Dossier Crédit hypothécaire : Les Belges ont-ils une brique sur le ventre ?

Introduction

Les observateurs commentant le marché du crédit aux particuliers ont tendance à se focaliser sur le crédit à la consommation et, parfois, à complètement taire les évolutions propres au crédit hypothécaire. Ce choix est certainement à mettre en lien avec deux idées reçues. Celle selon laquelle le crédit à la consommation est souvent considéré comme « plus dangereux » que le crédit hypothécaire. Ensuite, aux yeux de l’opinion publique, les achats financés à l’aide du crédit à la consommation apparaissent souvent « moins légitimes » que l’investissement dans l’immobilier. Or il nous semble essentiel d’attacher plus d’importance au crédit hypothécaire, à ses évolutions ainsi qu’à toutes les législations pouvant l’affecter car ce type de crédit affecte plus l’économie et les ménages qu’on ne pourrait le croire.

La loi du 4 août 1992 et ses arrêtés d’exécution

La loi sur le crédit hypothécaire (LCH) est une législation d’importance et pourtant relativement méconnue. Le cadre juridique pour ce produit bancaire et celui qui régit le crédit à la consommation diffèrent pour des raisons historiques, mais aussi idéologiques. Comparaison des régimes juridiques à l’égard de certains points de la réglementation.

La publicité et le démarchage pour du crédit

Suivant la LCH1, toute publicité pour le crédit hypothécaire doit mentionner les coordonnées du prêteur et de l’intermédiaire de crédit si elle émane de celui-ci. Lorsque la publicité comporte des données chiffrées, elle doit renseigner sur le type de crédit auquel elles se rapportent, les conditions particulières ou restrictives qui les assortissent ou d’autres éléments qu’elles contiennent. En particulier, lorsqu’elles comportent un taux d’intérêt, le taux d’intérêt annuel doit être indiqué.

Le contenu minimal des publicités pour le crédit à la consommation et qui mentionnent un taux d’intérêt ou des chiffres liés au coût du crédit a été profondément revu pour se conformer à la directive 2008/48/CE. Les informations à transmettre sont plus étoffées. Par ailleurs, la présentation visuelle de certaines informations (la grandeur des caractères utilisés) est désormais réglementée. En outre, la LCC2 se distingue de la LCH en ce qu’elle interdit des types bien précis de publicité susceptibles d’induire le consommateur en erreur ou de lui dissimuler que sa solvabilité devra être vérifiée en toute hypothèse. Enfin, la LCC prohibe ou réglemente plusieurs formes de démarchage au domicile ou sur le lieu de travail du consommateur, à distance ou à l’occasion de certains voyages « organisés ».

L’information à fournir avant la conclusion du contrat de crédit

Les médias choisis par la LCH pour que le consommateur puisse contracter le crédit en connaissance de cause sont le prospectus, le formulaire de demande et l’offre de crédit.

-Le prospectus vise à donner une information générale : il doit décrire les différentes formules de crédit, les taux d’intérêt périodiques (mensuels par exemple) qui leur sont applicables et les taux annuels correspondants. Les réductions et majorations de taux habituellement accordées ou imposées et les conditions auxquelles elles sont soumises doivent également être détaillées, tout comme les modalités de variation de taux et les indices de référence dont l’évolution déterminera ces variations. Il reprend aussi les montants de frais et indemnités, un exemple représentatif du montant total à payer par type de crédit, ainsi que la nature des contrats qui doivent être conclus en même temps que le crédit (une assurance par exemple). Ce prospectus doit être mis à la disposition des candidats emprunteurs (sièges, agences, site) et les intermédiaires de crédit doivent disposer du prospectus propre à chaque prêteur auprès duquel ils sollicitent des crédits.

– Le formulaire de demande fournit aux consommateurs certaines informations de manière plus individualisée. Il doit en effet non seulement faire référence au prospectus (en indiquant le lieu où on peut se le procurer), mais aussi préciser le montant des frais qui seront effectivement réclamés. À défaut d’y avoir été mentionné, le paiement de frais de dossier ou d’expertise (du bien hypothéqué) ne peut être exigé par le prêteur. Le formulaire comporte en principe des informations sur la situation familiale et professionnelle du candidat emprunteur, ses revenus, ses charges et ses dettes. Lorsqu’il s’agit d’un crédit avec reconstitution de capital par le biais d’une assurance-vie de la branche 23 (fonds d’investissement), le candidat emprunteur devra attester en annexe au formulaire de demande qu’il est parfaitement conscient des risques que présente ce produit.

