Jeunes endettés, quelles conséquences pour les parents ?

Gilles a 23 ans. Il vit toujours chez ses parents. « Tanguy » dépensier, il n’a pas résisté à l’appel des soldes et il a craqué pour un nouveau PC superperformant et un home cinéma dernier cri avec écran LCD extralarge. Il a tout acheté à crédit…, mais au bout de quelques mois, il lui est impossible de payer les échéances de ses crédits. Ses parents s’inquiètent. Sont-ils tenus par les dettes de Gilles ? S’ils le mettent à la porte, devront-ils lui payer une contribution alimentaire ?

Comme tout serait plus simple pour les parents de Gilles s’il était encore mineur1. En effet, avant 18 ans, un enfant est incapable juridiquement, c’est-à-dire qu’il ne peut pas poser seul des actes juridiques, comme signer un contrat de crédit à la consommation. Toutefois, la loi apporte quelques exceptions à ce principe en autorisant expressément le mineur à exercer seul certaines prérogatives. Par exemple, à partir de 16 ans, un mineur peut ouvrir seul un livret d’épargne2. Il ne peut cependant retirer seul que 125 euros par mois de ce compte épargne. De même, un mineur de plus de 15 ans peut conclure un contrat de travail (contrat d’occupation étudiant, contrat d’apprentissage, contrat de travail temporaire, …). En principe, l’autorisation parentale est requise mais elle peut être tacite3. Au-delà de la loi, les juges admettent que le mineur doué de discernement peut poser des actes juridiques de la vie courante dans son propre intérêt. L’âge auquel un mineur atteint suffisamment de discernement n’est pas fixé légalement, mais est généralement admis par les tribunaux comme étant l’âge de 12 ans. Autrement dit, à partir de ce moment, un mineur pourrait acheter du matériel hi-fi, s’abonner à une revue ou même ouvrir seul un compte à vue s’il agit dans son propre intérêt. L’évolution mercatique de notre société a tendance à rendre de plus en plus large le concept d’acte juridique de la vie courante.

Les actes posés par un mineur non valablement représenté ou sortant du cadre de la vie courante sont nuls. Cette nullité est relative, c’est-à-dire que seuls le mineur ou ses parents peuvent la demander. Cette nullité est soulevée de plein droit si l’enfant n’a pas suffisamment de discernement ou s’il a effectué une série d’actes4 comme souscrire un crédit, acheter un immeuble, renoncer à une succession… Tous les autres actes peuvent être annulés s’ils lèsent les intérêts du mineur. Le juge vérifie alors s’il existe une disproportion entre l’engagement pris par le mineur et ses capacités financières.

Jeune majeur et parents cautions

À 18 ans, le jeune majeur acquiert la pleine capacité juridique5. Il peut donc disposer librement de ses biens. Il devient pleinement responsable de ses engagements, de ses actes et, par conséquent, aussi de ses dettes… Gilles a la capacité juridique pour souscrire son crédit à la consommation. Il doit assumer seul le remboursement des mensualités. Les parents ne sont pas tenus par les dettes de leur enfant majeur à moins qu’ils ne se soient portés caution pour lui permettre d’obtenir un financement. Souvent, les créanciers exigent des parents qu’ils se portent caution pour les dettes contractées par leur enfant majeur. Ce n’est pas un acte à poser à la légère. En se portant caution, les parents courent le risque de devoir rembourser la dette eux-mêmes si leur enfant ne le fait pas. Pour être valable, le cautionnement doit être donné dans un écrit distinct du contrat principal (le contrat de prêt de la banque, par exemple). Le cautionnement est limité dans le temps : soit à la durée du crédit, soit à 5 ans si la durée du crédit est indéterminée. Il est aussi limité à la somme indiquée dans le contrat, majorée des intérêts plafonnés à 50% du montant principal. Le créancier, avant de solliciter les parents cautions, doit mettre en demeure le jeune majeur de payer. Si cela a été fait et que le jeune majeur ne s’est pas exécuté dans un délai d’un mois, le créancier peut aller réclamer son dû auprès des parents. Si ces derniers paient, ils peuvent se retourner par la suite contre leur enfant pour récupérer l’intégralité de ce qu’ils ont payé. Enfin, notons, que les parents qui se sont portés caution à titre gratuit des engagements de leur enfant peuvent demander leur décharge6. Il faut cependant que leur engagement soit manifestement disproportionné à leurs facultés de remboursement. En outre, cet engagement ne doit leur avoir procuré aucun avantage économique, tant direct qu’indirect. Si les parents de Gilles ont de confortables revenus et qu’ils ont surfé sur le PC ou regardé des DVD sur le home cinéma, ils pourront difficilement être déchargés.

