Les jeunes et le règlement collectif de dettes

La procédure de règlement collectif de dettes peut connaître une jurisprudence particulière lorsque les requérants sont de jeunes gens ou de jeunes ménages. Cette jurisprudence se manifeste aux différents stades de la procédure.

Envisageons tout d’abord le stade de l’admissibilité de la demande de RCD. Dans une ordonnance du 19 novembre 2013 (RG n°13/40/B, inédit), le tribunal du travail d’Arlon refuse l’admissibilité à une jeune maman ayant deux filles et âgée de 27 ans et 9 mois. Il est vrai que la requérante avait déjà sollicité et obtenu un assainissement de sa situation dans le cadre d’une précédente procédure de règlement collectif. Le tribunal avait noté que l’endettement ayant amené à demander une nouvelle fois le bénéfice du règlement collectif était en réalité constitué par des engagements contractés au cours de l’ancienne procédure. La requérante avait précisé qu’elle s’était endettée sous la menace de son ancien compagnon et père de son second enfant.

Mais c’est son parcours scolaire et professionnel qui a motivé la décision du tribunal : la requérante n’avait finalement pu entamer les études dans le domaine artistique en raison des problèmes de santé de sa fille aînée, projet qu’elle avait évoqué lors de la précédente procédure; elle n’avait pas terminé une formation en bureautique offerte par le Forem et n’avait pas trouvé une autre formation à suivre; elle avait travaillé durant un temps très court pour l’agence locale pour l’emploi, ne travaillait plus au moment du dépôt de sa nouvelle demande de règlement collectif et avait répondu à une seule offre d’emploi; enfin, elle avait déménagé pour occuper un logement moyennant un loyer plus onéreux puisque celui-ci n’incluait plus la mise à disposition de nourriture, de la télévision et de la téléphonie contrairement à ce qui lui était offert dans son ancienne résidence.

Le tribunal a dès lors considéré que le mode de vie qu’avait choisi la requérante était incompatible avec une nouvelle demande de règlement collectif, laquelle, dans ces conditions, révélait une organisation d’insolvabilité. La requérante devait d’abord démontrer qu’elle entendait réellement travailler ou tenter de le faire et fournir au tribunal des « éléments traduisant de manière significative (c’est-à-dire dans la durée) sa volonté de désintéresser, fût-ce partiellement, ses créanciers ».

Des remises de dettes jugées prématurées

Le tribunal du travail de Charleroi a pour sa part été amené à se prononcer sur l’invitation du médiateur de dettes à faire bénéficier d’une remise totale de dettes deux jeunes mariés ayant trois enfants âgés de 5, 4 et 3 ans, dont les revenus n’étaient constitués que d’allocations de chômage et d’allocations familiales pour un montant mensuel total de 2.340 euros au maximum. Les charges courantes avaient été évaluées à un montant incompressible de 2.590,43 euros ou 2.740,43 euros en incluant dans le budget un poste pour les cigarettes et des frais pour des animaux domestiques. Les requérants n’étaient pas propriétaires d’un immeuble et avaient été autorisés à acheter une voiture d’occasion pour 2.600 euros. Leur endettement (résultant pour une part importante de crédits) s’élevait en principal à 40.844,51 euros.

Dans sa décision du 28 novembre 2013 (RG n°10/668/B, inédit), le tribunal a estimé qu’« il était prématuré d’octroyer une remise totale des dettes vu le jeune âge des médiés ». Il a en effet rappelé que le juge n’était pas contraint d’accorder cette mesure et qu’elle ne pouvait l’être que s’il était impossible d’arrêter un plan de règlement judiciaire comportant une remise partielle du capital. Or, il convenait en l’espèce, suivant le tribunal, de réduire le montant allégué des charges courantes, certains postes budgétaires pouvant et devant être rejetés ou réduits, sous peine, pour ces charges, d’être supérieures aux revenus et sous peine de voir les requérants contracter de nouvelles dettes. Par ailleurs, les requérants étaient invités à chercher un emploi à temps plein de telle sorte que leur situation devrait être revue lorsqu’ils en auraient trouvé. Enfin, les créanciers pouvaient bénéficier d’une indemnité d’assurance qui venait d’être versée sur le compte de la médiation à la suite d’un accident de roulage impliquant leur précédent véhicule.

Le tribunal a donc décidé d’imposer un plan d’une durée de cinq ans sur la base de l’article 1675/13 du Code judiciaire. Cette durée est aussi expressément justifiée par l’âge des requérants (et l’ampleur de leur endettement). Hormis la répartition de l’indemnité d’assurance, aucun dividende n’y était prévu en faveur des créanciers aussi longtemps que les requérants n’auraient pas trouvé un travail. Ceux-ci percevraient donc la totalité de leurs revenus. Dans le cas contraire, le montant de leurs revenus excédant celui de leurs charges courantes bénéficierait aux créanciers.

