On nous écrit… Comment négocier avec le SPF Finances?

Payer ses impôts est une obligation qui revient chaque année, dont il est normalement possible d’anticiper le paiement, mais qui se heurte aux aléas de la vie ou au défaut de prévoyance de certains citoyens. D’où l’existence de procédures mises en place pour permettre un paiement différé de ces dettes. Aperçu des modalités à mettre en œuvre.

La règle générale veut que toute dette réclamée doit être payée immédiatement et en totalité parce qu’une personne «normalement prudente et diligente» (notion qui va remplacer celle de «bon père de famille», qui n’est plus adaptée aux réalités sociales actuelles) maîtrise son budget et anticipe le paiement de ses charges. C’est particulièrement vrai pour les impôts, qui sont des dettes cycliques et prévisibles que tout bon citoyen devrait considérer comme prioritaires. L’octroi de délais supplémentaires ou de facilités de paiement est possible, mais reste une faveur.

Cependant, l’État est bien conscient que la réalité n’est pas aussi rose, que des accidents de la vie peuvent survenir ou que certaines situations nécessitent des mesures d’aménagement. C’est pourquoi l’administration fiscale, qui est chargée du recouvrement des dettes dues à l’État et qui est incarnée par le Service public fédéral des finances (le SPF Finances), a prévu plusieurs procédures pour octroyer des délais ou des facilités de paiement. Ces procédures sont standardisées dans le but de traiter toutes les demandes de la même façon.

Analysons ces différentes procédures à travers les situations auxquelles sont confrontés les médiateurs de dettes.

1° Un plan de paiement en quatre ou douze mois

Fatima a commencé l’an passé à travailler comme intérimaire en tant qu’agente d’accueil. Prévenue que le prélèvement de précompte professionnel est souvent insuffisant dans ce genre de cas, elle a mis environ 1.000 € de côté. Cependant, à la réception de son avertissement-extrait de rôle (AER), elle apprend que l’État lui réclame environ 1.800 €. Impossible pour elle de réunir cette somme avant la fin du délai de paiement qui est de deux mois après la réception de l’AER. Elle demande conseil parce qu’elle pense à prendre un crédit pour apurer sa dette d’impôt. Comment l’aider?

Prendre un crédit dans ce genre de situation est une très mauvaise idée. Non seulement le taux d’intérêt d’un prêt (généralement plus de 10%) est souvent plus élevé que le taux des intérêts de retard d’une dette fiscale (4% par an sur toute somme due à partir de 1.500 € et qui ne seront calculés qu’une fois par mois au début du mois[1]). Qui plus est, Fatima peut facilement obtenir des modalités de paiement auprès de l’État. Ainsi, il faut lui conseiller de contacter son Team Recouvrement, (c’est-à-dire l’«organe» du SPF Finances chargé du recouvrement, qui travaille sous les ordres du receveur) via le portail MyMinFin ou via l’Info-center de son arrondissement (par mail, courrier ou en se rendant sur place au bureau du Team Recouvrement[2]), pour demander un plan de paiement en quatre mois au maximum. Elle ne devra ni justifier ni motiver sa demande, et bénéficiera ainsi d’un total de six mois à partir de la réception de l’AER pour payer les 800 € restants, par exemple par tranches de 200 € par mois, sans aucuns frais supplémentaires.

Si quatre mois supplémentaires ne sont pas suffisants, Fatima peut demander via les mêmes canaux un plan de paiement en douze mois au maximum[3]. Cependant, elle devra alors motiver sa demande et expliquer sa situation, en justifiant le montant proposé, par exemple en démontrant que son budget ne lui permet pas de payer plus.

Attention, si elle a continué à travailler au même rythme en intérim, elle devra aussi anticiper le paiement des impôts de l’année suivante. Et qui dit justification dit aussi possibilité de refus. Si le receveur estime que les ressources ne sont pas suffisantes pour qu’un plan en moins d’un an soit viable ou, si le débiteur demande un plan de paiement d’une durée supérieure à douze mois[4], le plan de paiement sera refusé et la personne sera réorientée vers une des autres procédures existantes.

 

2° Le règlement administratif de dettes (RAD)

 Alberto est sans emploi depuis plusieurs années et bénéficie d’allocations de chômage au taux isolé. Il a suivi une formation d’aide-soignant. Mais, suite au décès de son père, il a accueilli chez lui sa mère pour s’en occuper. Un an plus tard, il a retrouvé un travail, et c’est à ce moment qu’il a été contacté par l’Onem qui avait procédé à un recalcul. Pour les mois qui suivaient l’emménagement de sa mère, l’Onem lui réclamait la différence entre l’indemnité versée au taux isolé et celle qu’il aurait dû recevoir au taux cohabitant. Cela fait malheureusement une trop grosse somme pour Alberto, dont le budget est déjà très limité. Vu l’absence de paiement, le dossier a été transféré au SPF Finances pour recouvrement. Que peut faire Alberto pour qui un plan de paiement en moins de douze mois[5] n’est absolument pas envisageable, vu son maigre budget et les faibles ressources de sa mère?

