La banque digitale: une volonté dans le chef de tous les consommateurs?

La numérisation des services bancaires, les frais à la hausse, l’accessibilité toute relative du service bancaire de base sont des sujets qui reviennent régulièrement dans l’agenda des organisations de consommateurs, comme Test Achats, du réseau Financité qui s’y intéresse également. Ils interpellent les autorités à ce propos, afin que personne ne soit laissé sur le carreau, mais on est assez loin du compte.

Le 25 mars dernier, Test Achats (TA) déposait sa pétition contre la numérisation forcée des services bancaires au cabinet du ministre fédéral de l’Économie, Pierre-Yves Dermagne, et à la secrétaire d’État aux Droits des consommateurs, Eva De Bleeker.

Cette pétition #Stopfraisbancaires, lancée il y a deux ans (en février 2019), a recueilli 27.752 signatures et a pour but de mettre en place un moratoire sur les nouvelles augmentations du coût des services bancaires[1].

Les points retenus dans ce document mettaient l’accent sur une série de revendications:

  • l’application d’un nouveau service bancaire universel, adapté et étendu, pour faire face à l’évolution unilatérale et trop brutale de la numérisation;
  • des retraits gratuits aux automates de son propre réseau et cinq retraits gratuits par mois aux automates des réseaux concurrents;
  • un compte gratuit dans chaque banque, disponible pour les clients qui souhaitent tout faire eux-mêmes sur Internet;
  • la mise à disposition pendant dix ans des extraits de compte (délai légal de prescription).

Lors de cette présentation, Pierre-Yves Dermagne a déclaré: «Protéger le consommateur vulnérable contre toute forme de discrimination, c’est notre volonté». Et Eva De Bleeker, de rajouter: «Le dossier des frais bancaires figure au top de ma liste des priorités. Une des problématiques est que de nombreuses personnes ont un forfait qui n’est pas adapté à leurs besoins.»

 

#Stop aux frais bancaires 

Cela fait des mois, voire des années, que TA mène des actions contre l’augmentation des frais bancaires. Petit florilège des communications faites autour de ce thème: 11 février 2019 – «C’est le monde à l’envers! Fin 2018, ING enclenchait le mouvement et la sonnerie du tiroir-caisse. Kliing! 50 centimes à chaque retrait d’un compte Lion, jadis gratuit. La semaine passée, bpost s’est retrouvée dans le feu des projecteurs: au-delà d’un retrait gratuit par mois, les clients b.compact allaient devoir payer un demi-euro à chaque retrait. Grâce à notre forte critique, bpost a fait machine arrière!» 4 septembre 2019 – «La planète “banque” tourne à l’envers. Taux d’intérêt planchers, taxe sur les dépôts, tarification des retraits, taxation des opérations manuelles: les clients des banques paient de plus en plus pour de moins en moins de services et de rendement.» 11 décembre 2019 – «La numérisation des services bancaires présente sans doute des avantages, mais la manière dont elle est menée a des conséquences inacceptables. Toutes les enquêtes, dont les nôtres, prouvent que les consommateurs, même ceux qui apprécient les paiements électroniques, ne sont pas près de renoncer au cash.» 24 novembre 2020 – «Le compte gratuit Giro+ d’Argenta est depuis longtemps un de nos Maîtres-Achats. À partir de février, il deviendra le compte Green, restera gratuit, mais les opérations manuelles seront désormais payantes. Tant pis pour les consommateurs qui ne font pas tout eux-mêmes de manière électronique…» 6 janvier 2021 – «Au 1er avril, le coût du compte Plus KBC grimpera de 30%. Et il ne sera plus possible d’obtenir des extraits de compte en version papier dans les self banks.»… Figurait également, parmi les revendications de la pétition portée par Test Achats, la mise en place d’une plateforme de réflexion sous l’égide de la Banque nationale, au sein de laquelle les consommateurs et les banques seraient amenés à réfléchir à l’avenir du secteur bancaire. Le ministre Dermagne a rencontré, en janvier dernier, le secteur bancaire pour un échange de vues, selon les termes du communiqué de presse. On n’en saura pas beaucoup plus, si ce n’est que le ministre et Febelfin ont abordé la question du hameçonnage ainsi que celles de la numérisation croissante des services bancaires et de la problématique de la fracture numérique.