Ce plan comportait également des mesures d’accompagnement. Il y était effectivement demandé aux requérants :de rechercher activement un emploi et de fournir tous les quatre mois au médiateur des preuves dans ce sens, à savoir leur inscription dans différentes agences d’intérim ainsi qu’à toute formation organisée dans ce cadre (notamment les formations du Forem);

  • de ne contracter aucune dette nouvelle, y compris des dettes liées aux charges courantes;de rechercher un logement moins onéreux et de s’inscrire sur une liste d’attente afin de pouvoir bénéficier d’un logement social;
  • d’informer le médiateur de tout changement affectant leur situation professionnelle ou familiale.

Le fait pour une requérante célibataire, vivant seule et sans enfant, d’avoir 27 ans et de pouvoir trouver un travail en y mettant la détermination nécessaire a également amené le tribunal du travail de Liège à ne pas suivre la suggestion du médiateur de dettes de lui accorder une remise totale de dettes. Pourtant, ses revenus se limitaient à une aide fournie par le centre public d’action sociale qui était inférieure au revenu d’intégration sociale de telle sorte qu’ils devaient être consacrés dans leur totalité au pécule de médiation mis à la disposition de la requérante et qu’aucun dividende ne pouvait être versé aux créanciers, même avec l’accord de ladite requérante. Dans son jugement du 15 janvier 2013 en cause (RG n°084272, inédit), le tribunal du travail a estimé que « l’âge de la partie requérante ne permet pas de constater une impossibilité totale et définitive d’apurer même partiellement son passif ». Mais il n’en a pas pour autant arrêté un plan de règlement judiciaire. En effet, il a mis fin à la procédure, considérant que la requérante avait la possibilité de réintroduire une demande de règlement collectif lorsque sa situation personnelle et professionnelle se serait améliorée et qu’elle serait en mesure de faire des offres de remboursement.

Une jurisprudence contrastée

Mais la jeunesse des requérants, si elle peut justifier le refus d’octroyer une remise totale de dettes ou un plan de règlement judiciaire ne prévoyant qu’un dividende hypothétique en l’absence d’emploi rémunérateur, ne signifie pas pour autant le rejet de leur demande de règlement collectif et la fin de cette procédure. Le tribunal du travail de Charleroi a ainsi opté, aux termes d’une décision rendue le 14 novembre 2013 (RG n°11/1529/B, inédit), pour un moratoire de six mois afin de permettre au requérant de se réinsérer sur le marché du travail. Il s’agissait d’un ancien commerçant ayant mis fin à son activité devenue déficitaire (mais n’ayant pas fait aveu de faillite) qui avait ensuite été privé du bénéfice des allocations de chômage pour n’avoir pas respecté son contrat dans le cadre de mesures d’activation. Étant célibataire, n’ayant pas d’enfant et vivant chez ses parents, l’intéressé ne percevait plus aucun revenu. Le moratoire était assorti de mesures d’accompagnement, notamment l’obligation de fournir au médiateur de dettes la preuve de démarches visant à rechercher une activité rémunérée (inscription dans des agences d’intérim et de titres-services, mise au travail par le biais du centre public d’action sociale dans le cadre de l’article 60 de la loi organique des CPAS).

En présence de jeunes requérants se trouvant dans une situation financière désespérée, il n’y a pas d’automatisme : chaque cas est particulier et la jurisprudence, au sein d’un même arrondissement judiciaire, est variable. Il arrive donc qu’ils bénéficient d’une remise totale de dettes (ou d’un plan de règlement judiciaire fondé sur l’article 1675/13bis du Code judiciaire). Tel a été le cas de requérants âgés respectivement de 27 et 25 ans et ayant trois petits enfants. Les revenus du couple ne consistaient ici aussi qu’en des allocations de chômage et des allocations familiales (environ 1.740 euros par mois) et étaient totalement absorbés par les charges courantes. Il n’était propriétaire d’aucun immeuble et ne disposait pas de véhicule. C’est la faiblesse des ressources qui a amené le tribunal du travail de Charleroi à lui accorder une remise totale (jugement du 12 septembre 2013, RG n°11/470/B, inédit). Conformément à un usage très courant, l’effectivité de cette mesure a été subordonnée au respect de certaines obligations durant une période de cinq ans : le maintien de l’équilibre du budget familial, la recherche active d’un emploi par le requérant (la requérante en étant dispensée jusqu’au moment où le dernier enfant serait scolarisé) et le suivi d’une guidance budgétaire confiée au CPAS de leur commune de résidence.