– L’offre doit reprendre toutes les conditions du futur contrat, y compris le cahier des charges (conditions générales), mentionner la durée de sa validité et être accompagnée d’un tableau d’amortissement.

Depuis son adoption, la LCC a eu recours à divers systèmes d’information du candidat emprunteur par le prêteur et la plupart des intermédiaires de crédit : l’offre de contracter, le prospectus et, actuellement, les « informations européennes normalisées ». Ce dernier est un document uniforme pour toute l’Union européenne. Il est constitué d’informations personnalisées suivant les clauses et conditions du crédit proposé par le professionnel et les préférences et les informations communiquées par le consommateur. Ainsi doivent être déterminés le montant et la durée du crédit, le bien ou le service éventuellement financé par celui-ci, le nombre et la périodicité des paiements à effectuer par l’emprunteur, les garanties exigées par le prêteur… Par ailleurs, un certain nombre de droits dont bénéficie l’emprunteur doivent être rappelés. Le volume des informations à transmettre est moins important lorsque le crédit est sollicité par téléphone ou pour certaines ouvertures de crédit.

Les informations doivent être fournies avant la signature du contrat de crédit, hormis dans l’hypothèse où ce dernier est conclu, à la demande de l’emprunteur, en utilisant un moyen de communication à distance (courrier postal, téléphone, fax, courriel).

Quelques statistiques

En premier lieu, le nombre de crédits hypothécaires octroyés en 2011 s’élevait à 402.271 unités contre respectivement 290.421 unités et 350.398 unités en 2009 et 2010. Cette évolution à la hausse du nombre de crédits hypothécaires octroyés est à mettre en lien avec les faibles taux d’intérêt actuellement pratiqués sur le marché du crédit.

En second lieu, le crédit hypothécaire est loin d’être une réalité économique négligeable pour les ménages. Fin 2011, ce type de crédit concernait 32,5% des majeurs belges alors que l’encours moyen des contrats octroyés cette année s’élevait à 83 630 euros. Ensuite, l’endettement en crédit hypothécaire correspond à approximativement 80% de l’encours total de crédits aux particuliers. Enfin, au vu de la durée de remboursement (plus de 15 ans pour 55,3% des crédits octroyés en 2011), les engagements financiers qui leur sont liés pèsent lourdement et pour de nombreuses années sur le budget des ménages.

En troisième lieu, le crédit hypothécaire est, comme nous pouvons nous en douter, étroitement lié au marché de l’immobilier. Pour la plupart des ménages, ce type de crédit est le seul moyen de recourir à la propriété. Or, à côté des habituels livrets d’épargne détenus auprès des établissements bancaires, l’immobilier est le seul actif composant le patrimoine de la plupart des ménages. En Belgique, le pourcentage des immeubles occupés par leur propriétaire est proche de 70%.

Le crédit hypothécaire apparaît donc de première importance pour les ménages. Mais quels sont les affectations des contrats de crédit hypothécaire ? Que financent-ils ? 38,4% des contrats octroyés en 2011 étaient destinés à l’achat d’un bien (éventuellement avec transformation), 40,8% des contrats finançaient des transformations alors que 10,7% des contrats étaient destinés à la construction. Les refinancements ne concernent que 6% des contrats octroyés en 2011 (données UPC).

Romain Duvivier,

économiste OCE

La durée et le coût du crédit

La LCH ne connaît qu’une seule figure exprimant le coût du crédit, à savoir le taux d’intérêt débiteur. Il est périodique (généralement mensuel), n’est pas « globalisant » (il ne prend pas en compte les divers frais) et son calcul – suivant une formule que précise la réglementation – ne doit pas être actuariel. Les intérêts doivent être calculés sur le solde restant dû en capital après chaque période et non sur ce solde restant dû au terme d’une année entière. Le prêteur peut accorder une réduction du taux d’intérêt à titre de geste commercial ; par contre, il est exclu qu’il accorde ce geste sous forme d’une ristourne, soit le remboursement à l’emprunteur d’une partie des intérêts qu’il paie après chaque période.

Par contre, les catégories de frais sont limitativement énumérées : il ne peut s’agir que de frais d’expertise ou de dossier, des frais légaux relatifs à l’hypothèque, de frais de mise à disposition des fonds (lorsque le montant prêté n’est pas libéré totalement et immédiatement après la conclusion du contrat de crédit) et de l’indemnité de réemploi (en cas de remboursement anticipé volontaire).

