La zombification de l’économie belge ou des entreprises maintenues en vie artificiellement

Depuis plusieurs mois, le terme d’«entreprise zombie» est de plus en plus souvent utilisé dans les médias. Si le phénomène de zombification n’est pas apparu avec la crise du Covid-19, il est pourtant sur toutes les lèvres. Il désigne les entreprises qui ne sont plus rentables ni viables, mais qui restent sur le marché plutôt que de se faire racheter ou d’être déclarées en faillite[1]. Plus précisément, l’OCDE utilise ce qualificatif pour des entreprises qui existent depuis plus de 10 ans et dont le revenu opérationnel n’a pas suffi au cours des trois dernières années pour couvrir le remboursement des intérêts[2]. Pour pouvoir poursuivre leur activité, ces entreprises s’endettent.

Le nombre d’entreprises zombies connaît une augmentation depuis une trentaine d’années dans notre pays (et dans les pays avoisinants)[3], due notamment aux taux d’intérêt historiquement faibles[4] qui poussent les agents économiques à l’endettement. En Belgique, près de 10% des entreprises sont concernées, ce qui est l’un des taux les plus élevés au niveau européen[5]. Si la notion n’est pas apparue avec le Covid, elle pourrait prendre de l’ampleur.

Les entreprises des secteurs qui ont pu reprendre leur activité depuis le premier confinement ont retrouvé un niveau presque similaire à la situation antérieure à la crise[6]. Ce rebond rapide s’explique notamment par l’exogénéité du choc subi: ce dernier ne trouve pas son origine dans des déséquilibres de nos économies qui mettraient du temps à être corrigés, mais en dehors de la sphère économique.

Les entreprises appartenant aux secteurs encore confinés ont, quant à elles, vu leurs bilans se dégrader progressivement. Les secteurs qui sont le plus durement touchés par la crise sanitaire et les mesures de confinement sont les transports, l’Horeca, le B2C (la catégorie d’entreprises en relation directe avec leurs consommateurs), le tourisme et le spectacle vivant. Et les conséquences négatives seront d’autant plus importantes que le confinement et les habitudes de consommation qui y sont associées vont perdurer.

Où sont les faillites attendues?

Alors que l’économie connaît une profonde récession, le nombre de faillites prononcées a atteint en 2020 son niveau le plus bas depuis 20 ans, et est même pour la première fois en baisse depuis 2016[7]. À titre de comparaison, ce nombre est passé de 10.598 en 2019 à 7.203 en 2020, toutes régions confondues. Cette baisse drastique n’est évidemment pas révélatrice d’une diminution des difficultés financières rencontrées. La BNB estime à 20% le nombre d’entreprises rencontrant des problèmes de liquidités dus à la crise sanitaire[8].

Le nombre de faillites prononcées et le taux de chômage[9] ont pu être relativement contenus (à l’exception des secteurs les plus durement touchés cités précédemment) grâce à la mise en place de mesures de soutien d’une ampleur inédite de la part des pouvoirs publics, parmi lesquelles le droit passerelle, le chômage temporaire, les reports de paiement de cotisations et les moratoires sur les faillites. Le moratoire sur les faillites n’a pas été prolongé après son échéance du 31 janvier dernier. Toujours dans le but d’éviter une multiplication des faillites et des licenciements, le gouvernement préconise désormais une refonte de la procédure de réorganisation judiciaire (sous forme de projet actuellement). La PRJ est une procédure qui donne la possibilité, sous certaines conditions, de négocier des plans amiables avec tout ou partie des créanciers.

Quels impacts des entreprises zombies sur l’économie?

Si ces mesures de soutien représentent la bouffée d’oxygène nécessaire à certaines entreprises pour pouvoir survivre à la crise et rebondir par la suite, pour d’autres, déjà en difficulté avant l’année 2020 et n’ayant pas les fonds propres nécessaires pour un rebond éventuel, elles ne font que retarder leur fin.

Les entreprises zombies sont un poids pour la société car elles n’ont aucune perspective économique à moyen et à long terme. Elles n’embauchent pas (alors qu’il est actuellement urgent d’augmenter le taux d’emploi), produisent peu, investissent encore moins, n’innovent plus et ne libèrent pas de place sur le marché pour de nouvelles entreprises. Elles risquent aussi d’entraîner les entreprises «saines» avec qui elles font des affaires dans leur marasme économique.

Ces entreprises entravent la croissance de la productivité en évinçant les opportunités de croissance pour les entreprises plus productives, en particulier les start-up[10]. Elles entraînent un ralentissement du potentiel de croissance de l’économie, et n’aideront pas à la relance économique dont notre pays a besoin.

