Dossier : Le médiateur de dettes : quel parcours et quelles aspirations ?

Le 25e colloque de l’Observatoire s’est intéressé aux professionnels de la médiation de dettes, qu’ils soient travailleurs sociaux, avocats ou autres juristes. L’une des thématiques abordées lors de cet événement était celle de leur parcours professionnel. Cet article se base sur différentes enquêtes menées en 2014 auprès de plus de 800 médiateurs de dettes des trois régions du pays. Il propose un condensé de quelques résultats présentés lors du colloque ainsi que des analyses complémentaires.

Quels types de diplôme ?

La majorité des médiateurs de dettes sont sans surprise détenteurs d’un diplôme en droit ou d’assistant social . Certains cumulent même les deux formations, bien qu’ils soient nettement minoritaires (moins de 1%). Rares sont les médiateurs répondants, n’étant ni juristes, ni assistants sociaux (seuls 3,4%). Ils sont alors issus de formations telles que la criminologie (1,6%), les sciences infirmières (1,3%) ou l’une des sciences humaines suivantes : sociologie, anthropologie et sciences du travail (0,5%).

Les médiateurs de dettes sont également, pour certains, détenteurs d’autres diplômes. Concernant les non juristes, les diplômes les plus fréquemment cités sont liés à l’enseignement ou à l’éducation, à des formations en sciences de la santé, en pédagogie ou encore en psychologie. Les juristes pratiquant la médiation de dettes, quant à eux, sont également détenteurs d’une agrégation de l’enseignement secondaire supérieur, d’un diplôme en criminologie, en notariat, en gestion/comptabilité ou en sciences politiques.

Quelles activités professionnelles antérieures ?

Tant les avocats que les membres du personnel d’institutions agréées ont exercé d’autres activités professionnelles avant de devenir médiateur de dettes.

Les assistants sociaux ont, pour plus des trois-quarts, exercé un seul emploi avant de devenir médiateurs de dettes (77,4%). Ils sont près d’un sur cinq à avoir occupé deux postes (18,5%) précédemment. Le plus fréquemment, ils exerçaient soit au sein d’un service social de première ligne ou d’un service juridique d’un CPAS (39,7%), soit au sein d’un service social pouvant appartenir à différentes institutions (école, hôpital, centre de soins, mutuelle, etc.) (33%). Leurs expériences professionnelles antérieures leur ont donc fourni une connaissance du secteur social et des différentes aides de première ligne dont peut bénéficier un ménage. De manière moins fréquente, ils ont exercé dans le secteur de l’éducation (7,7%), de l’enseignement ou de la formation (2,9%).

Les juristes-médiateurs de dettes, outre avoir été inscrits au barreau, sont pour leur part 27,2% à avoir exercé une autre activité. Ils ont le plus fréquemment été collaborateurs ou conseillers juridiques au sein de différents types d’institutions (secteur bancaire, compagnies d’assurances, diverses institutions privées ou publiques,…) (43,5% ). Ils ont également exercé dans le secteur de l’enseignement (9,7%) ou en tant que gestionnaires de dossiers dans des secteurs variés (assurances, secrétariat social, service social, etc.).

Devenir médiateur de dettes, un choix ?

L’activité de médiation de dettes implique un investissement important, notamment au niveau relationnel et humain ou en termes de connaissances à acquérir dans des matières variées. On pourrait dès lors penser qu’elle attire principalement des personnes qui en ont fait le choix. Or, il semble que l’activité de médiateur de dettes ne soit pas une vocation pour bon nombre d’entre eux. Il s’agit pour plus de la moitié des répondants (58,4%) d’un choix par défaut. Pour des questions méthodologiques, nous avons distingué, d’une part, les avocats médiateurs de dettes et, d’autre part, les membres du personnel des institutions agréées pour la médiation de dettes. Parmi ces derniers sont compris tant les travailleurs sociaux que les juristes.

Tableau 1. Parmi les propositions suivantes, cochez celle qui correspond le mieux à votre situation :

Pour les membres du personnel des institutions agréées : J’avais une réelle volonté de devenir médiateur de dettes, avant d’être engagé. Pour les avocats : J’avais une réelle volonté de me spécialiser en médiation de dettes.

41,6%

Je suis devenu médiateur de dettes, mais je ne voulais pas spécifiquement l’être.

58,4%

Total 100,0%

De nettes différences apparaissent entre les profils de répondants. Les avocats semblent davantage se lancer dans cette matière avec une réelle volonté de le faire (53,6%), à l’inverse des membres du personnel des institutions agréées (37,6%). En outre, les médiateurs pratiquant depuis plusieurs années semblent avoir moins fréquemment choisi cette voie que les nouveaux arrivés. Une hypothèse pourrait expliquer ce résultat : les médiateurs ayant débuté il y a de nombreuses années étaient moins susceptibles de faire le choix de cette activité, étant donné que le secteur était moins connu et peu développé.

