Les ouvertures de crédit : un caillou dans la chaussure des prêteurs

Les ouvertures de crédit (OC) sont un champ d’investigation extrêmement préoccupant lorsqu’on aborde la question de la responsabilité des prêteurs. En effet, il s’agit de la forme de crédit la plus utilisée. 47,2% en parts de marché, avec une augmentation en 2009 de 2,4% (contre 1% pour les autres produits). Certes l’encours total pour ce type de produits n’est pas le plus élevé. Les montants prêtés varient généralement entre 500 et 5 000 euros. Mais les défaillances sont en augmentation (4,6% en 2009, 10,3% entre 2005 et 2009). Ces produits crédit méritent donc une attention particulière : c’est bien l’objectif de deux études du Réseau Financement alternatif1.

C’est sans doute sa souplesse, mais aussi sa facilité d’octroi, qui en font un produit phare : l’OC consiste en une somme mise à la disposition de l’emprunteur que celui-ci peut utiliser au moyen d’un ou de plusieurs prélèvements de crédit, sous la forme de retrait d’espèces, d’un transfert depuis un compte ou d’achats directs au moyen d’une carte. Dans la majorité des cas, ce contrat est consenti pour une durée indéterminée et l’emprunteur est obligé de ne rembourser mensuellement qu’une somme extrêmement limitée qui tourne généralement autour des 5% de la ligne de crédit ou du solde restant dû2. L’emprunteur dispose donc d’une réserve de crédit qu’il peut utiliser à sa guise. Tant qu’il rembourse, même une somme minime, il peut en faire usage.

On connaît bien les maladies endémiques des OC : une très (trop) grande facilité d’octroi, le plus souvent par l’intermédiaire de grandes surfaces ou de sociétés de vente par correspondance, une grande facilité d’utilisation car même si le crédit a été concédé pour un achat précis, la réserve d’argent peut sans problème être utilisée pour un autre achat, avec notamment la possibilité d’acheter des biens de première nécessité (nourriture, vêtements) dans les magasins qui délivrent les cartes de paiement. Autre problème : un coût élevé puisque l’OC avec carte de paiement (la forme la plus courante) est assortie d’un taux d’intérêt de 19% ou 16% l’an, selon que le montant est inférieur ou supérieur à 1 250 euros. Enfin, le fait que le minimum mensuel à rembourser soit… minime donne l’impression à l’emprunteur de rembourser sa dette alors que le montant ne sert qu’à couvrir les intérêts de celle-ci, avec un capital remboursé très réduit.

Corollaire : le consommateur n’étant pas tenu d’amortir le crédit dans un délai déterminé, souvent le lien entre la durée de vie du crédit et celle de la durée du bien ou du service financé n’est pas établi : l’endettement peut dès lors se prolonger bien au-delà.

Un cadre légal

Une des préoccupations relatives aux ouvertures de crédit porte sur les publicités et les pratiques commerciales qui entourent ces produits crédit.

Toute une série de mentions obligatoires ont été prévues pour ces publicités : mention de l’annonceur, forme de crédit, conditions particulières ou restrictives, frais non récurrents, information relative au coût du crédit (TAEG ou taux débiteur et frais). S’il n’y a pas de référence au coût du crédit, la publicité doit porter la mention : « Attention, emprunter coûte aussi de l’argent. » Certaines mentions sont interdites, comme les incitations au regroupement de crédits, celles relatives à la rapidité et la facilité d’acceptation du dossier, les publicités visant les consommateurs endettés, le transfert d’argent liquide de la main à la main.

En matière de pratiques de commerce, des obligations ont également été établies comme le fait pour le prêteur de devoir poser une série de questions sur la situation financière de l’emprunteur, la consultation de la Centrale des crédits aux particuliers, le fait de fournir le meilleur conseil possible et la distribution d’un prospectus ou formulaire d’informations standards appelé SECCI.