 

Des points de vue pour le moins divergents

Sur ce dernier point, la manière de présenter la situation est on ne peut plus antinomique: lors d’une audition du secteur financier à la Chambre (Commissions de l’économie et des finances réunies), Karel Baert, CEO de Febelfin, a parlé de nette évolution au sein de la société belge: le nombre de retraits en espèces a diminué de moitié entre 2012 et 2020, considérant qu’ainsi les Belges optent de plus en plus pour la sécurité et la commodité des paiements numériques. Avec, pour conséquence, la diminution du nombre de distributeurs de billets, au nombre de 6.146 fin 2020, ce qui place la Belgique au milieu du classement européen, et d’agences (4.242 fin 2020, soit une baisse de 10% par rapport à 2019), ce qui suivrait la tendance sociétale.

Mais il a aussi insisté sur le fait que le secteur veut continuer à promouvoir l’accès à l’argent liquide, notamment via l’initiative Batopin (Belgian ATM Optimisation Initiative) qui vise à créer un réseau de distributeurs commun à quatre grandes banques (Belfius, BNP Paribas Fortis, ING ET KBC) et mieux réparti sur le territoire ou celle, intitulée JoFiCo (Joint Financial Company), qui est une joint-venture pour la gestion conjointe des distributeurs des banques d’Argenta, Axa, Crelan, bpost banque et VDK bank. Tout en faisant la promotion de l’étude «La banque se veut app-étissante»[2], laquelle met en avant le modèle bancaire aujourd’hui en vigueur, avec des slogans tels que «Une banque qui fait du client un banquier».

Du côté de Test Achats, lors d’une audition qui a eu lieu le 16 octobre 2019, les arguments sont tout autre: l’organisation des consommateurs y relevait que «les clients sont invités à faire de plus en plus eux-mêmes et de manière digitale. Presque chaque semaine la presse se fait l’écho de l’un ou l’autre bouleversement. Cette évolution est tellement rapide qu’elle laisse un nombre considérable de personnes totalement désemparées».TA faisait l’inventaire des changements poussant leurs clients vers les services digitaux: la réduction du nombre d’agences et de personnel à disposition des clients, le développement unilatéral de la numérisation des services bancaires, l’augmentation des frais de tout service qui demande l’intervention du personnel de banque et la suppression de certains services «manuels». Avec, pour corollaire, le fait que le client auquel les banques s’adressent doit disposer d’un PC récent et performant, d’une connexion Internet, d’une imprimante, d’un smartphone avec les applis récentes et des compétences pour manipuler tout ce matériel. Et de s’interroger sur la dimension sociétale de leurs missions.

Un rapport chiffré et étayé

Autre acteur qui réfléchit à cette situation: le réseau Financité, qui, dans son rapport sur l’inclusion financière, paru en décembre 2020, s’attache entre autres à analyser l’accessibilité bancaire. Dans l’introduction de ce rapport, les auteures, Thérèse Bastin et Anne Fily, mettent en avant le caractère incontournable des services financiers et de la nécessité de leur accessibilité pour mener une vie normale. Ils sont considérés comme adaptés si leur structure et leur coût ne posent pas de difficultés d’accès et/ou d’utilisation.

