
Prévue pour le 1er juillet 2025, l’entrée en vigueur de l’avis de médiation amiable est reportée, en raison d’un arrêté royal manquant. Peut-être en septembre si tout va bien. À côté de cela, toute une série de points sont flous quant à la mise en œuvre de cette mesure, qui partait sans doute d’une bonne intention mais qui pourrait passer à côté des effets escomptés.
Parmi les mesures de lutte contre le surendettement (et la protection des entreprises en difficulté), contenues dans la loi du 15 mai 2024[1], figure l’avis de médiation amiable déposé dans le Fichier des avis de saisie (article 1390octies, § 3 nouveau du Code judiciaire). Une nouvelle mesure qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et de jus de cerveau, alors même qu’elle n’est pas encore entrée en vigueur, et ne le sera pas dans les délais prévus. En effet, sa mise en œuvre nécessite un arrêté royal devant être adopté par la ministre de la Justice, Annelies Verlinden. Or, son cabinet semble avoir perdu de vue l’échéance du 1er juillet 2025 mentionnée dans la loi. L’arrêté royal n’aura pas fini son parcours à cette date, d’où le report de l’avis de médiation amiable en matière de dettes…
En attendant, le webinaire d’une heure organisé le 10 juin par l’OCE a porté presque intégralement sur cette mesure[2]. Il a également donné lieu à un guide, présenté sous la forme d’une FAQ, reprenant 29 questions que les médiateurs de dettes pourraient être amenés à se poser lors de la mise en œuvre de cette mesure. En effet, les dispositions qui figurent dans le Code judiciaire sont floues et un groupe de travail, regroupant l’OCE, les centres de référence en médiation de dettes wallons et le Centre d’appui aux services de médiation de dettes (CAMD), s’est penché sur cette mesure, afin d’éclaircir certaines de ses lignes et d’en faciliter l’interprétation.
Le principe
L’article 1390octies § 3 du Code judiciaire stipule que lorsqu’un médiateur de dettes amiable entame une médiation, il fait déposer un avis mentionnant cette procédure dans le Fichier des avis de saisie (FCA), lequel reprend déjà toute une série d’avis (saisies, délégations, cessions, RCD…) pouvant influer sur le cours des procédures de recouvrement.
Étant donné que le médiateur de dettes n’a pas accès à ce fichier (contrairement au débiteur, qui peut le consulter une fois l’avis déposé), il doit solliciter l’intervention d’un huissier de justice, lequel devra effectuer les démarches pour le dépôt de l’avis dans le FCA. Le médiateur de dettes ne devra pas rémunérer l’huissier de justice pour le dépôt et la radiation de l’avis de médiation. Ce dernier recevra une indemnisation financière octroyée par un fonds établi au sein de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ). Pour ce qui est de la radiation, celle-ci interviendra soit à la demande du médiateur, en cas de clôture pour non-collaboration ou à la demande du débiteur, soit à la fin de la médiation, soit automatiquement au bout de cinq ans, même si la médiation de dettes amiable n’est pas terminée. Concernant le contenu de cet avis, la CNHJ prépare un canevas type qui pourra être utilisé pour ce dépôt, en complément des obligations prévues dans le Code judiciaire.
Par ailleurs, l’article 1391bis nouveau du Code judiciaire oblige les huissiers de justice à consulter le FCA avant d’entamer toute procédure judiciaire ou extrajudiciaire. L’existence de l’avis de médiation de dettes amiable informe l’huissier que le débiteur est engagé dans une procédure de désendettement et l’oblige à prendre contact avec le médiateur de dettes amiable, afin de promouvoir des solutions amiables. L’huissier informe donc le médiateur de dettes de sa mission de recouvrement et du montant de la créance. Ce dernier répond dans le mois, notamment afin d’indiquer si oui ou non la dette peut être intégrée dans un plan de paiement existant.
Ça, c’est pour le principe qui, en soi, est plutôt de bon augure. Mais cela pose toute une série d’interrogations… qui rendent les effets de la mesure très approximatifs.
À l’entame…
Selon une lecture textuelle du Code judiciaire, le service de médiation de dettes (SMD) doit demander le dépôt de l’avis à l’entame de la médiation de dettes amiable. Le Code de droit économique (CDE) stipule bien que la médiation de dettes ne peut débuter avant la signature d’une convention par le médiateur et le débiteur. Autre disposition du CDE: le débiteur doit être correctement informé du cadre et des limites de la médiation, ainsi que des droits et obligations des parties.
