La dette et le prisonnier : des difficultés qui s’additionnent

En prison, l’équation de l’endettement est simple: le détenu n’a que des possibilités minimes de gagner de l’argent, alors que les dettes existantes prennent de l’ampleur. Dans ce contexte, des démarches de médiation peuvent permettre de suspendre un moment les procédures de recouvrement de la dette.

La spirale de l’endettement est toujours déstabilisante. Mais lorsqu’il s’agit de détenus, les difficultés s’accumulent. Des soins de santé impayés, des prêts à fort taux d’intérêt, des factures de téléphone, des impôts en retard et, plus rarement, des crédits hypothécaires sont à l’origine des dettes des détenus. À cela s’ajoutent souvent d’autres sommes: la cantine, les honoraires d’avocat, les frais de justice et l’indemnisation des parties civiles. La plupart des détenus qui bénéficient de ressources (même modiques) privilégieront cette dernière dette, car le souci d’offrir une réparation aux victimes est également un atout dans le cadre d’un plan de reclassement. Il s’agit d’un geste d’amendement qui pourra être un élément positif lorsque ces détenus passeront devant le Tribunal d’application des peines pour une mesure de libération conditionnelle, de surveillance électronique, de détention limitée,… Par conséquent, les autres dettes restent souvent impayées et s’accumulent pendant la durée de la détention.

Sonia Aelgoet, médiatrice de dettes à l’Office de réadaptation sociale, donne l’exemple d’un détenu qui avait entamé sa peine avec une facture impayée de 7,18 euros, transformée, deux ans plus tard, en dette de 480 euros. « Comme pour tout autre débiteur, les relances et les frais d’huissier sont à la charge du détenu, la somme à rembourser augmente: les intérêts courent, une sommation à payer puis une autre, l’annonce d’une saisie, d’une mainlevée, des droits de quittance, des intérêts. En deux ans, la dette a grossi, suivant une courbe exponentielle. Mais à la différence d’un débiteur en liberté, les moyens de rembourser sont très limités et, si les possibilités de médiation existent, encore faut-il en être informé. »

Travailler pour rembourser ?

Pour rembourser ses dettes, il faut de l’argent. Or gagner de l’argent en prison est une gageure. Selon Daniel de Strobbeleir, bénévole au service d’aide aux détenus à la prison de Tournai, « il n’y a que trois façons légales d’avoir de l’argent en prison. L’argent peut provenir de l’extérieur, de la famille. Il y a aussi le travail (voir encadré), qui est considéré comme une ˝faveur˝ faite aux détenus et dont la rémunération est faible. Quant aux autres, ceux qui n’ont rien, ils reçoivent une  ˝cantine sociale˝, d’environ 30 euros par mois ». À La Touline, autre service d’aide aux détenus aux prisons d’Ittre et de Nivelles, on rappelle que l’argent est généralement utilisé en priorité à la location d’une télé, seul contact avec le monde extérieur, dont le coût n’est pas négligeable (22 euros par mois). Les possibilités de rembourser les dettes sont donc minimes, et ce, sans compter ce que Daniel Strobbeleir appelle le « domaine interdit », soit les dettes qui se créent autour de l’achat de drogue ou d’autres trafics illicites et dont personne ne mesure l’ampleur.

Combien gagne un détenu en prison?

Selon Laurent Sempot, porte-parole de l’administration pénitentiaire, il existe trois types d’activités organisées et rémunérées en prison :

  • Le travail domestique, il s’agit des « servants ». Pour des tâches de nettoyage, de distribution de nourriture ou de manutention, la rémunération se situe dans un fourchette entre 0,62 euro et un euro de l’heure.
  • La régie du travail pénitentiaire. Travaux en atelier qui bénéficient aux autres prisons: boulangerie, forge, menuiserie. Tarif minimum: 0,62 euro. Paiement moyen: entre 1,20 et 1,60 euro de l’heure.
  • Le travail pour compte d’entrepreneur externe. Pas de forfait, rémunération à la pièce. Aucun barème de rémunération n’est appliqué. Selon Laurent Sempot, les détenus gagnent en moyenne entre 150 et 250 euros par mois.