Quelles pistes pour lutter contre les entreprises zombies?

Une première piste est de remettre en question la manière dont sont distribuées les aides exceptionnelles. Celles-ci ont été octroyées aux entreprises pouvant démontrer que leur chiffre d’affaires avait été négativement impacté par la crise sanitaire. Idéalement, une différence devrait être faite entre les entreprises qui avaient déjà enregistré des défauts de paiement plusieurs mois auparavant, et celles qui expérimentent des difficultés passagères. En outre, des conditions d’octroi plus précises et plus explicites permettraient de lutter contre les fraudes et d’éviter que des entreprises dans le besoin passent à côté d’aides financières potentielles.

Une autre piste porte sur la mise en place d’un mécanisme plus efficace de détection des entreprises zombies pour limiter au plus tôt leurs effets néfastes sur l’économie (détaillés plus haut). Les banques jouent un rôle dans la vérification de la solvabilité de leurs emprunteurs. Cependant, comme l’indique Guy Degeorges[11], directeur financier auprès de PME innovantes ou dans le secteur culturel, la situation exceptionnelle a rendu obsolètes les ratios sur lesquels se basaient les analyses de risque. Les chiffres d’affaires proches de zéro, les charges financées avec des prêts et l’impossibilité de faire des projections réalistes à cause du climat d’incertitude ont compliqué l’identification des entreprises insolvables.

La levée des mesures aura raison des entreprises zombies

Une troisième piste est imaginée par l’Organisation de coopération et de développement économique, qui veut tirer parti des crises que nous traversons pour assainir notre système économique. L’OCDE propose la mise en place de réformes favorisant les restructurations d’entreprises, qui sont porteuses d’effets bénéfiques au niveau de la production. Cependant, étant donné que ce type de réforme peut également entraîner de lourds coûts sociaux, l’OCDE encourage simultanément la mise en place de politiques ambitieuses du marché du travail. L’idée est de concilier le développement du potentiel de productivité d’une entreprise et le retour sur le marché du travail des travailleurs ayant subi un licenciement collectif[12].

Une dernière piste de réflexion intéressante porte sur le calendrier de la levée des mesures de soutien mises en place aux niveaux fédéral et européen. Étant donné qu’une transition trop brusque entraînerait le risque d’une vague de licenciements et de faillites d’entreprises en manque de fonds propres, la journaliste Marie Charrel, spécialisée dans les questions macroéconomiques, propose une prolongation des différentes mesures jusqu’à ce que l’effet des plans de relance soit manifeste. Dans tous les cas, il conviendra d’être particulièrement prudent[13].

Il s’agit de quatre pistes de réflexion parmi d’autres, à explorer dans le but de limiter la présence et l’impact d’entreprises zombies dans notre économie.

Elena McGahan,
économiste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Banerjee R. et Hofmann B., Corporate zombies: anatomy and life cycle, BIS working papers n°882, septembre 2020.

[2] Andrews D., McGowan M., Millot V., Confronting the zombies: policies for productivity revival, OECD Economic Policy Papers n°21, décembre 2017.

[3] De Leus K., Les entreprises zombies sont un frein à la dynamique des entreprises belges, BNB Paribas Fortis, 5 juin 2018.

[4] Galloy P., Des solutions face aux nouveaux records de faiblesse des taux, L’Écho.be, 16 octobre 2020.

[5] Faljaoui A., Les vaccins vont tuer les entreprises zombies, Trends tendances, 9 décembre 2020.

[6] Wunsch P., Présentation du rapport annuel 2020 de la Banque nationale de Belgique (vidéo), BNB, 12 février 2021.

[7] Statbel – Direction générale Statistique – Statistics Belgium.

[8] Wunsch P., Présentation du rapport annuel 2020 de la Banque nationale de Belgique (vidéo), BNB, 12 février 2021.

[9] Le taux de chômage a augmenté de 4,6% de la population entre 20 et 64 ans fin 2019 à 6,4% lors du 3e trimestre de 2020 (Statbel, dernières données disponibles).

[10] OECD Economic Policy Papers, Zombie firms and weak productivity, 2017.

[11] Cette réflexion de Guy Degeorges qui porte sur l’économie française est également valable pour la situation dans notre économie belge.

[12] OECD Economic Policy Papers, Zombie firms and weak productivity, 2017.

[13] Charrel M., Pandémie: l’économie sous perfusion (vidéo), Le Monde, 14 décembre 2020.