Saisie au domicile des parents

Lorsque les parents ne se portent pas caution et à défaut de cession de rémunération, le créancier va devoir introduire une action en justice afin d’obtenir un jugement l’autorisant à forcer le jeune majeur, par tous moyens, au paiement de sa dette. Si ce dernier travaille, le créancier peut procéder alors à une saisie sur les revenus.

Par contre, si le jeune majeur n’a pas de revenus ou si la saisie sur salaire ne suffit pas, un huissier de justice peut effectuer une saisie mobilière7 à son domicile. Il va alors se présenter chez les parents de Gilles afin de saisir ses biens et les mettre en vente publique. Adieu donc le PC, la télé et le home cinéma… Mais attention, l’huissier peut saisir tous les biens meubles qu’il trouve au domicile du jeune majeur. Ses parents courent donc un risque si le jeune majeur est toujours domicilié chez eux. Le risque de voir saisir leurs biens, sauf s’ils peuvent prouver à l’huissier lors de l’inventaire des biens, en apportant des justificatifs comme les factures, les tickets de caisse ou des extraits de compte, que ces biens leur appartiennent personnellement. Une action en distraction ou en revendication8 devant le juge des saisies est en dernier recours toujours possible pour les parents lorsqu’un objet qui n’appartient pas au jeune majeur a été répertorié dans l’inventaire de l’huissier.

En français SVP : cession de rémunération et saisie sur salaire

Une cession de rémunération est une convention par laquelle le débiteur cède au créancier la partie saisissable de son salaire, pour le cas où il ne respecte pas ses engagements. Les banques usent de cet outil lors de la conclusion de contrat de crédit par exemple. Cet acte doit être distinct du contrat principal et établi en autant d’exemplaires qu’il y a de parties ayant un intérêt différent. Par ailleurs, dans le cas d’un crédit à la consommation, il doit reprendre intégralement les articles 28 à 32 de la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération des travailleurs.

La saisie sur salaire est prévue aux articles 1539 à 1544 du Code judiciaire. Dans ce cas, le créancier doit disposer d’un titre exécutoire, c’est-à-dire d’un jugement ou d’un acte authentique, passé devant notaire par exemple, pour procéder à une saisie via un huissier de justice sur la partie saisissable des revenus du débiteur qui ne respecte pas ses engagements.

Expulsion du jeune majeur

Une autre solution extrême s’offre aux parents de Gilles afin d’éviter les risques de saisie de leurs meubles : l’expulsion. En effet, si la vie est devenue intenable avec ce jeune majeur dépensier et irresponsable, il est possible pour des parents de l’obliger à quitter la maison familiale. Cette expulsion ne peut se faire sans le respect de certaines règles. Légalement, cette mise à la porte est appelée expulsion9, c’est-à-dire une obligation tant physique que juridique qui est faite à l’enfant de quitter un lieu déterminé, en emportant tous ses effets personnels. Elle peut être faite de manière forcée, à défaut de départ volontaire. L’expulsion ne peut avoir lieu qu’avec l’autorisation du juge de paix. À partir du moment où le jugement d’expulsion est signifié, le jeune majeur dispose d’un délai d’un mois pour quitter les lieux. Le CPAS est informé de cette expulsion, sauf avis contraire de l’expulsé. Le CPAS n’apportera l’aide à l’expulsé que dans les limites de ses obligations légales. Concrètement, l’huissier de justice se présente chez le jeune majeur accompagné de la police et des agents communaux. Il dresse une liste des biens et les fait transporter à l’endroit que le jeune majeur lui indique. Si aucun endroit n’est désigné, c’est la commune qui enregistre les biens, les enlève et les conserve au dépôt communal pendant une durée maximale de 6 mois. Au moment de récupérer ses biens, le jeune majeure paie à la commune les frais d’enlèvement et de conservation. À défaut de payer, la commune ne libère que les biens insaisissables (vêtements, table, machine à laver, par exemple)10.