Qu’est-ce qui motive un individu à devenir médiateur de dettes alors qu’il n’était pas spécialement enclin à le devenir ? Les raisons divergent, que l’on considère les avocats ou les membres du personnel d’institutions agréées.

– Les avocats évoquent premièrement la sollicitation d’un tiers, qu’il s’agisse d’une demande directe d’un juge, d’un bâtonnier, d’un maitre de stage ou encore de clients du cabinet. Deuxièmement sont avancés des arguments financiers : certains avocats se seraient orientés vers la médiation de dettes pour des « raisons d’opportunité économique » . Ils évoquent l’avantage du paiement à l’année permettant de « couvrir une partie des frais généraux du cabinet ». Il s’agit d’une « activité qui rapporte de l’argent de manière constante et qui ne génère pas de problèmes de recouvrement et de comptabilité extrêmes ». Troisièmement, l’envie d’ « essayer autre chose », d’étendre le champ d’activité du cabinet (notamment avec une matière proche de certaines déjà pratiquées, telles que le droit commercial ou le droit relatif aux procédures d’insolvabilité) motiverait certains avocats à se lancer dans l’aventure. Quatrièmement, la sensibilisation à la matière par le biais d’activités professionnelles antérieures semble également jouer un rôle dans l’orientation vers la médiation de dettes : certains avocats, alors qu’ils ne pratiquaient pas le règlement collectif de dettes, se voyaient interrogés sur des questions particulières par des clients en médiation de dettes ; d’autres étaient conseils de créanciers et ont voulu changer de perspective ; d’autres encore, conseils de CPAS, se sont vus solliciter dans le cadre d’une convention. Enfin, des raisons telles que la reprise d’un cabinet pratiquant déjà la médiation de dettes sont avancées.

– Les personnels d’institutions agréées évoquent également en premier lieu la sollicitation d’un tiers, qu’il s’agisse d’un membre de la hiérarchie d’un poste précédent, d’un ancien maitre de stage ou encore de clients qui rencontrent des difficultés financières et manquent d’interlocuteurs (notamment à la fin des années 1980 ou dans les années 1990). Ces sollicitations ont notamment lieu lors du départ inopiné d’un médiateur de dettes qu’il faut remplacer au pied levé ou lors de la phase de réflexion précédant la création d’un service. En second lieu sont avancés le manque d’épanouissement, une lassitude par rapport à un précédent emploi (service social de première ligne, travail communautaire ou de quartier…), l’envie d’une réorientation professionnelle, « l’ouverture à d’autres horizons ». Troisièmement, le choix de la médiation de dettes s’impose à certains pour des raisons pratiques (se rapprocher de son domicile, bénéficier d’horaires de bureau, n’avoir aucune autre proposition d’emploi,…).

Quelles connaissances de la matière avant d’exercer ?

Une des raisons pour lesquelles la majorité des médiateurs de dettes n’ont pas réellement choisi de le devenir pourrait être liée au fait que nombre d’entre eux n’avaient pas connaissance du contenu de cette activité, avant de s’y engager. Premièrement, les résultats des enquêtes soulignent que plus de 70% des répondants n’ont pas été familiarisés avec la médiation de dettes durant leurs études . De nettes différences apparaissent si l’on compare les médiateurs en fonction du type de formation. Alors qu’à peine 12,5% des juristes ont été familiarisés avec la médiation de dettes durant leurs études, ils sont 38,3% dans le cas des travailleurs sociaux. Deuxièmement, plus d’un médiateur sur deux a commencé à exercer sans avoir une idée précise de ce qu’était la médiation de dettes.

Tableau 2. Avant la prise en charge de votre premier dossier en médiation de dettes, aviez-vous une idée précise des démarches et des tâches à mettre en place et à exécuter ?

Oui 46,5%

Non 53,5%

Total 100,0%

Alors qu’ils sont très peu nombreux à avoir été familiarisés avec la matière durant leurs études, les avocats semblent toutefois un peu plus armés que les membres du personnel des institutions agréées lorsqu’ils débutent leur activité de médiateur de dettes (56,2% contre 43,2%).

Et à l’avenir : stop ou encore ?

Pour comprendre un groupe professionnel, il est important d’analyser les raisons qui poussent ses membres à poursuivre leur activité et celles qu’ils avancent pour y mettre fin. En effet, pourquoi poursuivre/arrêter une activité en dit long sur les aspirations de l’individu, sur la manière dont il définit son activité, sur ce qui est central pour lui, etc.