Il peut y avoir plusieurs taux d’intérêt pour un même crédit. À l’instar de ce que prévoit la LCC, le taux peut être fixe ou variable et le contrat peut donc prévoir une combinaison de taux fixes, fixes et variables et variables. La variabilité des taux est encadrée par les dispositions de la LCH. La variation doit pouvoir se faire tant à la hausse qu’à la baisse ; elle se fait par référence à l’évolution d’un indice de référence déterminé, à l’intérieur d’un écart que le contrat de crédit doit préciser4 et au terme de périodes déterminées qui ne peuvent être inférieures à un an. Les conditions, époques, modalités et procédures de variation ainsi que le ou les indices de référence doivent être mentionnés dans le contrat de crédit.

Dans le cadre de la LCC, le coût du crédit comprend tous les coûts liés directement ou indirectement au crédit (intérêts débiteurs, commissions, taxes, frais d’enquête, de dossier et de consultation de fichiers, frais de tenue d’un compte dans certains cas et primes d’assurances) à l’exception de ceux dus en cas de défaut de paiement par le consommateur et des frais liés à l’achat des biens ou des services financés – autres que le prix) et s’exprime par le taux annuel effectif global (TAEG) calculé selon la méthode actuarielle3 et selon une formule unique pour l’ensemble de l’Union européenne. De surcroît, il est plafonné, avec différents maxima correspondant aux formes de crédit à la consommation et à certaines tranches de montant emprunté. La durée du contrat est également limitée.

Les intermédiaires de crédit

Les dispositions encadrant l’activité des courtiers pratiquant le crédit hypothécaire sont très sommaires. Ainsi, les courtiers doivent mentionner leurs nom et adresse sur toute publicité relative à ce type de crédit et ne peuvent se faire rémunérer directement ou indirectement par l’emprunteur. Le non-respect de ces obligations est sanctionné pénalement. La LCH permet cependant de définir par arrêté royal un véritable corps de textes qui préciserait les obligations des courtiers et la manière dont elles seraient contrôlées et sanctionnées, notamment l’utilisation d’un taux actuariel.

Par contre, un tel corps de texte figure dans la LCC. En effet, le courtier pratiquant le crédit à la consommation doit respecter toute une série d’obligations en matière de publicité, d’information du candidat emprunteur, concernant la communication à tous les prêteurs démarchés des crédits demandés et obtenus. Il ne peut fractionner une demande de crédit pour pallier le manque de ressources du candidat emprunteur, ne peut pas non plus contraindre ce dernier à affecter le montant prêté à la constitution d’une garantie, d’un dépôt ou à l’achat de fonds et ne peut pas recevoir des commissions directement du consommateur.

Didier Noël,

coordinateur scientifique OCE

Attention aux produits financiers liés

Les candidats emprunteurs se voient souvent offrir une réduction du taux d’intérêt de leur prêt hypothécaire à condition de souscrire auprès du prêteur un ou des produits annexe((généralement une assurance-solde restant dû, une assurance habitation) et/ou disposer dans le même établissement d’un compte à vue sur lequel sont domiciliés ses revenus. Trop souvent, le futur emprunteur a comme seul critère la recherche du taux le plus bas et il ne regarde pas ces conditions d’assez près. Il peut avoir grandement tort !

En effet, les conditions générales du prêt stipulent presque toujours que s’il est mis fin au contrat annexe, la diminution d’intérêts tombe. Dans ce cas, la liberté du client de changer d’assurance ou de compte à vue devient très théorique puisqu’elle aurait pour conséquence que le taux de son prêt augmente. Il n’est cependant pas rare que ces contrats annexes ne soient pas ou plus intéressants du tout ou que, suite à un sinistre, le client souhaite changer d’assureur et pourtant, … le voilà lié pour 15, 20 ou 30 ans! Parfois même, le coût élevé des produits annexes réduit à néant le taux avantageux du prêt.

Outre cet aspect économique, la question de la légalité de ces « offres conjointes » est controversée. La loi interdit la vente conjointe de produits dont un au moins est un produit financier (ce qui est le cas ici : les deux le sont). Par contre si cette association de produits a lieu dans le cadre de la négociation et non de l’offre, ce serait autorisé. Une faille dans laquelle les prêteurs s’engouffrent avec une certaine hypocrisie…

Deux améliorations pourraient être envisagées pour que le consommateur soit davantage protégé : clarifier la définition de l’offre conjointe pour qu’il ne soit plus possible de la contourner ou à l’instar du TAEG des crédits à la consommation, contraindre les prêteurs à afficher un taux « tout compris ».