Contribution alimentaire au jeune majeur

Mais attention, l’expulsion peut avoir pour conséquence l’activation de l’obligation alimentaire des parents vis-à-vis du jeune majeur. Rappelons que les parents ont, à l’égard de leurs enfants, une obligation d’hébergement, d’entretien, d’éducation et de formation11. Ils doivent assumer ces obligations en proportion de leurs facultés même au-delà de la majorité de leur enfant si sa formation n’est pas achevée. En pratique, les parents assument habituellement cette obligation en nature : leur enfant est logé, nourri, blanchi à la maison et les parents paient les études. Mais, si le jeune majeur se retrouve expulsé du logement familial, il peut demander au juge de paix que cette obligation soit convertie en argent. Bien évidemment, le juge prend en compte les circonstances familiales pour fixer le montant de la contribution alimentaire. Autre limite à l’obligation de formation des parents : il faut que les études suivent un cours normal. Si Gilles âgé de 23 ans recommence pour la troisième fois sa première année de baccalauréat, il ne risque pas d’obtenir gain de cause auprès du juge pour l’obtention d’une contribution alimentaire. Par contre, une fois que l’obligation d’hébergement, d’entretien, d’éducation et de formation s’éteint dans le chef des parents, le Code civil a prévu une autre forme d’obligation alimentaire générale12. L’aide qui en découle doit être proportionnée au revenu de celui qui doit la payer (le débiteur) et au besoin de celui qui doit en bénéficier (le créancier). Autrement dit, les parents qui viennent en aide à leur enfant ne le font que dans la mesure de leurs moyens et l’enfant dans le besoin ne bénéficie pas de plus qu’il n’en faut. Cet équilibre doit être sauvegardé. Cette obligation est réciproque, autrement dit, elle pèse aussi sur parents vis-à-vis de leurs enfants que sur les enfants vis-à-vis de leurs parents. Et ainsi, Gilles sera, à son tour, peut-être obligé d’aider plus tard ses parents dans le besoin. Juste retour des choses en quelque sorte…

Contribution alimentaire… Plus d’objectivation

À partir du 1er août 2010, date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mars 2010 (M.B., 21 avril 2010) visant à promouvoir une objectivation du calcul des contributions alimentaires des père et mère au profit de leurs enfants, la tâche des juges va être facilitée.

Les nouveaux articles 203, 203 bis à quater du Code civil décrivent les éléments qui doivent être pris en compte par le juge pour la fixation du montant de la contribution alimentaire, et dont il ne peut s’écarter que par un jugement motivé. Le législateur y décrit entre autre les frais ordinaires et les frais extraordinaires, les critères de fixation du montant de la contribution, son mode d’indexation des contributions ainsi que les modalités d’ouverture d’un compte bancaire pour le versement de ces contributions. Toutes ces modifications préservent la liberté du juge tout en lui donnant un cadre de référence.

Olivier Beaujean, juriste à l’asbl Droits Quotidiens

1 Article 388 du Code civil.
2 Article 2 de la loi du 30 avril 1958 relative à la capacité du mineur pour certaines opérations liées à l’épargne.
3 Article 43 al. 2 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
4 Article 410 du Code civil.
5 Article 488 du Code civil.
6 Articles 2043 bis à octies du Code civil.
7 Articles 1499 à 1528 du Code judiciaire.
8 Article 1514 du Code judiciaire.
9 Articles 1344 ter à sexies du Code judiciaire.
10 Articles 203 et suivants du Code civil.
11 Articles 203 et suivants du Code civil.
12 Articles 205, 205 bis, 206, 207 et 208 du Code civil.