Or, comme le soulèvent Anne Fily et Thérèse Bastin, «certains groupes de personnes sont plus susceptibles d’être touchés par l’exclusion financière. Dans la très grande majorité des cas, l’exclusion est étroitement liée à la discrimination. Les personnes concernées présentent des caractéristiques, des situations de vie ou des incapacités particulières qui ne leur permettent pas de jouir des mêmes droits et des mêmes opportunités de participer à la société que les autres. […] Parmi les personnes les plus susceptibles d’être touchées par l’exclusion financière, totale ou partielle, on trouve les sans-abri, les migrant.e.s, les réfugié.e.s, les personnes surendettées, les personnes sans emploi, les travailleur.euse.s pauvres, les travailleur.euse.s indépendant.e.s, les familles monoparentales, les personnes isolées, handicapées et âgées. Certaines personnes cumulent les obstacles».[3]

Pour faire le point sur l’inclusion financière, il s’agissait donc de collecter des données quantitatives portant sur les comptes courants, les instruments financiers et les instruments d’épargne. Les données qualitatives par type de produits ou de services financiers concernant l’inclusion financière sont en revanche absentes.

Les données de Financité

En matière d’accessibilité bancaire, la question du nombre d’agences bancaires et de distributeurs de billets est objectivable sur le plan des chiffres: la Belgique a perdu 63,2% de ses agences en moins de 20 ans, avec un taux de couverture bancaire très variable selon les trois régions: 23,7 agences pour 100 km2 en Flandre, soit le triple de la Wallonie qui en compte 7 pour 100 km2, et Bruxelles, qui est la mieux servie, avec 189,4 agences pour 100 km2. Les communes les moins riches sont défavorisées, tout comme les zones rurales.

La numérisation bancaire est toujours plus forte et la crise sanitaire a accentué cette tendance, laissant une partie de la population sur le carreau qui avait l’habitude de se rendre en agence. Les coûts des opérations manuelles ne cessent de grimper, le nombre d’appareils permettant d’effectuer des virements, de consulter ses comptes dans des espaces de selfbanking, est en diminution. Les imprimantes permettant de récupérer ses extraits de compte ont tout bonnement disparu.

Les distributeurs de billets ont également diminué, mais le montant moyen retiré en espèces reste élevé, autour de 140 euros. Les paiements en liquide, dans les points de vente ou entre personnes, s’élevaient tout de même en 2019 à 58% des transactions et 33% de la valeur de toutes les transactions. Il est vrai que, durant la crise sanitaire en 2020 et depuis, les paiements en espèces ont été limités, pénalisant encore davantage les publics vulnérables, mais aussi les personnes dépendant de la mendicité, vu la numérisation des moyens de paiement.

En matière d’ouvertures de services bancaires de base (SBB)[4], leur nombre a augmenté de près de 10% en 2019, mais ce chiffre reste très faible au regard des besoins, soit 16.740 SBB: le Portugal, qui a une population similaire à la Belgique, compte 11 fois plus de comptes de ce type. Enfin, le nombre d’exclus bancaires reste difficile à évaluer: au moins 2% de la population adulte n’a pas de compte à vue selon la dernière enquête HFCS, basée sur des données récoltées auprès de la population en 2017.

 

Une campagne «Banques: dehors les seniors?» 

Financité a mené, l’an dernier, une campagne avec Eneo et Espace Seniors pour dénoncer le fait que beaucoup de personnes âgées rencontrent des difficultés pour effectuer leurs opérations bancaires. Un questionnaire avait été envoyé en juin dernier à une série de banques pour les sonder à propos de leur position en matière d’accessibilité et d’usage de leurs services bancaires, ainsi que les mesures d’accompagnement prévues de leurs clients de plus de 65 ans. Ces réponses ont été analysées et ont été présentées à des personnes âgées pour recueillir leurs réactions. Durant tout le mois d’octobre, des groupes de discussion ont été organisés et des solutions ont été revendiquées. Une action carte postale a été menée en décembre afin d’interpeller le Premier ministre, Alexander De Croo, sur l’accessibilité bancaire pour les seniors. 800 cartes postales ont ainsi été envoyées.

