Le contexte

Dans l’accord de gouvernement De Croo du 30 septembre 2020, il était annoncé que le règlement collectif de dettes serait évalué et réformé si nécessaire. Jusqu’ici rien ne filtre à ce propos si ce n’est peut-être l’aménagement d’un chapitre dans le Code de droit économique consacré à la dette qui inclurait le RCD ainsi que le recouvrement amiable réformé ou encore une procédure de médiation de dettes amiable amendée. Dans le même temps, le secteur de la médiation de dettes s’inquiète de la chute des dossiers de traitement du surendettement, tant amiable que judiciaire (voir article p. 8 à 11). Côté RCD, les procédures sont en chute libre depuis 2015. Est-ce à dire que le budget des ménages se porte mieux ou plutôt que la procédure n’est plus adaptée aux réalités des médiés?

En 2018, la loi sur le règlement collectif de dettes fêtait ses 20 années d’existence. Elle a été modifiée par le passé, mais les réformes apportées à cette législation ont été parcellaires. Elles n’ont dès lors pas répondu à des critiques adressées à ce dispositif, telles que le défaut d’information des «candidats» à l’entrée de cette procédure, son inefficacité face à l’insuffisance structurelle de ressources dans le chef du médié, le caractère trop formaliste de cette procédure, la diversité de traitements selon les tribunaux et/ou les médiateurs judiciaires ou encore la proportion de rechutes à la suite d’une première procédure. Étant donné la mention d’une telle réforme dans l’accord de gouvernement, il s’agissait donc de se pencher sur les lacunes de la loi, d’interroger les acteurs de terrain sur la pertinence de ce dispositif et de remédier aux défauts qui la traversent. Une enquête a été menée par le SPF Économie ainsi que par le Conseil supérieur de la justice (CSJ). Réalisée dans le courant de l’année 2021, les résultats de l’enquête du SPF Économie restent à ce jour inaccessibles. Quant à l’avis du Conseil supérieur de la justice, il a enfin été publié, ce qui nous permet de vous en livrer un résumé (voir pages 15 à 18).

Dans une réponse à une question posée au ministre de l’Économie, Pierre-Yves Dermagne, à propos du RCD par la parlementaire fédérale Melissa Depraetere (Vooruit) en 2021, le ministre avait répondu que «la modernisation de la loi du 5 juillet 1998 sera incluse dans ce projet de réforme. Mon intention est de finaliser un projet de loi dans le courant du second semestre 2022. Ce projet de loi vise à introduire un nouveau livre dans le Code de droit économique entièrement consacré à tous ces aspects de l’endettement et du surendettement»[1]. À ce jour, on n’y est pas et on est pourtant déjà en 2023, à un an des élections législatives…

Des mises en cause diverses et variées

Pourtant les recommandations du secteur de la médiation de dettes ainsi que des associations de lutte contre la pauvreté pour améliorer la procédure en RCD sont légion.

Un document de l’Observatoire du crédit et de l’endettement revenait déjà sur les points de réforme à engranger à propos du RCD. Les recommandations portaient sur la prévention du surendettement, et notamment l’évaluation des campagnes et l’information du débiteur à propos de la procédure. Autres points soulevés: l’accompagnement social du médié au cours de la procédure et à la fin de celle-ci pour éviter les rechutes, le traitement rapide des litiges entre débiteurs et médiateurs de dettes, la sanction pour un défaut de communication du listing bancaire et du rapport annuel, la possibilité de modulation de la sanction de révocation pour cinq ans par le juge ou encore la révision de la tarification des honoraires du médiateur[2].

Le Réseau belge de lutte contre la pauvreté (BAPN) avait lui aussi publié un document évaluatif du RCD[3] en 2020, qui inclut une identification des problèmes avec les concours des usagers et des recommandations. La publication met l’accent sur le fait que les personnes qui envisagent le RCD ne sont pas assez informées au début de la procédure, ainsi que de l’état des lieux de leur dossier. Ils ont trop peu leur mot à dire et ne sont pas assez impliqués dans les prises de décision importantes. Le BAPN relève le manque de formation des avocates et avocats médiateurs judiciaires, notamment sur le plan psychosocial (malgré que la loi prévoie une telle formation), le manque de clarté dans la désignation de ces médiateurs et la difficulté pour les médiés qui rencontrent des problèmes avec leurs médiateurs d’être entendus, vu l’absence de procédure disciplinaire ou de médiation adéquate.

Un document reprenant les recommandations communes de l’Observatoire du crédit, du Steunpunt mens en samenleving (SAM), du Centre d’appui-Médiation de dettes bruxellois et du BAPN est actuellement en préparation et devrait être finalisé dans les prochaines semaines.

