L’argent au cœur des contes

Il n’est pas toujours évident pour des parents d’annoncer à leurs enfants que désormais il faudra vivre avec moins car les finances de la famille ne sont pas au beau fixe. Pour aider ces parents à communiquer sur ce sujet difficile, le Groupe Action Surendettement (GAS) travaille depuis 2013 à l’élaboration d’un recueil de contes, dans le cadre d’un projet Interreg IV. Celui-ci est aujourd’hui publié et a donné lieu à un moment de formation pour les médiateurs de dettes afin de mieux les outiller au soutien à la parentalité dans le cadre de leur travail.

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 «Tu vois, ce sont des ronds de carotte. Regarde bien : on dirait des petites pièces de monnaie. Des pièces de monnaie qui ne valent pas grand-chose… c’est une expression qu’on utilise pour dire qu’on n’a pas beaucoup d’argent dans son portefeuille. Et je voulais te dire que c’est un peu le cas de ton papa ces temps-ci : c’est difficile pour lui de payer toutes les factures. (…) Pour cela ton papa travaille beaucoup, plus que d’habitude. Mais cela ne suffit pas. Il a dû vendre certains objets de la maison pour pouvoir payer les factures. (…) Et mon doudou, il ne va quand même pas le vendre? Rassure-toi, cela va beaucoup mieux, tu sais! On ne fera jamais cela, mon grand.»

 Dans le recueil Des contes plein les poches, on croise Karl, son papa et son doudou, mais aussi Jules le lapin de grande classe qui a perdu sa redingote et… son emploi, et qui n’ose pas en parler chez lui, Madame Souris, qui se sent toute petite parce qu’elle ne gagne pas beaucoup d’argent, Luc le lutin, bien qu’il ne puisse plus payer ses dettes parce qu’il a voulu trop gâter ses enfants et qui travaille tellement pour rembourser qu’il tombe malade…

Cela fait deux ans que le GAS travaillait à l’élaboration d’un recueil de contes dans le cadre du projet européen «Atelier transfrontalier de lutte contre le surendettement» dont l’objectif est de développer de nouvelles pistes de prévention et d’accompagnement des personnes en situation de surendettement. L’objectif de cette publication : susciter du dialogue entre parents et enfants au sein d’une famille, lorsque celle-ci est confrontée à des difficultés financières. Comme nous l’expliquait Geneviève Laroche, psychologue attachée au GAS, dans notre dossier de mars 2013 «Surendettement des parents : et les enfants dans tout ça?»[1], «notre souhait c’est de permettre aux parents et aux enfants de s’approprier les récits de ce livre de contes comme autant de métaphores de leurs difficultés par rapport à la culpabilité, la honte de vivre des problèmes d’argent ou encore le fait de devoir postposer ou annuler certains achats ou certaines dépenses».

Un prétexte au dialogue

Le recueil est aujourd’hui une réalité tangible : Stéphane Van Hoecke, conteur, a travaillé sur la base d’un brainstorming effectué à partir des réactions rencontrées chez les parents suivis en médiation de dettes par le GAS. Il explique dans l’avant-propos de la publication : «Il fallait éviter de tomber dans le piège du «téléphoné», de la caricature, du coup de baguette magique également. Avoir des dettes n’a rien de honteux. Des événements extérieurs indépendants de nous peuvent nous entraîner dans une spirale d’épreuves qui peuvent aller très loin. Sur le chemin souvent embrumé par les circonstances de la vie, le conte offre un espace où chacun, quel que soit son âge, peut respirer, souffler, ouvrir les yeux, marcher, chercher, trouver, rencontrer, s’arrêter, partager et se retrouver. (…) Les personnages de l’histoire font leur travail, discret, caché, par le plaisir qu’ils donnent à celui qui lit ou entend le conte. Les personnes – parents, médiateurs – qui tiennent le livre peuvent prolonger à leur façon, par leurs mots, l’histoire de leur vie d’ici et d’aujourd’hui.»

Soutenus par les illustrations d’Alexandra Collin, les récits ont en effet pour vocation de permettre aux parents d’entrer en communication avec leurs enfants sur ces sujets difficiles que sont les problèmes financiers au sein des ménages et dépasser ainsi les blocages existants. Non pas en parlant d’emblée de leur situation, mais en empruntant les pas des protagonistes de ces contes, qui, chacun à leur manière, abordent la question des besoins et des envies, des différences vécues par les enfants par rapport à d’autres familles, des tensions liées aux difficultés financières, de la honte, de la peur aussi vécue par chaque membre de la famille, chacun à son niveau… Comme le souligne l’illustratrice, «lire des histoires à son enfant est très important pour diverses raisons, notamment pour aider parfois à faire passer un message».

Se former au soutien à la parentalité

Le recueil a été distribué aux dix CPAS conventionnés au sein du GAS, association Chapitre XII, ainsi qu’aux 17 travailleurs sociaux qui ont participé à la demi-journée de formation qui s’est déroulée le 30 mars dernier. Le but de cette matinée : les outiller afin de mieux assister les parents qui ont du mal à évoquer leurs difficultés financières avec leurs enfants.

Cette journée a été l’occasion de présenter le recueil de contes et d’envisager avec les médiateurs de dettes quel usage ils pourront faire de cet outil. Selon Geneviève Laroche et sa collègue Catherine Moïse, elle aussi psychologues au GAS, «le but n’est pas forcément de diffuser cette publication de manière large, mais d’expliquer aux médiateurs comment l’utiliser, en faire un objet qui circule dans les familles. En fonction des difficultés, des situations des parents, l’un ou l’autre conte pourra être mis en avant. Le placer dans la salle d’attente, en faire des photocopies pour une diffusion plus large, le prêter pour créer du lien sont autant de pistes pour faire vivre cet outil. Il faut maintenant qu’un travail d’appropriation s’effectue. Ce peut aussi être le cas dans le cadre des groupes d’appui de prévention du surendettement (GAPS)».

La formation a aussi permis à Geneviève Laroche et Catherine Moïse d’inscrire l’utilisation du recueil de contes dans une démarche professionnelle plus large en termes de soutien à la parentalité : il s’agissait de former les travailleurs sociaux présents à la question de la parentalité et de leur faire prendre conscience des différents axes qu’elle recouvre, à savoir l’axe de l’exercice juridique de cette parentalité en termes de droits et de devoirs, celui de l’expérience liée à la question de l’attachement, du lien, du ressenti et l’axe pratique qui s’attache à l’éducation, la socialisation et les soins. «Que ce soit sur le plan institutionnel, émotionnel ou éducationnel, la parentalité est évidemment influencée par le contexte socio-économique, affectif et culturel de la famille. Dès lors il faut en tenir compte. Mais il faut aussi et surtout se baser sur les compétences des familles en valorisant celles-ci, en restaurant les parents dans leur rôle et non en cherchant à se substituer à eux ou à leur imposer nos propres valeurs.»

Une attitude qui demande une prise de distance tant dans le chef des parents pour positiver ce qu’ils peuvent apporter à leurs enfants que dans celui des médiateurs qui sont plutôt là comme catalyseurs des compétences existantes.

N. Cobbaut

 

Pour plus d’infos

Pour recevoir de plus amples informations sur le recueil de contes, il est conseillé de prendre contact par mail avec le service prévention du GAS, soit à l’adresse : prevention@gaslux.be

[1] Échos du crédit et de l’endettement, n°37, p. 20.