Alberto peut demander de bénéficier d’un règlement administratif de dettes qui lui permettra de payer sa dette en maximum 60 mois, c’est-à-dire cinq ans. Mais, pour ce faire, il devra montrer patte blanche et véritablement dévoiler toute sa situation financière au SPF en remplissant un formulaire de sept pages.

Ce formulaire n’est pas téléchargeable sur internet. C’est le receveur, c’est-à-dire le responsable du Team Recouvrement, qui le lui transmettra, soit d’initiative, soit après le refus d’une demande de plan de paiement «classique». Une fois complété, ce formulaire devra être renvoyé, non plus au Team Recouvrement, mais auprès du conseiller général de la perception et du recouvrement[6].

La demande de RAD peut être assortie d’une demande d’exonération des intérêts de retard[7]. Cette exonération peut être totale ou partielle et pourrait même être accordée d’office (mais il vaut mieux la demander quand même). Cependant, elle relève du pouvoir discrétionnaire du conseiller général et ne peut jamais donner lieu au remboursement d’un montant au redevable[8]. C’est également le cas des éventuels amendes et accroissements[9] pour lesquels la demande d’exonération doit être envoyée à la Cellule de sanction administrative du Service de conciliation fiscale.

Il faut savoir que si Alberto fait appel à un service de médiation de dettes agréé, celui-ci ne devra plus remplir le formulaire de sept pages ni faire une demande préalable au receveur. En effet, l’administration fiscale a décidé de traiter les services de médiation de dettes comme des partenaires de confiance et de se fier à leur analyse budgétaire ainsi qu’à leur jugement, lorsque ceux-ci estiment qu’un plan de paiement en moins d’un an est intenable pour la personne.

À noter que le RAD n’aurait pas été possible si Alberto était toujours au chômage. En effet, dans ce cas-là, l’Onem aurait probablement fait jouer l’article 1410 §4 du Code judiciaire et pratiqué une retenue de 10% sur les prochaines allocations d’Alberto et n’aurait pas transmis le dossier au SPF. Le RAD étant une compétence exclusive du SPF, elle ne peut pas être activée si le dossier est traité ailleurs.

Si, pendant l’exécution de son RAD, Alberto venait à contracter une nouvelle dette envers l’État, par exemple une dette d’impôt[10], il pourrait théoriquement demander un 2e RAD. La loi en effet n’interdit pas le cumul de plusieurs RAD, mais il faudra pour cela une sérieuse justification. En effet, il faut rappeler que le conseiller général a un pouvoir discrétionnaire dans l’octroi de facilités de paiement, mais que tout refus doit être motivé. Et qui dit «motivation» dit «possibilité de recours» devant les tribunaux.

 

3° Une demande de surséance

 Roberta a été mariée avec Boris sans contrat de mariage, mais ils sont aujourd’hui séparés de fait. Depuis leur séparation, Boris a un peu négligé la comptabilité de son activité de consultant informatique indépendant et a contracté d’importantes dettes de TVA. Vu le régime matrimonial applicable, le SPF Finances a donc parfaitement le droit de se retourner contre Roberta pour le paiement des dettes TVA. Roberta, qui a récemment emménagé chez son nouveau compagnon vous consulte parce qu’elle craint que des huissiers ne s’en prennent aux meubles de celui-ci, ce qui mettrait incontestablement du plomb dans l’aile de leur idylle naissante. Que lui conseiller?

Lorsqu’un usager «malheureux et de bonne foi» est dans une situation dans laquelle il n’est pas en état, de manière durable, de payer sa dette au SPF Finances, il peut demander une surséance indéfinie au recouvrement (SIR)[11]. Il s’agit d’une mesure extraordinaire existant depuis 2007 par laquelle le SPF renonce, dans certaines circonstances, au recouvrement des sommes dues, moyennant une condition qu’il fixe de façon discrétionnaire (qui consiste souvent à payer une partie de la somme dans un certain délai). Attention, l’octroi de la surséance n’est acquis qu’après la réalisation de la condition et celle-ci peut être retirée s’il s’avère par la suite que l’usager a fait de fausses déclarations ou organisé son insolvabilité.