La rémunération pour une même tâche varie en fonction de la prison où elle a été effectuée.

Des familles sous pression

Les créanciers ont de nombreux moyens pour réclamer leur argent. Une fois chargé du recouvrement des créances impayées, l’huissier procédera à la recherche de toutes les ressources disponibles. Vu qu’il n’y en a pas en prison, il cherchera à l’extérieur. Selon Sonia Aelgoet, les dettes fiscales sont les plus complexes à gérer. Bien qu’il existe des procédures pour obtenir un plan d’apurement (la plupart du temps à rembourser en moins d’un an), l’exonération des intérêts, la remise des amendes et accroissements, la surséance indéfinie au recouvrement, ces procédures ne sont pas évidentes à mettre en œuvre, l’administration fiscale n’étant pas toujours encline à accorder de telles faveurs. Les personnes surendettées n’ont généralement pas accès à cette information, sauf via les services de médiation de dettes. De son côté, le fisc dispose de beaucoup plus d’accès aux informations au sujet de la personne (propriété d’un logement, véhicule, revenus, congés payés,…) et peut dès lors ordonner des saisies. Certaines dettes, comme les crédits hypothécaires, doivent être remboursées en priorité. Dans ce cas de figure, le détenu peut essayer de louer son bien ou de le vendre. En cas de non remboursement, le bien pourra être mis en vente publique pour rembourser en priorité le crédit hypothécaire.

Si le détenu est marié, s’il est domicilié chez ses parents ou dans la fratrie, l’huissier pourra ordonner la saisie des biens qui se trouvent à ce domicile. L’objectif poursuivi n’est pas forcément d’obtenir le paiement via la vente des biens saisis, mais bien de faire pression sur la famille pour que des démarches de médiation soient entamées. Afin d’éviter des désagréments à la famille, certains assistants sociaux proposent au détenu de se domicilier à la prison, ce qui permet généralement d’éviter les saisies chez les proches. Mais cette domiciliation à la prison n’est pas toujours efficace pour éviter les saisies, étant donné par exemple l’existence de dettes réputées communes aux conjoints.

Quelles pistes de solutions ?

Pour éviter le cycle du surendettement, les solutions ne sont pas légion: entamer une médiation de dettes ou un règlement collectif de dettes. L’idéal est d’entamer ce type de procédures au plus tôt, car plus le temps passe, plus la dette augmente. Or les détenus ne reçoivent pas forcément l’information relative à l’existence des services de médiation de dettes accessibles en prison et ceux-ci ne commencent souvent leur travail qu’une fois le détenu sorti de prison.

Dans certains cas, la médiation débute néanmoins au cours de l’incarcération : comme l’explique Sonia Aelgoet, un courrier est envoyé à l’huissier de justice avec une attestation de détention précisant la durée approximative prévue de la détention, afin que les créanciers sachent à quoi s’en tenir. La démarche ne vise pas à suspendre la dette, ni les intérêts, mais bien à suspendre les poursuites du recouvrement et ce, durant la période de détention. Les huissiers n’ont aucune obligation d’accepter cette proposition, mais, de manière générale, ils jouent le jeu, ce qui évite au détenu les nombreux frais liés aux sommations, inventaires de biens et autres procédures. Ainsi, la dette croît, mais à un rythme beaucoup plus lent qu’en cas d’absence de médiation. Lorsque le délai de mise en suspens est écoulé, à défaut de réaction de la part du détenu ou du service de médiation de dettes, le huissier reprend les poursuites. Les médiations de dettes s’étalent souvent sur plusieurs années.

Autre solution, mise en œuvre généralement à la sortie de prison: le règlement collectif de dettes. L’avantage d’une telle option réside dans le fait que toutes les procédures sont stoppées, les intérêts sont suspendus et certaines dettes, le cas échéant, effacées. Mais encore faut-il que le détenu, ayant à peine recouvré la liberté, accepte de se plier aux obligations de cette procédure contraignante. Quoi qu’il en soit, dans bien des cas, à la sortie de prison, les dettes toujours présentes constitueront un handicap supplémentaire à la réinsertion des anciens détenus.

Cédric Vallet