Bien que près d’un répondant sur deux soit devenu médiateur de dettes sans l’avoir réellement choisi, nombre d’entre eux sont actifs depuis plusieurs mois, voire des années, et souhaitent poursuivre cette activité à l’avenir. 92,1% des répondants aux enquêtes affirment vouloir poursuivre cette activité dans les années à venir. Ces proportions sont identiques, quels que soient le profil et la formation des répondants. Les analyses montrent qu’il n’existe aucun lien entre le fait de souhaiter poursuivre cette activité et l’âge du répondant, le nombre d’années d’expérience, l’importance de la structure/du cabinet, le nombre de dossiers traités ou encore le niveau de stress ressenti. Par contre, on constate, sans surprise, des liens entre l’envie de continuer l’activité et la satisfaction professionnelle, le sentiment d’utilité et le sentiment d’être reconnu professionnellement par les bénéficiaires, par la hiérarchie ou par les créanciers.

N’ayant pas la possibilité d’aborder, dans l’article, les raisons évoquées, d’une part, pour poursuivre l’activité et, d’autre part, pour changer d’orientation, nous nous centrerons sur les premières et uniquement sur les cinq les plus fréquemment citées par l’ensemble des répondants.

Tableau 3. Citez brièvement les raisons pour lesquelles vous souhaitez continuer à travailler dans le secteur de la médiation de dettes (tous répondants confondus)

Sentiment d’utilité 30,50%

Aspects relationnels 20,30%

Diversité des tâches, de l’activité 10,80%

Combinaison de plusieurs matières, plusieurs disciplines 10,30%

Importance de la problématique 7,50%

La première motivation à la poursuite de l’activité est liée à l’utilité ressentie. Les répondants se sentent utiles dans leur travail. Celui-ci leur permet de réellement aider des personnes en difficulté. Certains en témoignent : « Vous pouvez faire la différence ! ». Toutefois, les médiateurs soulignent que certains dossiers n’aboutissent pas et que la médiation de dettes n’apporte pas de solution à tous.

Une autre motivation tout aussi importante a trait aux contacts humains, omniprésents dans le métier. Les répondants évoquent les relations créées avec le médié. Comparativement à d’autres secteurs d’activité (notamment le service social de première ligne) ou d’autres matières du droit, le travail de médiation de dettes permettrait d’établir des contacts plus fréquents et « plus intenses » avec la personne. Le public serait également plus varié en termes d’origine sociale, d’histoire de vie, etc., que dans un service social de première ligne ou dans un cabinet d’avocats pratiquant d’autres matières. La richesse du métier n’est pas uniquement liée aux contacts avec le public, mais également avec un nombre important de professionnels de secteurs très divers allant des créanciers aux magistrats (pour les médiateurs pratiquant le règlement collectif de dettes), à des services d’aide générale, aux mutuelles, etc. mais aussi avec d’autres professionnels de la médiation de dettes. Cette variété de contacts semble également distinguer la médiation de dettes d’autres secteurs d’activité dans lesquels peuvent exercer des travailleurs sociaux ou des juristes. Les travailleurs sociaux soulignent d’ailleurs qu’il s’agit d’une des rares activités professionnelles où ils sont susceptibles de collaborer avec un tribunal. Dans le cadre du règlement collectif de dettes, les avocats évoquent, quant à eux, des rapports différents avec les magistrats du fait de leur statut de mandataires de justice, et non plus de conseillers d’un justiciable.

Une troisième caractéristique appréciée des médiateurs est l’absence de monotonie. Sont mises en avant la variété et la diversité des tâches à accomplir quotidiennement allant de tâches administratives, aux entretiens individuels, à la mise en place de techniques de négociation, à la mise en œuvre de compétences juridiques, etc.

L’attrait de la médiation de dettes tient également au fait qu’elle est au croisement de différentes disciplines. Il s’agit d’une matière complexe alliant le droit, l’économie, la psychologie, le travail social, l’administratif, etc. Pour certains travailleurs sociaux ou juristes, il s’agit d’une des rares activités professionnelles permettant d’allier les matières juridiques et sociales. Les juristes soulignent également la possibilité de traiter indirectement d’autres matières du droit (civil, fiscal, pénal, social, etc.).

L’endettement problématique est un sujet actuel auquel il est nécessaire et urgent de répondre. Continuer à exercer la médiation de dettes est, pour beaucoup de professionnels, une manière de prendre part à un projet plus large, de relever un défi sociétal.

Caroline Jeanmart, sociologue à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

Encadré : Pour en savoir plus

Une note méthodologique relative aux différentes enquêtes menées dans le cadre de ce colloque est également disponible sur le site de l’Observatoire (www.observatoire-credit.be). Cet article est l’occasion de remercier tous les médiateurs et autres professionnels ayant pris part aux enquêtes pour leur collaboration, leur disponibilité et leurs marques d’intérêt. Le texte de l’exposé portant sur cette thématique est disponible sur le site de l’Observatoire à la rubrique « colloque » (www.observatoire-credit.be).