Des biais cognitifs

Les publicités et les pratiques commerciales entourant les ouvertures de crédit sont-elles socialement responsables ? Telle est la première étude réalisée par le Réseau Financement alternatif (RFA), à la demande du SPP Intégration sociale. Pour analyser ces publicités, l’équipe de chercheurs du RFA, composée de Bernard Bayot, Thibaut Monnier et Laurence Roland ont dans un premier temps fait un état des lieux des obligations légales liées aux publicités pour le crédit (cfr ci-dessus), mais ont également analysé les biais cognitifs connus qui détournent la capacité de prendre une décision rationnelle et qui sont utilisés par les publicitaires. Des études se sont penchées sur ces biais cognitifs à l’œuvre dans les publicités et qui peuvent mener à une mauvaise décision dans la prise de crédit et le risque de défaillance qui y est lié. On peut citer le biais positif qui donne l’impression qu’il nous arrivera moins d’événements négatifs et plus de choses positives qu’aux autres : en matière de crédit cela donne le schéma suivant : « J’ai plus de chance qu’un autre de mieux gagner ma vie plus tard, d’être moins malade et de rembourser plus rapidement mes dettes que mon voisin ». Les modèles de cycle de vie – « On emprunte quand on est jeune, on rembourse les prêts quand on est au maximum de ses capacités financières et on vit de son épargne à la retraite » -, l’illusion de contrôle ou encore l’influence sociale, avec des slogans du type « le plus vendu en Belgique », peuvent affecter le comportement d’un emprunteur.

Quelle publicité pour les OC ?

Les chercheurs se sont également penchés sur un échantillon de matériel publicitaire et de lettres de marketing direct (91 pubs au total) pour analyser le contenu des publicités pour les OC. Ils ont également observé les pratiques commerciales en magasin (5) concernant ces produits. L’analyse quantitative montre que les publicités se rencontrent à plusieurs niveaux : la publicité directe se rapportant aux OC en presse écrite, audiovisuelle, sur Internet, via le marketing direct ou sur des prospectus, la publicité indirecte où l’OC est mentionnée en marge et toutes les autres démarches commerciales menant à des OC, que ce soit dans les grands magasins ou dans des stands sur la voie publique.

Sur le plan qualitatif, à la question de savoir si les publicités et les pratiques commerciales entourant les OC sont socialement responsables, l’analyse des chercheurs n’a pas permis de conclure que les messages publicitaires ne s’adressent qu’à des personnes précarisées. Par contre les représentations que ces publicités mettent en jeu se rapportent toujours à une mise en scène du rêve et des caractéristiques positives réelles ou supposées du produit. Les chercheurs estiment que la dimension du rêve présente dans les pubs est de nature à toucher davantage les personnes aux revenus modestes. L’analyse des publics cibles des médias dans lesquels les grandes sociétés de crédit placent leur publicité confirme qu’elles visent des personnes d’un niveau social inférieur. Ces éléments combinés au fait que les informations contenues dans les messages publicitaires sont complexes et peu lisibles montrent le caractère dangereux de ces publicités. Les informations concrètes liées aux OC sont rarement données sous forme d’exemples chiffrés ou alors ne donnent pas une idée précise des coûts et des risques liés au crédit. Enfin, les pratiques commerciales étudiées par les chercheurs ont largement mis en lumière les manquements en matière de conseil et d’information de la part des vendeurs censés proposer la forme de crédit la plus adaptée au client.

Quelles recommandations ?

Tout en rappelant le devoir pour le dispensateur de crédit de proposer des produits adaptés à la situation de l’emprunteur, recommandation prioritaire, le RFA préconise aussi des recommandations en matière de publicité, avec une meilleure information notamment sur les coûts de ces crédits et le risque en cas de non-paiement. Le fait d’insérer un exemple chiffré pourrait permettre au consommateur de mieux comprendre ce à quoi il s’engage. Autres pistes : l’interdiction dans une publicité de lier une OC à l’achat d’un produit ou d’un service, de mentionner l’OC sur toute publicité ne la concernant pas directement ou encore l’interdiction de vente de ce produit dans les magasins, les grandes surfaces ou dans des stands installés sur la voie publique. Enfin, les chercheurs préconisent que des campagnes de prévention et de sensibilisation soient menées sur les risques liés aux OC, en combinant message choc et contenu plus explicite. Ces campagnes devraient s’accompagner d’ateliers pédagogiques. Ils rappellent aussi qu’une réflexion sur le produit lui-même, dont la dangerosité réside notamment dans son caractère temporel indéfini, doit être menée en parallèle.