Danièle Bovy,

juriste chez Test-Achats

Rester propriétaire envers et contre tout ?

On l’a vu, le nombre de crédits hypothécaires concédés par les prêteurs est assez élevé malgré la crise, et les montants de ces prêts pèsent relativement lourd dans le budget des ménages. Ce que l’on dit moins, c’est que le nombre de défaillances pour ce type de crédits est lui aussi en augmentation. Que se passe-t-il en cas de difficultés financières d’un emprunteur hypothécaire ? Nous avons souhaité interroger différents acteurs à cet égard : services de médiation de dettes, prêteur, juge des saisies, médiateurs judiciaires, juge du travail.

L’Observatoire du crédit et de l’endettement le souligne dans son analyse des derniers chiffres de la Centrale des crédits aux particuliers et c’est connu : le crédit hypothécaire génère nettement moins de défaillances en chiffres absolus que le crédit à la consommation. À la fin de l’année 2011, seuls 1,08% du total des contrats de crédit hypothécaire étaient enregistrés pour un défaut de paiement contre respectivement 13,03% et 9,95% pour les prêts à tempérament et les ventes à tempérament. Ce qui fait généralement dire aux prêteurs qu’il s’agit là de quantités négligeables : c’est bien simple, dans le rapport annuel 2011 de l’Union professionnelle du crédit, la question n’est même pas abordée. Or, pour l’OCE, le crédit hypothécaire n’apparaît pas moins dangereux que les autres types de crédit dès lors que l’on considère les montants en jeu dans les défauts de paiement. Fin 2011, l’arriéré moyen par emprunteur défaillant s’élevait à 19.694 euros pour le crédit hypothécaire contre 5.594 euros pour le crédit à la consommation. Et de souligner que la récente crise a tout de même affecté le marché du crédit hypothécaire : entre 2008 et 2011, le nombre de contrats défaillants pour le crédit hypothécaire a augmenté de 15,72% contre 10,42% pour le crédit à la consommation.

Il nous semblait intéressant d’essayer d’appréhender ce phénomène des hausses des défaillances pour ce produit pour lequel 32,5 % de la population majeure sont enregistrés auprès de la Centrale positive. Tout comme les difficultés de payer ses crédits à la consommation lorsque l’on perd son emploi, que l’on divorce ou que l’on tombe malade sont avérées, il semble logique que ces événements soient également à l’origine de défauts de paiement pour ce qui est du crédit hypothécaire. Or l’on sait aussi que les propriétaires en difficulté font tout pour honorer les mensualités relatives à leur bien immobilier : l’achat d’une maison dans le chef de bien des ménages est considéré comme un des actes fondateurs de leur vie d’adulte. 78% des Belges, faut-il le rappeler, sont propriétaires. Dès lors, en cas de difficultés financières, conserver ce bien envers et contre tout et parfois de manière irraisonnée vu les sacrifices que cela implique est une tendance assez lourde.

Sauver les (im)meubles

Qu’en est-il en cas de défaut de paiement d’un crédit hypothécaire ? Nous avons contacté un prêteur, en l’occurrence Axa Banque, en la personne de Marc Dechèvre directeur du département Recouvrements. Celui-ci ne voit pas de hausse flagrante en termes de phase précontentieuse ou contentieuse en ce qui concerne les prêts hypothécaires chez Axa Banque et Belgium (environ 265 000 contrats) : il signale une hausse de 0,03% sur un an pour les crédits aux particuliers. Une augmentation qui est, selon lui, nettement plus flagrante dans le cadre des crédits professionnels. Son département gère tout de même une vingtaine de dossiers par mois en phase précontentieuse. « Dans cette phase, après les lettres d’usage, on essaie de trouver un plan de remboursement avec le client et l’on estime que la situation doit se régler endéans les 9 mois. Ce délai de 9 mois, étant entendu comme le délai maximum laissé à l’emprunteur pour revenir à la normale dans ses paiements et les arriérés. Dans 75% des cas, la situation est régularisée et les choses ne vont pas plus loin. Pour les 25% restants, le dossier est envoyé devant le juge de saisies pour une tentative de conciliation (voir article « On nous écrit, on nous demande… » p.18 > 20) et sur ces 25%, seule une petite fraction des dossiers aboutit à une vente soit amiable, soit forcée. Celle-ci advient lorsque l’on n’arrive pas à concilier les points de vues lors de la tentative de conciliation ou si le jugement rendu par le juge des saisies qui prévoyait un aménagement des conditions de paiement n’est pas respecté. En cas de vente, le gré à gré est toujours préféré. Mais en cas de vente forcée, il faut voir si, dans ce cas, le dossier ne basculera pas vers le RCD. Là c’est généralement une mauvaise affaire pour nous car on récupère beaucoup moins lorsque cette procédure est enclenchée».

