Le recouvrement amiable, sur le métier

Ce n’est pas la première fois que des textes visant à réformer le recouvrement amiable de dettes sont déposés à la Chambre. Mais trouver un accord entre les membres d’un gouvernement composé de sept partis sur un tel sujet n’avait rien d’évident. Pourtant c’est chose faite depuis le 28 octobre en Conseil des ministres. Après l’avis du Conseil d’État, le Parlement devrait avaliser le projet. Avec plus ou moins d’amendements.

 Lutter contre l’endettement excessif des individus et l’effet boule de neige causé par les frais et autres indemnités liés au recouvrement de la dette était une volonté inscrite dans le programme du gouvernement Vivaldi. Déjà en mars 2020, quelques mois avant l’entrée en fonction du gouvernement De Croo, une proposition de loi déposée par le PS, le sp.a et le CD&V avait été adoptée par la commission de l’Économie, de la Protection des consommateurs et de l’Agenda numérique, mais n’avait finalement pas poursuivi sa route jusqu’au vote en plénière. Elle prévoyait déjà des plafonds pour les frais relatifs à des dettes qui n’ont pas été payées dans les temps, un délai de paiement, un rappel gratuit par contrat ou encore l’interdiction de faire usage des signes représentatifs de leur profession, notamment pour les recouvreurs de dettes ayant la qualité d’huissiers de justice.

Le 28 octobre dernier, le Conseil des ministres a donné son feu vert à un avant-projet de loi sur cette matière. Il a ensuite été examiné par le Conseil d’État dont l’avis était attendu pour la mi-décembre et sera ensuite déposé en bonne et due forme à la Chambre des représentants pour un examen par les parlementaires. Le projet de loi prévoit de créer un nouveau livre XIX «Dettes du consommateur» dans le Code de droit économique.

Des frais limités

 Le texte négocié entre les membres du gouvernement prévoit l’encadrement et le plafonnement des clauses indemnitaires, soit les clauses qui permettent à un créancier de prévoir qu’en cas de retard de paiement, il pourra réclamer un intérêt de retard ou une indemnité forfaitaire. Les clauses pénales s’appelleront désormais les clauses indemnitaires.

Une entreprise, dans une acception la plus large possible de façon à intégrer les parkings ou les hôpitaux, ne pourra plus prévoir de clauses indemnitaires au-delà des maxima fixés dans le projet de loi. Celles-ci seront strictement encadrées et plafonnées. Par exemple, pour une dette de maximum 150 euros, on ne paiera plus que 20 euros au maximum à titre d’indemnité ou un intérêt de retard de 8% au maximum. Aujourd’hui cela peut aller jusqu’à 50 euros d’indemnité forfaitaire et 12% d’intérêts de retard.

Il y a également une obligation pour les entreprises d’adresser un premier rappel gratuit avant de pouvoir réclamer l’exécution de cette clause indemnitaire. Pour les contrats à prestations successives, une limite de trois rappels gratuits pour trois échéances impayées par an est prévue. Le rappel fait courir un délai de 14 jours endéans lesquels les consommateurs pourront régulariser leur situation sans être sanctionnés. Au-delà, les pénalités de retard pourront être réclamées.

Des dispositions qui cadrent l’activité de recouvreur de dettes

 Le projet de loi prévoit aussi la révision de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable de dettes par son intégration dans le nouveau livre XIX du Code de droit économique. Les obligations à charge des recouvreurs de dettes devraient être renforcées.

Par ailleurs, comme c’était déjà le cas pour les sociétés privées de recouvrement de créances, les huissiers de justice et les notaires qui font du recouvrement amiable seront soumis au contrôle de l’Inspection économique.

Enfin, de nouveaux effets seront attachés à la mise en demeure émanant d’un recouvreur professionnel et qui est un préalable à toute activité de recouvrement amiable, avec la suspension de toute mesure en lien avec ce recouvrement si le consommateur a demandé un plan d’apurement, conteste la dette, fait appel à un médiateur de dettes ou introduit un règlement collectif de dettes.