Avant, cette procédure n’était ouverte que pour les impôts et la TVA, maintenant elle s’étend à tous les types de dettes recouvertes par le SPF Finances, sauf:

  • Les amendes pénales (principal et accessoires)
  • Les dettes SECAL
  • Les droits de greffe (sauf les «droits de mise au rôle»)

Pour introduire sa demande, Roberta doit compléter un formulaire de dix pages téléchargeable sur le site du SPF Finances[12] et dans lequel elle doit détailler sa situation et motiver sa demande. Ce formulaire doit être envoyé par recommandé au conseiller général de l’administration du SPF Finances de son domicile[13].

Attention, le SPF dispose et use de nombreux pouvoirs d’investigation pour vérifier les informations contenues dans la demande de surséance. À noter que cette procédure aurait pu être proposée d’office par le receveur.

Le conseiller général statue dans les six mois et envoie sa décision par recommandé. Dans l’intervalle, toute nouvelle saisie est interdite et les saisies déjà en cours sont suspendues. Mais le SPF conserve toutefois le droit de retenir les éventuels remboursements d’impôts ou crédits TVA, de procéder à des saisies conservatoires ou encore de prendre une inscription hypothécaire.

En cas de refus, un recours possible dans le mois de la notification, auprès de la commission de recours[14], qui a trois mois à partir de la réception du recours pour envoyer sa réponse par lettre recommandée. La décision de la commission est, à son tour, susceptible de recours devant le tribunal de première instance par exploit d’huissier.

 

4° La requête en RCD

 Complètement dépassé par les obligations des indépendants, Barnabé, coiffeur à domicile, a fait un burn-out qui l’a laissé sans revenus pendant plusieurs mois. Aujourd’hui, il a retrouvé un job de salarié dans le salon de coiffure de son amie Lucile, mais il a accumulé de nombreuses dettes, dont des arriérés de loyers et de la TVA. Ayant entendu parler de la surséance indéfinie, il pense que ce serait une bonne solution pour le débarrasser d’une partie de ses dettes. C’est pourquoi il consulte un service de médiation de dettes pour comprendre comment faire. Comment conseiller Barnabé?

Malheureusement, pour Barnabé, les conditions pour faire appel à la surséance indéfinie sont très strictes. Si la surséance est applicable aux dettes TVA, il faut que le débiteur n’ait pas d’autres dettes. Compte tenu des autres dettes accumulées pendant la période d’incapacité, la surséance ne sera pas accordée.

Les autres conditions pour avoir droit à une surséance sont les suivantes:

  • Le débiteur doit être une personne physique (donc pas applicable aux sociétés).
  • Il ne doit pas avoir organisé sa propre insolvabilité.
  • Les dettes ne doivent pas faire l’objet d’un recours administratif ou d’une action en justice.
  • Il ne faut pas qu’il y ait eu constatation de fraude fiscale.
  • Il ne doit pas avoir bénéficié d’une autre procédure de surséance dans les cinq dernières années.

Vu que le salaire actuel de Barnabé ne sera pas suffisant pour proposer des plans de paiement raisonnables à tous les créanciers, il convient de l’orienter vers la procédure de règlement collectif de dettes (ou RCD), la seule procédure capable d’apporter une solution financière et une tranquillité d’esprit à ce pauvre Barnabé.

En effet, dans le cadre du RCD, les dettes fiscales pourront bien bénéficier d’une remise de dettes (contrairement aux amendes pénales[15], aux pensions alimentaires, aux dettes issues de la réparation d’un dommage corporel et aux dettes de l’indépendant pour lequel l’excusabilité ou l’effacement a été refusé)[16].

 

5° Une conciliation fiscale

 Il y a dix ans, un juge a condamné Claude au paiement d’une contribution alimentaire de 100 € par mois pour ses deux enfants. Comme Claude ne payait pas, le créancier d’aliments a fait appel au SECAL qui a commencé une procédure de recouvrement. Claude a alors commencé à payer 50 € par mois. Bien que ce montant soit insuffisant pour couvrir la rente mensuelle, c’est tout ce qui était possible avec son revenu d’intégration sociale (RIS).

Aujourd’hui, le SPF Finances a relancé le dossier et effectué une saisie sur la totalité du revenu. Claude, qui n’a plus rien pour vivre, vous consulte pour trouver une solution. Que pouvez-vous lui conseiller?

Il faut savoir que, depuis fin 2020, la gestion du recouvrement des créances du SECAL a été transférée aux Teams Recouvrement, des «organes» spécifiques du SPF Finances déjà en charge du recouvrement des dettes fiscales, dans un objectif de centralisation et de rationalisation du processus de recouvrement des différentes créances de l’État.

Cela a engendré quelques bouleversements au niveau de la philosophie du recouvrement, car ces Teams Recouvrement ont décidé de relancer tous les dossiers «dormants» du SECAL, en effectuant une saisie totale sur les revenus des débiteurs, afin de les forcer à se réveiller.

