Journée sans crédit 2015: les jeunes en point de mire

Capture d’écran 2015-12-21 à 15.57.58Le thème de la Journée sans crédit du 28 novembre dernier: «Trop beau pour être vrai» visait particulièrement les jeunes adultes, fraîchement concernés par de nouveaux droits. Des recommandations spécifiques ont été formulées et des animations spécialement organisées auprès des étudiants des écoles sociales. Parmi eux, les futurs travailleurs sociaux en formation au sein d’Hénallux se sont rendus au parlement wallon pour interpeller les politiques.

À l’occasion de la douzième Journée sans crédit (JSC), la plateforme regroupant 31 associations francophones et flamandes[1] a choisi de s’attaquer aux offres commerciales dites gratuites et cible particulièrement les jeunes de 18 à 25 ans. «Trop beau pour être vrai», le thème de la JSC 2015, visait les offres alléchantes, mirobolantes et autres cadeaux prétendument gratuits qui poussent à la consommation. En effet, les promotions (soldes et autres réductions de prix) et les offres dites «gratuites» ont un impact puissant sur le comportement des consommateurs qui voient dès lors leur capacité décisionnelle déplacée dans l’émotionnel. Car ces offres jouent sur la désirabilité, la fierté, le sentiment d’exclusivité au détriment de la réflexion et d’attitudes rationnelles.

Parmi les comportements visés, l’achat en ligne adopte ce langage des offres et des promotions; c’est aussi le cas des offres conjointes (qui proposent par exemple abonnement et GSM). Les crédits 0% sur de l’électroménager ou de la hi-fi utilisent également cet attrait de la gratuité pour fidéliser le client, en l’incitant non pas à emprunter la somme sans frais ni intérêts, mais bien à souscrire une ouverture de crédit qui liera le consommateur au-delà de l’achat effectué. Si l’achat initial est concédé gratuitement, les suivants coûteront fort cher aux consommateurs (avec des taux de 13, 14%).

Des proies faciles

Toutes ces offres concernent le commun des mortels, mais ont plus d’impact encore sur les jeunes qui, dès leur majorité, se voient ouvrir les portes de nouveaux droits et… de nouvelles obligations, puisqu’ils deviennent juridiquement pleinement «capables». Signature d’un bail, d’un crédit, achat d’une voiture, responsabilité de leurs comptes bancaires…: les jeunes de 18 ans et plus sont responsables de la gestion de leur argent, mais ne sont pas toujours très conscients de leurs engagements. D’autant que la société diffuse le message selon lequel il faut consommer pour exister. À cet égard, la sociologue québécoise, Julie Posca, estime que «distinguer le surendettement de l’endettement raisonnable, c’est aussi cautionner le besoin de consommer, peu importe la finalité de cette consommation et les conditions qui la rendent possible[2]». Ce message-là est très peu diffusé aux jeunes.

Les chiffres de la Banque nationale de Belgique montrent que les jeunes s’endettent davantage aujourd’hui. Les 18-34 ans représentent près de 20% des crédits. Ces mêmes jeunes présentent aussi de plus en plus de défauts de paiement tant en matière de crédit hypothécaire (avec un accroissement des défauts à partir de 2008-2009 pour les tranches d’âge les plus jeunes) que pour les crédits à la consommation, qui touchent toutes les tranches d’âge mais avec une tendance plus prononcée pour les emprunteurs de 18 à 34 ans. Une étude de Jan Velghe, effectuée auprès de 1.500 jeunes âgés de 18 à 27 ans à propos de leurs compétences financières (AB-REOC 2015), montre pour sa part que 13% des personnes interrogées et financièrement indépendantes éprouvent des problèmes financiers (19,5% des 18-27 ans à Bruxelles, 16% en Wallonie et 9,8% en Flandre). Autre constat: les achats irréfléchis arrivent en quatrième position dans les causes de problèmes financiers chez les jeunes indépendants (après la perte d’emploi, la perte d’allocation et les dépenses imprévues). Un chiffre marquant: près d’un cinquième des jeunes adultes financièrement indépendants achètent régulièrement à crédit.

Des recommandations

 Comme chaque année, la plateforme JSC propose aux autorités publiques de prendre des mesures pour que cessent certains dysfonctionnements. Cette année, ces recommandations sont au nombre de six :

  • la lutte contre les offres «gratuites», les publicités et les techniques de vente mensongères et trompeuses comme priorité pour le service Inspection du SPF Économie, avec une attention particulière aux termes «gratuit», «sans frais» et un examen spécifique de l’utilisation du terme «gratuit» diffusé via le Net, les médias sociaux, les SMS, les jeux en ligne…;
  • l’utilisation des termes «gratuit» ou «sans frais» autorisée uniquement lorsque le produit ou service proposé n’implique le paiement d’aucune rémunération ni d’aucuns frais;
  • l’identification et la sanction sévère des publicités pour une ouverture de crédit à 0% qui ne serait gratuite que pour le premier achat;
  • l’interdiction d’offrir de l’argent dans des publicités pour les jeux de hasard;
  • une meilleure information lors de la signature du contrat;
  • une amélioration des possibilités de recours auprès des ombudsmans ou en justice.

