, la gestion des émotions et le fait de ne pas être seul face aux difficultés. Sans doute une des clefs fondamentales de la relance.

Nathalie Cobbaut