Dossier: Ma voiture, ma liberté ?

Une automobile dans le budget:
un poids sur l’estomac?

Dans de nombreux dossiers de médiation de dettes ou de RCD, la question du maintien du véhicule comme poste budgétaire se pose. Avec d’autant plus d’acuité que ce poste peut être assez important. Mais peut-on réellement se passer d’une voiture dans la société d’aujourd’hui? Les sollicitations d’un organisme comme Crédal montrent les besoins de certaines populations plus précarisées de se procurer ce type de biens. En médiation de dettes, la question s’évalue en fonction des alternatives du tout à la voiture.

Le poste budgétaire pour une voiture est loin d’être négligeable dans les dépenses d’un ménage: 6.223 euros par an, tel est le coût réel calculé pour un véhicule petit à moyen (de type Peugeot 207), utilisé pour des déplacements d’environ 15.000 kilomètres par an (moyenne faible), consommant 6 litres aux 100 km et pour un coût de 1,5 euro par litre de diesel. Soit 518 euros par mois, qui tient compte de l’amortissement du véhicule, des assurances, des taxes, du carburant, de l’entretien, du remplacement des pneus et de coûts comme les car wash ou la location d’un parking[1].

Autre donnée: celle des Chiffres clés 2015, de la DG Statistique du SPF Économie, qui situe les dépenses moyennes par ménage en matière de transport à 4.280 euros par an pour l’ensemble de la Belgique (3.220 euros pour Bruxelles, 4.620 euros pour la Flandre et 4.070 euros pour la Wallonie), ce qui en pourcentage représente 11,9% du budget des Belges (10,3% pour les Bruxellois, 12,1% chez les Flamands et 12% pour les Wallons).

Élément qui peut également donner des indications sur la présence des véhicules dans les ménages: dans le Diagnostic de juin 2016 du SPF Économie sur les déplacements lieu de travail-domicile, il ressort que la part modale[2] des automobiles est écrasante, c’est-à-dire qu’elle représente 65,5% des déplacements (contre 66,8% en 2005). Loin derrière, on trouve le train, avec 10,9%, puis le vélo, en forte progression avec 9,5% et, ensuite, les trams, bus, métro qui approchent les 7% et qui sont également en hausse.

Peu de données

La voiture est donc un bien de consommation extrêmement présent dans les ménages belges. Elle représente un poste budgétaire non négligeable et qui semble absolument incontournable à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains, que ce soit pour trouver ou conserver son emploi, mais également pour organiser la vie familiale, accompagner les enfants à l’école ou à leurs activités parascolaires ou encore développer une vie culturelle épanouie. Les chiffres le montrent: les Bruxellois semblent se passer plus facilement de ce type de mode de transport. Mais il faut également tenir compte des mentalités et de l’objet de consommation survalorisé que constitue la voiture pour en appréhender l’importance dans les ménages de notre pays.

Difficile par contre d’identifier les défauts de paiement liés à ce type de bien: tant les chiffres de la Banque nationale de Belgique que ceux de l’Observatoire du crédit ne permettent pas d’établir la présence de dettes de crédit relatives à l’achat d’une voiture. Comme le précise Romain Duvivier, économiste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement, «seules les ventes à tempérament permettent d’identifier de manière formelle le bien de consommation auquel le crédit a été destiné. Certes, dans 70% des cas, ce sont des véhicules qui sont concernés par ce type de prêt. Mais, dans la masse des crédits, ils ne représentent que 4% des prêts consentis. Difficile donc de tirer des conclusions sur les défauts liés à ce type de crédit, alors qu’ils sont aussi peu nombreux».