Des propositions de loi

Autres points problématiques: l’élaboration du budget et la détermination du pécule de médiation, laissé au médié. Selon le médiateur judiciaire, les montants laissés au ménage peuvent être sensiblement différents, ce qui aura pour conséquence de les faire mener, le cas échéant pendant sept années, une existence plus ou moins éloignée de la dignité humaine. Alors que la loi interdit de fixer comme minimum le montant du revenu d’intégration, augmenté des allocations familiales, il arrive que des pécules de médiation soient déterminés en deçà de ce montant, rendant l’existence des personnes en RCD extrêmement pénible.

À cet égard, des propositions de loi ont été récemment déposées devant la Chambre des représentants visant à objectiver davantage les budgets laissés aux médiés. En février 2022, une proposition de loi déposée par Melissa Depraetere et consorts (Vooruit)[4] préconisait d’utiliser les budgets de référence établis par le CEBUD[5], comme étant des seuils pour calculer le pécule, afin de dépasser la subjectivité inhérente à sa détermination. Un des arguments de la parlementaire reposait sur le nombre de révocations (17,6% des procédures) et de révisions des plans (2,4%), soit presque un dossier de RCD sur cinq arrêté ou réaménagé en cours de route, notamment en raison de budgets trop étriqués. Cette proposition de loi n’a pas rencontré d’approbation suffisante et n’a donc pas été votée.

Autre proposition déposée très récemment par les parlementaires Ahmed Laaouej et consorts (PS) devant la Chambre des représentants. Le texte pointe que le recours au RCD est en nette diminution, à cause d’une mauvaise image au sein de la population. Les auteurs proposent donc de mieux adapter le pécule du débiteur à sa réalité vécue et renvoient également aux budgets de référence. Ils envisagent d’imposer une réaction rapide du médiateur judiciaire quand la situation financière du médié change et qu’il faut adapter le pécule. Les auteurs envisagent également de réduire la durée maximale du RCD à cinq ans pour les plans amiables et à trois ans pour les plans judiciaires. La séance en commission a donné lieu à des débats intéressants entre acteurs de terrain et parlementaires[6] et a mis en lumière les conditions de vie de personnes en RCD qui n’ont rien d’enviable.

La mauvaise réputation

Les auteurs de cette proposition PS l’ont souligné dans les développements du texte, mais cela ressort également des témoignages du secteur de la médiation de dettes ainsi que d’ex-médiés de la procédure, les personnes surendettées se détourneraient du RCD car trop éprouvant: «Être débiteur en procédure de médiation de dettes est une épreuve qui impose des renoncements, un changement parfois radical de mode de vie. L’expérience du terrain a donc rattrapé les croyances initiales et cette mauvaise publicité a constitué un obstacle pour certains, qui les a empêchés d’y recourir. D’autant plus que les témoignages de nombreux médiés évoquent également la rigidité de la procédure […] Pourtant, un RCD mené intelligemment et qui aboutit positivement constitue une fondation solide qui peut permettre au citoyen de redémarrer dans la vie sans être hanté par le passé. Il est donc essentiel que le RCD redevienne un outil intéressant réellement utilisé pour celles et ceux qui se retrouvent dans une situation exsangue sur le plan financier[7]

Enfin peut-être aussi l’autocensure que pratiquent les médiatrices et médiateurs de dettes des SMD joue-t-elle aussi un rôle dans la chute du nombre de RCD. Des rencontres et des interviews de médiateur(trice)s, à Bruxelles et en Wallonie, il ressort que, dans un certain nombre de cas, ces derniers dissuadent les personnes surendettées à introduire des requêtes, alors même que les situations des médiés ne sont pas contraires aux conditions d’admissibilité. Pas de disponible pour le paiement des dettes, assuétudes, problèmes de santé mentale, budgets en déséquilibre… sont quelques-unes des raisons qui poussent les travailleurs sociaux à conseiller de ne pas s’engager dans cette voie. Mais sans doute est-ce leur expérience qui les incite à une telle attitude…

N. Cobbaut

[1] Doc. parlementaires, bulletin QRVA 063, Questions-réponses 0385 – législature 55, p. 55 – https://www.lachambre.be/QRVA/pdf/55/55K0063.pdf.

[2] Pour consulter cet avis: https://observatoire-credit.be/storage/1978/Avis-RCD.pdf.

[3] Judith Tobac, Sortir de l’endettement. Le règlement collectif de dettes: problèmes et solutions pour et par les personnes en situation de pauvreté, BAPN, 2020. Pour prendre connaissance de ce document: https://bit.ly/3l0KPKC.

[4] https://cutt.ly/LKesVkg.

[5] Pour en savoir plus: http://www.budgetsdereference.be.

[6] Pour prendre connaissance de la proposition: https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/2679/55K2679001.pdf; pour visionner la séance à la Chambre des représentants: https://www.lachambre.be/media/index.html?language=fr&sid=55U3694.

[7] Proposition de loi modifiant le Code judiciaire, visant à favoriser le recours au RCD, doc. 2679/001, Ch. Parl., p. 3.

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