Des réactions en sens divers

 Si évidemment les acteurs sociaux et les milieux actifs dans la lutte contre le surendettement se réjouissent de cette prochaine avancée dans le domaine du recouvrement amiable, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), par exemple, n’est certainement pas du même avis. Dans une publication sur son site internet, la FEB estime que «protéger le consommateur en ciblant les excès est une chose, mais qu’en est-il de l’entreprise? […] Les conséquences négatives au niveau du cashflow sont négligées. Les plafonds des indemnités sont manifestement inférieurs au coût effectif du recouvrement de dettes. Qu’en est-il de la liberté d’entreprendre dans un tel régime général? Qu’en est-il du rapport entre le but et les moyens (proportionnalité)? […] Plus généralement, il est à déplorer qu’en cette période déjà difficile, les entreprises soient confrontées à un nouvel obstacle qui les empêche d’obtenir ce à quoi elles ont droit, à savoir le paiement de leurs créances»[1].

De leur côté, les huissiers de justice se réjouissent du plafonnement des frais qu’un créancier peut porter en compte au consommateur en cas de factures impayées, de la sécurité juridique accrue, de la réponse aux lacunes législatives par rapport aux conditions générales dans les contrats (intérêts et clauses pénales). Quentin Debray, président de la Chambre nationale, donne aussi son accord sans réserve par rapport au contrôle de l’huissier de justice par le SPF Économie. Mais peut-être l’espoir de voir adopter un texte législatif sur l’extension de la procédure de recouvrement des créances non contestées aux relations entre une entreprise et un consommateur (B2C) (voir le dossier du numéro 75 des ECE) leur permettrait de récupérer une bonne partie du marché juteux du recouvrement amiable, sans plus avoir recours à ce dernier.

Nathalie Cobbaut

 

D’autres projets de loi
relatifs au statut et à la discipline des huissiers

Le 17 novembre dernier, un autre projet de loi a été déposé à la Chambre visant à apporter des modifications au statut des huissiers de justice1. Ce projet concerne notamment l’introduction d’une limite d’âge pour l’exercice de la fonction d’huissier de justice à 70 ans (alors qu’auparavant ils étaient nommés à vie), la modernisation des procédures de nomination des huissiers de justice, notamment en y apportant plus de transparence ou via la composition et le fonctionnement du conseil des chambres d’arrondissement et de la Chambre nationale. Autre point d’attention de ce projet de loi: l’élargissement et l’amélioration du Fichier central des avis de saisie (FCA), pour une politique plus efficace, responsable et humaine de recouvrement. L’article 1389 bis/2 du Code judiciaire stipule que la Chambre nationale des huissiers de justice est chargée du traitement des données à caractère personnel, ainsi que du contrôle de l’utilisation du Fichier des avis de saisie. La finalité du FCA sera également inscrite dans le Code judiciaire, soit permettre aux personnes qui y sont légalement habilitées et dont la mission de service public le requiert, de prendre connaissance de l’état des procédures d’exécution forcée à l’encontre d’une personne ainsi que de l’état du surendettement d’une personne et des procédures de désendettement dans lesquelles elle est déjà intégrée.

Autre projet de loi, en date du 14 septembre 2022, introduisant un conseil de discipline pour les notaires et les huissiers de justice dans le Code judiciaire. Il s’agit d’une réforme fondamentale du droit disciplinaire de ces professions. Il est proposé d’instaurer un conseil de discipline unique pour les deux acteurs de la justice ayant un statut de fonctionnaire public. Ce tribunal se voit attribuer la compétence sur l’intégralité de l’arsenal de peines disciplinaires, en ce compris la suspension et la destitution. Il s’agit d’un conseil disciplinaire national, comprenant une chambre francophone et une chambre néerlandophone composée d’un magistrat et de deux assesseurs. Un auditorat sera également instauré.

 N.C.

[1] https://www.feb.be/domaines-daction/droit–justice/droit-de-la-consommation/dettes-du-consommateur-une-situation-couteuse-pour-lentreprise_2022-11-09/

https://www.lachambre.be/flwb/pdf/55/2994/55K2994001.pdf