Toujours avec le dessein d’essayer d’y voir plus clair concernant les circonstances dans lesquelles les particuliers rencontrent des difficultés pour le paiement de leur crédit hypothécaire, nous avons interrogé Dominique Liénard, juge des saisies qui préside les audiences de tentatives de conciliation en matière de crédit hypothécaire auprès du tribunal de première instance de Liège. Celle-ci nous a donné son sentiment quant à la fréquence de ces audiences : « Je ne pense pas qu’il y ait davantage de procédures de conciliations obligatoires qu’il y a quelque temps. Il me semble même que notre greffe enregistre une stagnation, voire un tassement des demandes. 

Il ne faut pas nécessairement y voir le signe d’une baisse des difficultés des débiteurs. Dans les banques comme dans les assurances, il arrive que des compressions de personnel aient pour résultat que les gestionnaires restés en place sont débordés et ne peuvent plus faire face à la masse des dossiers à traiter… J’ignore bien entendu si tel est le cas. 

Ce que je peux dire, c’est que les emprunteurs sont nombreux à se présenter à l’audience. Sans que ceci ait valeur de statistique, je dirais qu’il me semble qu’un tiers des dossiers aboutit à une conciliation. Il faut ajouter de nombreux cas où les débiteurs ont décidé de vendre l’immeuble. Dans ce cas, on acte une non-conciliation, mais le créancier ne procède pas immédiatement à la saisie. Il attend de voir si le processus de réalisation se poursuit. 

En ce qui concerne les délais de paiement, il faut relever que les créanciers ont des attitudes très diverses. Certaines banques sont très ouvertes, comprennent la situation financière des personnes et acceptent des délais s’étalant parfois sur plusieurs années. D’autres sont bien plus figées. Il arrive que les avocats de ces banques aient un mandat ne reposant que sur le souhait de la banque d’être payée en six mois, sans aucune considération pour la situation concrète du dossier. 

J’avoue avoir du mal à comprendre le sens de cette attitude stéréotypée : même si les débiteurs mettent du temps à apurer l’arriéré, la banque compte évidemment des intérêts débiteurs de sorte qu’elle est « rémunérée » (et parfois largement) de sa patience. S’ils ne paient pas, la clause résolutoire joue et la banque peut reprendre la procédure d’exécution. Il est impossible d’obtenir une explication sur la cause de cette intransigeance, lorsqu’elle existe. Peut-être résulte-t-elle de la volonté d’un gestionnaire de clore un dossier plutôt que de le laisser ouvert. 

»

Du côté des médiateurs

On savait déjà de par les analyses de l’OCE relatives aux dossiers traités par les services de médiation de dettes en Région wallonne que les propriétaires faisant appel aux SMD sont assez peu représentés4. Dans le rapport d’évaluation 2010, il est mentionné 13,7% de propriétaires, dont 11,8 % de propriétaires avec crédit hypothécaire en cours. Des chiffres qui semblent correspondre à ce que nous disent les travailleurs de terrain que nous avons interrogés.

Selon Françoise Collin, juriste au Groupe Action Surendettement (GAS), après avoir consulté ses collègues médiatrices (qui travaillent en médiation amiable), il ressort que les crédits hypothécaires posent peu de problèmes. Déjà il n’y a pas beaucoup de dossiers où les personnes en difficulté sont propriétaires et si c’est le cas, les négociations se déroulent sans difficulté particulière. Il n’y a pas eu de dossiers avec une menace de saisie sérieuse d’actualité : soit les gens arrivent après la vente, soit les médiatrices trouvent un arrangement pour les retards de paiement, sans saisie. Pour ce qui est des procédures en RCD que le GAS suit également, Françoise Collin précise qu’« en général, on ne vend pas la maison, on la conserve car les mensualités du crédit hypothécaire sont dans la plupart des cas moindres qu’un loyer. Un changement de situation à cet égard (la recherche d’un nouveau logement, un déménagement) représente aussi beaucoup de frais. Enfin il faudrait aussi que la vente permette de couvrir les dettes, à tout le moins la dette hypothécaire qui sera remboursée de manière préférentielle. Cela dépend de l’avancement du prêt : s’il est récent, très peu de capital a déjà été remboursé. Qui plus est, bien souvent le prêt hypothécaire comportait aussi des montants pour réaliser des travaux qui n’ont pas été faits et dans ce cas, le produit de la vente est insuffisant ».