 Dans le document «Trop beau pour être vrai» – Recommandations 2015[3], on retrouve tout un chapitre: Constats de terrain: mais que se cache-t-il vraiment derrière les «offres gratuites»? Dans ce chapitre sont passés en revue de manière concrète les effets des frais inattendus pour les achats sur Internet, des offres conjointes en matière de télécoms présentées comme d’apparentes bonnes affaires et des téléchargements prétendument gratuits sur les smartphones, tout comme les conséquences des offres de crédit à 0% qui ne le sont pas vraiment ou encore l’offre d’argent gratuit.

 Les jeunes s’adressent aux politiques

 À l’occasion de cette Journée sans crédit et surtout durant la semaine qui a précédé (vu l’annulation de l’animation traditionnelle du samedi 28 novembre, à la rue Neuve, pour cause d’alerte niveau 3), des stands se sont tenus dans plusieurs écoles supérieures à Liège, Mons, Bastogne et Namur. Comme l’explique Monique Van Dieren coordinatrice de l’opération, «une des animations phares consistait à proposer aux étudiants de participer à un grand concours pour gagner une croisière. Les questions portaient évidemment sur des connaissances relatives au crédit et à la consommation. Si les réponses à trois questions étaient positives, le gagnant remportait une croisière… sur la Meuse à bord d’une Namourette. La nature de la croisière était inscrite en tout petits caractères comme c’est bien souvent le cas dans les offres alléchantes que contiennent les sites Internet et autres supports. Une manière d’attirer l’attention des jeunes sur les offres trompeuses».

 Autre travail de sensibilisation, réalisé plus spécifiquement avec des étudiants de l’école sociale Hénnalux: l’organisation d’un séminaire autour de la thématique du crédit et de l’endettement et une interpellation au parlement par les étudiants. Benoît Albert, professeur en troisième baccalauréat à la Haute École de Namur-Liège-Luxembourg (Hénallux), section assistant social, a imaginé un séminaire axé cette année sur les questions relatives au crédit et au surendettement: «Ce séminaire a pour but de faire réfléchir les étudiants sur les enjeux des politiques sociales, au-delà de la perspective individuelle du travail social. Nous avons travaillé avec plusieurs juristes de la plateforme JSC et plusieurs constats et interrogations ont émergé de nos réflexions. Entre autres, pourquoi n’y a-t-il pas plus des responsabilisations des prêteurs en matière d’octroi de crédit? De nos contacts il est ressorti que les contrôles restent assez peu nombreux et que très peu de sanctions sont appliquées en cas de méconnaissance de la loi. Autre interrogation: pourquoi axer le travail social sur la responsabilité individuelle et le curatif alors même que le surendettement est lié dans bon nombre de dossiers à une insolvabilité, une précarité structurelle? À travers de telles questions, il s’agit pour les étudiants de s’interroger sur le rôle du travail social et sur la place occupée par les structures dont ils font partie: il ne s’agit pas seulement d’aider les gens mais aussi de réfléchir au sens de ces politiques sociales sur un plan plus collectif.»

À la suite de ce travail de préparation, une interpellation des représentants politiques au parlement wallon, préparée et orchestrée par les étudiants, s’est déroulée le 27 novembre, en présence de Robert Javaux, représentant du ministre wallon de l’Action sociale, Maxime Prévot, et de parlementaires issus des partis Écolo, MR et CDH. André Antoine, président du parlement wallon, absent ce jour-là, a invité les étudiants au mois de janvier à présenter leur démarche aux parlementaires. Robert Javaux a convié pour sa part une délégation d’étudiants pour approfondir ces questions au cabinet du ministre. Comme le souligne leur professeur Benoît Albert, «il est important pour les étudiants de bien situer les enjeux de leur futur travail d’assistants sociaux, de ne pas foncer tête baissée, comme le demandent de plus en plus les institutions, dans une fonction de contrôle des personnes en difficulté ou d’envisager les mesures à prendre selon le seul angle budgétaire. Il faut s’interroger sur le sens et l’efficacité des mesures sur les gens, avec une lecture plus structurelle et l’appréhension d’un véritable phénomène social dans toute sa complexité».

Nathalie Cobbaut

[1] Équipes populaires, CAMD, GAS , GILS, Médénam, CréNo, Financité, Actions sociales du Brabant wallon, JOC, RWLP, FBLP, RBLP, FDSS, CSC-ACV, FGTB-ABVV, VCS, VNTA, Femma, BIZ (11), CEBUD, Gezinsbond.

[2] Julie Posca, «L’endettement forme la jeunesse», revue Relations, n°745, décembre 2010.

[3] http://www.journeesanscredit.be/IMxG/pdf/Recommandations_JSC_2015.pdf.