Un colloque devait avoir lieu, mais le Covid est passé par là. Dès lors trois podcasts ont été préparés sur l’inaccessibilité bancaire liée à la numérisation. Trois épisodes intitulés de la façon suivante: «J’ai mal à mon portefeuille», «J’ai perdu le contact» et «Je ne suis pas un vieux fossile». Financité a également rencontré le ministre de l’Économie afin de discuter d’un compte bancaire à mettre en place pour répondre aux besoins du plus grand nombre.

Pour suivre l’ensemble de cette campagne et retrouver les podcasts: https://www.financite.be/fr/seniors

Pour visionner la vidéo de présentation de la campagne sur YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=scez_R56LHc&t=199s

 

Quelles recommandations?

Dans son rapport annuel, Financité ne se limite pas à faire des constats: il émet également des recommandations basées sur des prises de position mesurées, mais fermes. «Il apparaît difficile d’exiger des banques qu’elles maintiennent un réseau dense d’agences sur tout le territoire. Cependant, que l’on habite dans une commune pauvre ou riche, rurale ou urbaine, tout un chacun doit pouvoir accéder à une banque et à un distributeur de billets. Parce que les banques ont le monopole des dépôts, elles ont des obligations de service public.»[5]

Pour cet organisme qui travaille pour une finance responsable et solidaire, une véritable inclusion bancaire devrait:
– reconnaître à tous le droit de pouvoir choisir le canal d’accès à sa banque, qu’il soit numérique, physique ou une combinaison des deux, avec une tarification similaire, quel que soit le canal choisi;

– comprendre un plafonnement des tarifs pour les opérations manuelles non comprises dans les forfaits annuels;

– permettre un accès à une agence bancaire et à un distributeur de billets, avec une distance maximale à parcourir et des solutions alternatives pour les zones les plus reculées ou les moins densément peuplées, comme des agences partagées ou mobiles;

– proposer un service téléphonique d’aide avec accès direct à des employés, spécialement formés à l’écoute pour répondre aux questions de personnes confrontées à des difficultés;

– organiser une étude d’incidence, lors de toute fermeture d’agence et/ou de suppression de distributeur de billets.

Pour Financité, il est également important de promouvoir le service de mobilité bancaire, encore trop méconnu du public, qui permet de changer d’organisme bancaire, notamment pour une banque qui servirait mieux les besoins des personnes non digitalisées. Pour ce qui est du recours aux espèces, les recommandations portent sur la mise ne place d’un système de compensation entre les banques et bpost pour la prise en charge du coût d’installation des distributeurs, le retour des distributeurs de billets dans les supermarchés ou encore le fait de prévoir des sanctions pour les commerçants e autres prestataires qui refuseraient les paiements en espèce (comme c’est le cas en France).

Enfin, en matière de service bancaire de base (SBB), destiné aux personnes non bancarisées ou confrontées à des difficultés d’utilisation des comptes, il s’agit de:

  • revoir les conditions d’accès au SBB pour l’adapter aux nouvelles situations d’exclusion bancaire générées par la numérisation;
  • revoir le contenu des opérations incluses dans le SBB;
  • remplacer le tarif forfaitaire par différentes tarifications, y compris la gratuité;
  • mettre en demeure les banques d’informer le public de l’existence de ce service et le faire connaître auprès des personnes cibles.

 

Nathalie Cobbaut

 

[1] https://www.test-achats.be/argent/payer/news/fin-petition-banques

[2] Téléchargeable à l’adresse suivante: https://www.febelfin.be/sites/default/files/2021-03/quand_la_banque_se_fait_appétissante.pdf.

[3] Thérèse Bastin et Anne Fily, Rapport sur l’inclusion financière 2020, p. 4/112.

[4] Compte à vue avec carte de début qui permet d’exécuter des dépôts, des retraits d’argent, des virements, des ordres permanents, des domiciliations et l’exécution d’opérations de paiement par le biais d’une carte de paiement. Le SBB n’est pas gratuit: il coûte au maximum 16,26 euros depuis le 1er janvier 2020.

[5] Thérèse Bastin, Anne Fily, op.cit., p.8.