Confirmation auprès des SMD du CPAS de Liège et de Charleroi : ils voient passer très peu de dossiers dans lesquels les personnes surendettées sont propriétaires. Ce n’est pas le public « naturel » des CPAS qui ont surtout affaire à des bénéficiaires d’allocations sociales. Dans les rares dossiers où des propriétaires sont impliqués, les mensualités impayées ne sont en retard que d’une ou deux mensualités et un arrangement est trouvé avec le créancier hypothécaire.

Le sort de l’immeuble en RCD

Serait-ce alors dans le cadre de la procédure de RCD que les situations problématiques en matière de crédits hypothécaires se retrouvent ? De l’avis du juge du travail Christophe Bedoret (arrondissement judiciaire de Mons), là encore ces dossiers ne sont pas la majorité, mais la question du maintien ou non de l’immeuble dans le patrimoine, lorsqu’un tel immeuble y figure, est bien présente. Pour le juge Bedoret, « une première chose à constater, c’est que lorsque des dossiers avec un immeuble et un crédit hypothécaire arrivent en RCD, il y a toujours des défauts de paiement, des mensualités impayées et une tentative de conciliation a été menée devant le juge des saisies et n’a pas abouti à une solution durable et satisfaisante. Je remarque par ailleurs que dans 95% des cas , la décision de garder ou de ne pas garder l’immeuble s’impose d’elle même. Il me semble normal qu’il soit exceptionnel de conserver un immeuble quand le plan prévoit une remise de dettes en capital. C’est ce que le Code judiciaire prévoit. C’est souvent la vente de gré à gré qui est préférée avec l’accord du tribunal. Cela étant, on ne peut, à mon sens, forcer un médié à vendre son immeuble : on n’est pas dans la même situation que la faillite. Les termes du Code judiciaire en matière de RCD laissent cette latitude au médié que de décider de ne pas vendre, mais alors le juge peut estimer qu’il faut dans ce cas arrêter la procédure. J’ai déjà aussi autorisé à une seule reprise la souscription d’un prêt hypothécaire en cours de plan, mais c’était vraiment une situation exceptionnelle d’un locataire d’un logement social à qui la société de logement proposait de racheter l’immeuble occupé, moyennant une mensualité plus basse encore que le loyer. Pour résumer, quand il n’y a pas de remise en capital, l’immeuble est le plus souvent conservé et les mensualités, payées en tant que charges incompressibles. Avec la question qui se pose d’un avantage du créancier hypothécaire par rapport aux autres créanciers. »

Pour Manuelle Senecaut, avocate et médiatrice judiciaire, « ce qui est flagrant dans les dossiers que je suis amenée à traiter et où les personnes en RCD sont propriétaires, c’est leur volonté souvent farouche de garder leur maison à tout prix. Or la situation économique des ménages ne permet pas à tout le monde d’acheter. Mais c’est comme si c’était une question de vie ou de mort : être propriétaire fait partie de ce qu’ils considèrent comme mener une vie normale. Dès lors ils n’arrivent pas à passer l’éponge sur ce projet, parfois au prix de sacrifices extrêmement lourds en termes budgétaires et ce, au détriment de toute la famille et même de l’avenir des enfants (notamment sur le plan des études). Ils acceptent des plans très longs et très pesants au risque justement de ne pas tenir la distance et d’échouer finalement, ce qui se termine en fin de compte par une vente de leur immeuble. J’essaie de les raisonner, en espérant qu’ils vont prendre conscience qu’il vaut mieux vendre pour améliorer la situation. Être locataire et redevenir plus tard propriétaire (ou pas d’ailleurs) n’a rien d’infamant, mais ce n’est pas toujours possible d’arriver à cette prise de conscience. »

Nathalie Cobbaut

Quels risques en cas de défaut de paiement ?

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UE : une proposition de directive en vue

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1 Loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire.
2 Loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation.
3 Par contre, dans le cadre de la LCC revue à la lumière de la directive 2008/48/CE, le taux débiteur ne doit plus être calculé selon cette méthode.
4 Voir les rapports d’évaluation « Prévention et traitement du surendettement en Wallonie ».