Cette procédure ne peut normalement être mise en œuvre que par le créancier d’aliments dans le but de protéger les intérêts de l’enfant, mais, depuis 2015, le SECAL a également reçu le droit de saisir en dessous des minimums insaisissables[17]. La saisie de Claude est donc parfaitement légale.

Cependant, l’administration fiscale ne peut pas faire n’importe quoi et elle est tenue de respecter des normes de bonne conduite administrative[18]. Par exemple, son action est censée obéir à un objectif de proportionnalité et elle ne devrait pas laisser un usager sans revenu. C’est pourquoi elle accepte généralement de limiter la saisie dès la première demande, en laissant au débiteur au moins un montant lui permettant d’assurer ses charges courantes et de vivre «dignement».

Mais, dans le cas présent, le SPF est non seulement revenu sur un accord donné, mais en plus il ne laisse pas à Claude suffisamment de moyens de subsistance.

La première chose à faire est donc de prendre contact avec le Team Recouvrement afin de demander une limitation de la saisie à un montant raisonnable. Claude devra alors justifier, budget à l’appui, le montant qui lui est absolument nécessaire pour survivre et le montant qui peut être «consacré» au paiement de la dette (ici par exemple 50 € par mois, comme avant la saisie).

Si le SPF refuse de limiter la saisie, Claude pourra alors faire appel au Service de conciliation fiscale[19], un organe non juridictionnel qui a pour objectif de concilier les points de vue entre le débiteur et l’administration, afin de trouver une solution convenant aux deux parties. C’est un peu un service d’ombudsman interne au SPF Finances. Un simple mail suffit et le service de conciliation tentera probablement de faire annuler la saisie contre la promesse d’augmentation du montant du paiement mensuel.

Cependant, ce service ne pourra rien imposer et si aucun accord n’est trouvé, Claude pourra toujours porter l’affaire en justice devant le juge des saisies. Cependant, il y a peu de chances que cela aboutisse puisque la saisie est légale et que les normes de bonne administration n’ont pas de valeur contraignante.

 

Simon van der Bruggen, juriste au Centre d’appui – Médiation de dettes de Bruxelles-Capitale (CAMD)

 

 

[1] Article 414, § 1er CIR 1992.

[2] Depuis le 18/06/2021, le SPF Finances est même susceptible d’accepter un plan de paiement par téléphone «sous certaines conditions».

[3] Ce maximum peut être augmenté à 18 mois depuis le 18/6/2021 dans des circonstances exceptionnelles et en cas d’absence de problèmes structurels de paiement.

[4] Ou 18 mois (voir note infra n°3).

[5] Ou 18 mois (voir note infra n°3).

[6] Qui porte aussi le titre de directeur régional du Centre régional de recouvrement, et qui peut être recherché à cette adresse: https://eservices.minfin.fgov.be/annucomp/UI01_15_act01_loadSearch.do

[7] Article 417 du CIR 92 & art. 70 du CRAF, le Code du recouvrement amiable et forcé.

[8] Sauf si le paiement de ces intérêts a été effectué après la demande d’exonération.

[9] La loi du 29 mars 2018.

[10] Le RAD est une procédure issue de la pratique et qui n’est pas décrite dans le CRAF. Il est applicable à tous les types de dettes recouvertes par le SPF Finances, en ce compris les dettes SECAL et les amendes pénales.

[11] Art. 63 à 69 du CRAF ou https://eservices.minfin.fgov.be/myminfin-web/pages/fisconet/document/d2493983-69e9-43cd-9a45-e656400eef17%23_Toc50972544

[12] Attention, le formulaire n’a pas été mis à jour et prétend toujours qu’il ne s’applique qu’aux dettes de TVA et d’IPP, mais, depuis l’arrivée du CRAF, cette procédure est aussi applicable aux dettes concernées par le CRAF.

[13] Le conseiller général territorialement compétent peut être recherché ici: https://eservices.minfin.fgov.be/annucomp/UI01_15_act01_loadSearch.do

[14] Le recours doit être adressé au SPF Finances, commission de recours «Surséance indéfinie au recouvrement», boulevard du Roi Albert II 33 – boîte 44 à 1030 Bruxelles.

[15] Article 110 de la Constitution.

[16] Art. 1675/13 §3 du Code judiciaire.

[17] Art. 16 §2 de la loi du 21 février 2003 créant un Service des créances alimentaires au sein du SPF Finances.

[18] http://www.federaalombudsman.be/fr/content/normes-de-bonne-conduite-administrative#:~:text=Toute%20administration%20doit%20agir%20et,de%20la%20prise%20de%20d%C3%A9cision.

[19] Art. 71 du CRAF.