À l’initiative de la commande de ces études sur les OC, Philippe Courard, secrétaire d’État à l’Intégration sociale, souhaite que celles-ci viennent alimenter le groupe de travail « Surendettement » créé au sein de la Conférence interministérielle « Intégration sociale » qu’il préside. Il préconise des mesures visant l’amélioration de l’information du consommateur en imposant des mentions sur le coût final de ce type de crédit et une régulation renforcée afin de mieux vérifier la capacité des emprunteurs à rembourser.

Nathalie Cobbaut

Les OC : pour quoi faire ?

L’autre recherche du RFA, menée cette fois par Olivier Jérusalmy, avait pour objectif d’en savoir plus sur les relations qu’entretiennent les personnes disposant de revenus faibles avec les ouvertures de crédit. Cette étude s’est basée sur des entretiens avec 258 personnes fréquentant des CPAS des trois Régions du pays, certaines disposant d’une OC au moment de l’entretien (49), d’autres en ayant disposé dans le passé (64) et d’autres encore n’en ayant pas eu l’usage (145).

Elle rend compte de nombreux problèmes : les OC sont mises sur le marché de manière proactive, avec des formats standards (500, 2 500, 5 000 euros) qui ne sont pas adaptés aux personnes disposant de revenus modestes et faibles. Ce constat est surtout vrai pour les banques. L’importance des montants octroyés entraîne un risque de malendettement, voire de surendettement. Le devoir de conseil (type de crédit, montant, capacité de remboursement) n’est pas observé, tant dans les grandes surfaces qu’en agences bancaires. Aucune mesure des pratiques des intermédiaires de crédit n’est possible sur la base des informations de la Centrale des crédits aux particuliers (CCP). Une part significative des OC représente un financement inapproprié (achats importants ou de biens durables). La durée indéterminée et l’absence de zérotage génèrent un endettement sur de longues périodes et mettent à mal une gestion budgétaire rigoureuse, en estompant la perception du risque. Enfin, une part significative des répondants ont fait de leur(s) OC un usage inapproprié : pour financer un achat qui dépasse la capacité du budget mensuel du ménage, pour couvrir des achats et des factures courantes, comblant ainsi un manque structurel de revenus, avec un usage progressivement croissant lorsque les OC sont perçues comme une solution au déséquilibre structurel du budget.

Face à de tels constats, les recommandations sont les suivantes : pour éviter les OC surdimensionnées, il s’agit de proposer un produit adapté en taille à la situation du client et sur la base d’une analyse efficace et objectivée de la capacité de remboursement. En cas d’utilisation inappropriée, les prêteurs devraient mettre en place un monitoring pour informer l’emprunteur de ce mésusage. Ici comme dans l’autre étude, il est préconisé que les OC ne soient plus proposées en grandes surfaces. Il s’agit de responsabiliser les intermédiaires de crédit et de faire un monitoring de leurs pratiques au travers de la CCP, avec une mesure de leur intervention dans le volume d’OC, la part de défauts par rapport à ce volume qui leur incombe, l’identification des bonnes et mauvaises pratiques. L’auteur de la recherche préconise aussi la prévention et l’éducation du public à l’égard d’un usage approprié des OC et afin d’améliorer son esprit critique, tout en luttant contre les publicités et pratiques commerciales qui jouent sur l’imaginaire, le simplisme et le brouillage cognitif. C’est notamment le cas avec l’usage du terme « réserve » qui fait référence à la notion d’épargne, alors qu’il vise en fait le droit de tirage lié à une OC !

1 Pour consulter les deux recherches du RFA sur les ouvertures de crédit : www.ecosocdoc.be/static/module/bibliographyDocument/document/002/1800.pdf et www.ecosocdoc.be/static/module/bibliographyDocument/document/002/1795.pdf.
2 Il faudra modaliser cette affirmation au regard des nouvelles dispositions en matière de délai de zérotage.