Pour autant, le médiateur de dettes dispose-t-il d’une vision claire de la situation budgétaire et financière du débiteur à ce moment? Rien n’est moins sûr. Le terme «entame» désigne-t-il le moment où le débiteur passe la porte du SMD, le moment de la signature de la convention ou celui de la décision du conseil d’aide sociale, pour ce qui est des CPAS? Comme il a été précisé lors du webinaire, pour pouvoir répondre à un huissier de justice qui solliciterait un médiateur à la suite de la publication d’un avis de médiation amiable, encore faut-il que ledit médiateur dispose des informations nécessaires, des données chiffrées et ait pu analyser la situation avant de pouvoir répondre à l’huissier sur la possibilité d’intégrer la créance à un éventuel plan de paiement.
Par quel huissier de justice et selon quelle procédure?
A priori, le médiateur de dettes choisit librement l’huissier de justice qui devra déposer l’avis. Il devra impérativement passer par un huissier: il s’agit d’une mission monopolistique dévolue à cette profession. L’huissier désigné devra obligatoirement répondre favorablement à cette demande. Il n’y a pas à ce jour de délai légal pour le dépôt de l’avis. La question 14 de la FAQ parle de trois jours ouvrables, mais sans que ce délai soit imposé. Le médiateur sera informé par le FCA du dépôt de l’avis. Il n’existe pas de sanction spécifique en cas de défaut de dépôt dans le chef des protagonistes.
Quid de la nécessité ou non d’un marché public pour désigner l’huissier de justice? La question est controversée: l’OCE et les centres de référence considèrent qu’un marché public n’est pas adéquat en l’espèce, en raison de l’imposition légale de la relation entre le médiateur et l’huissier, de l’absence de contrat formel en l’espèce, et du caractère non onéreux de la mission. Mais d’autres juristes, dont ceux de l’Union des villes et des communes wallonnes, estiment qu’un tel marché public s’impose. Sans doute la préexistence d’un marché public avec un huissier devrait-elle permettre d’inclure cette mission dans le marché. Mais ce n’est pas le cas de tous les services de médiation de dettes…
Les effets du dépôt de l’avis et du délai d’un mois
Une fois qu’un huissier de justice, après consultation du FCA, prend contact avec le médiateur de dettes amiable en charge du dossier d’un débiteur, ce médiateur a un mois pour informer l’huissier si la dette peut oui ou non être intégrée dans un plan de paiement existant ou en voie d’élaboration. Afin de pouvoir appréhender correctement la nature et le montant de la dette et de permettre un dialogue efficace, il serait de bon aloi que l’huissier de justice fournisse également le décompte et les pièces justificatives du créancier. Le non-respect de ce délai d’un mois n’est assorti d’aucune sanction spécifique.
D’après les travaux préparatoires de la loi du 15 mai 2024, ce délai d’un mois ne constitue pas un moratoire durant lequel l’huissier ne pourrait pas agir: il constitue un moment de réflexion au cours duquel le médiateur envisage une solution qui pourrait être acceptable pour le créancier et viable pour le débiteur, mais n’a aucun effet suspensif sur les mesures d’exécution qu’entreprendrait l’huissier, malgré l’avis. L’article 23 de la FAQ précise que «la CNHJ conseillera à l’ensemble des huissiers de ne pas poursuivre pendant ce délai d’un mois, sauf si la procédure le justifie ou si le créancier le demande. Néanmoins, il faut une justification suffisante de l’huissier. À défaut, une plainte peut être déposée à son encontre par le SMD ou le médié».
Encore bien des zones d’ombre
Il faudra bien sûr attendre la publication de l’arrêté royal prévu dans le Code judiciaire pour connaître la nouvelle date d’entrée en vigueur de cette mesure et les modalités qui s’y rattachent. Il pourrait être d’application d’ici au mois de septembre. Il ne concernera que les nouvelles médiations de dettes, ouvertes à partir de cette date.
Du côté des médiateurs de dettes, la crainte est, en tout cas, de voir encore les procédures s’alourdir, en raison du passage obligé par l’huissier de justice – une démarche perçue comme contre-intuitive et qui pourrait s’avérer inefficace en l’absence de moratoire. Un autre risque réside dans la réaction du débiteur, qui pourrait se détourner de la médiation amiable à la seule idée d’être ainsi fiché au FCA. Quoi qu’il en soit, la publication de cet avis demeure obligatoire et devra également figurer dans la convention prévue à l’article XIX.25 du CDE.
À voir dans les mois à venir pour la mise en œuvre de cette nouvelle procédure…
Nathalie Cobbaut
[1] M.B. 1er juillet 2024, p. 79406.