Un poste important

C’est donc de manière intuitive que nous avons procédé en contactant des médiateurs de dettes. Et, clairement, il ressort de nos contacts que la voiture représente une part importante du budget et est souvent incontournable. Comme le soulignent Marie-Christine Calmant et Delphine Incoul, respectivement médiatrice de dettes et juriste au VSZ (région d’Eupen) et au GAS (province de Luxembourg), «il est difficilement imaginable de se passer de voiture lorsque l’on habite en dehors des centres urbains, et dans nos régions on y est très vite. Que ce soit pour accéder à l’emploi ou pour conserver ceux existants, pour conduire les enfants à l’école, faire ses courses ou avoir un minimum de vie sociale, la voiture est incontournable. Or cela coûte cher. Donc il faut évaluer au cas par cas dans chaque dossier si éliminer la voiture a un sens. Dans certains cas, la décision est prise de vendre le véhicule, par exemple si la personne n’a pas de famille, effectue très peu de déplacements et n’a pas d’activité professionnelle et n’en aura pas dans un proche avenir, pour des raisons de santé ou autres. Dans beaucoup d’autres, le maintien s’impose».

En revanche, à Bruxelles, la situation semble diamétralement opposée: comme le souligne Sylvie Moreau, juriste au Centre d’appui aux services de médiation de dettes, «étant donné l’assez bonne couverture du territoire bruxellois par les transports en commun, les médiateurs de dettes ont vite tendance à supprimer la voiture pour récupérer les sommes ainsi dégagées pour rembourser les dettes ou équilibrer le budget. C’est le cas en médiation de dettes amiable et également en RCD où les juges au tribunal du travail de Bruxelles ont une position assez stricte sur la question. Ce n’est que si la personne peut se prévaloir d’un emploi inaccessible en transports en commun, notamment en raison d’horaires matinaux ou tardifs, que la voiture sera maintenue».

Et quand faut-il remplacer la voiture?

Une difficulté récurrente se pose lorsqu’il faut remplacer la voiture. La plupart du temps, il n’y a pas de réserve pour en acheter une nouvelle et la mesure prise en 2015 d’interdire les prêts aux personnes fichées en défaut de paiement à la Centrale des crédits aux particuliers pour plus de 1.000 euros (article 77§2, livre VII du Code de droit économique) ne permet plus d’avoir accès au crédit social, notamment proposé par Crédal.

Les médiatrices de dettes sur le terrain confirment cette difficulté: pour Marie-Christine Calmant, «c’est un vrai casse-tête car, faute de moyens et de possibilité de crédit social, le choix se porte sur des voitures d’occasion de très mauvaise qualité, sans garantie puisque achetées le plus souvent à un particulier et qui tombent très vite en panne, ce qui nécessite des réparations ou le remplacement du véhicule. C’est une chaîne sans fin, avec un nouveau “véhicule-poubelle” à remplacer tous les six mois, un an». Delphine Incoul confirme cette difficulté, mais mentionne certaines pistes, tel l’achat en leasing qui comprend l’achat, l’assurance, les taxes et les entretiens avec un paiement mensuel qui est soutenable dans le budget. «Autre possibilité: la possibilité de solliciter le CPAS pour une avance récupérable. J’ai déjà pu l’obtenir mais les difficultés financières de ces institutions sont sans doute un frein à ce type d’aide.»

Toutes deux regrettent de ne plus pouvoir recourir à un organisme tel que Crédal qui octroie du crédit social, notamment dans ce but précis d’acheter une voiture. Une étude réalisée en 2015 montrait en effet que près de 60% des dossiers de microcrédit accordés (sur un échantillon de 300 personnes interrogées et de 246 réponses traitées) l’étaient pour l’achat d’un véhicule, avec une moitié des répondants en situation de surendettement, ayant pour objectif l’obtention ou la conservation d’un emploi et présentant un taux de défaut extrêmement bas. Geneviève Hallet, responsable du microcrédit personnel chez Crédal, signale une baisse de 10% de ces crédits sociaux pour des véhicules depuis 2015. Cela étant, un long travail de lobbying pourrait aboutir prochainement afin qu’un arrêté royal soit adopté, créant une exception à cette règle et permettant ainsi à nouveau aux personnes surendettées de financer leur véhicule avec une analyse des risques pointue, un accompagnement adapté et des taux d’intérêt adaptés.

Nathalie Cobbaut

[1] Il s’agit d’une simulation opérée dans le cadre de la brochure réalisée par les cellules syndicales de la CSC et la FGTB wallonne «Pas d’auto… pas de boulot. Des pistes pour s’en sortir».

[2] Soit la proportion du trafic national effectuée par un mode de transport donné.