On nous écrit, on nous demande… Des contrats de bail testés positifs?

Julie est fière de son commerce dans la plus grande avenue de sa ville. Elle y tient une brasserie depuis plusieurs années et les affaires marchent. Malheureusement, la pandémie de Covid-19 arrive et elle doit y faire face. Dans un premier temps ralentie, puis finalement suspendue, son activité n’est pas au mieux de sa forme. Plus aucune rentrée n’arrive alors que les charges fixes s’accumulent. La plus grande d’entre elles: le paiement du loyer de son commerce. Quelles solutions peut-on lui proposer?

Le présent article se concentrera principalement sur le contrat de bail commercial, et ce, pour deux raisons: il est régi par la même législation partout dans le pays (bien que la matière soit régionalisée) et c’est le contrat de bail qui a été le plus impacté par la pandémie. Les hypothèses d’un contrat de bail de résidence principale ou d’étudiant seront envisagées en fin d’article.

Les principales obligations des parties d’un contrat de bail
Que le bail soit commercial ou d’habitation, certaines obligations sont communes et intrinsèquement liées à la nature du contrat.
Du côté du bailleur, l’article 1719 du Code civil prévoit qu’il est tenu:
«1° de délivrer au preneur la chose louée;
2° d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée;
3° d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.»
Tandis que le locataire, en vertu de l’article 1728 du Code civil, doit:
«1° user de la chose louée en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention;
2° payer le prix du bail aux termes convenus.»
L’obligation de payer le loyer étant une contrepartie de la jouissance paisible des lieux loués, ces obligations sont liées et pourront donc avoir un impact l’une sur l’autre.

Comment interpréter l’incidence de la pandémie sur les contrats en cours?

La force majeure est une cause étrangère exonératoire, c’est un événement imprévisible qui apparaît postérieurement à la conclusion du contrat et qui rend impossible l’exécution de son obligation (l’événement ne doit pas être imputable à l’une des parties). L’impossibilité d’exécution doit être appréciée de manière raisonnable et humaine, mais une augmentation de la difficulté n’est pas suffisante. L’appréciation doit se faire au cas par cas.
Qu’en est-il de la pandémie? Elle pourrait, selon les circonstances, remplir les conditions de la force majeure (voir plus loin, pour plus de détails) puisque la propagation rapide du virus n’était pas prévisible et certaines mesures prises par les autorités publiques («fait du prince») ont pu rendre impossible l’exécution de certaines obligations (ex.: fermeture des commerces non essentiels…).
Quels sont dès lors les effets sur un contrat lorsqu’une force majeure est constatée? Si l’impossibilité est temporaire, les obligations seront suspendues. Par contre, si l’impossibilité est définitive, le contrat sera alors rompu sans que l’on puisse en tenir rigueur à une partie (exonération de responsabilité).
Une nuance doit encore être apportée selon que l’impossibilité est totale ou partielle, ce qui amènera à une suspension totale ou partielle des engagements contractuels (par ex.: réduction ou suppression du loyer).
À noter qu’un débiteur ne pourra invoquer une force majeure lorsque, avant la survenance de l’événement, il était déjà en demeure de s’exécuter (donc déjà en défaut) ou lorsqu’une clause contraire a été convenue.
– La théorie des risques
Lorsqu’une des deux parties au contrat n’est plus en mesure de s’exécuter à cause d’une force majeure, l’autre partie est-elle également libérée de son obligation corrélative?
La Cour de cassation y a répondu dans un arrêt de principe: «Dans les contrats synallagmatiques, l’extinction, par la force majeure, des obligations d’une partie entraîne l’extinction des obligations corrélatives de l’autre» (Cass., 27 juin 1946, Pas., 1946, I, p. 270).

Que dit la jurisprudence dans le cas concret du coronavirus?
Plusieurs pistes de solution ont fleuri dans la jurisprudence des justices de paix, compétentes pour ce type de litiges, avec pour question centrale la force majeure et son impact sur les obligations des parties.
– Une réduction de loyer
Ainsi, certains juges ont estimé que le loyer devait être réduit puisqu’une impossibilité temporaire et partielle, pour le bailleur, de faire jouir paisiblement le locataire de son bien était causée par la pandémie et des mesures qui en ont découlé:
Réduction de 70% du loyer, compte tenu de la possibilité de maintenir une certaine activité dans les lieux loués (activité accessoire de boulangerie maintenue tandis que la partie dégustation et restauration est suspendue) (J. P. Liège, 4e canton, 15 décembre 2020, JLMB, 2021/18, p. 832). Le juge n’a pas suivi le bailleur qui contestait l’impossibilité d’exercer un commerce et par conséquent une réduction du loyer, dans la mesure où le locataire aurait pu pratiquer une autre activité (initialement horeca). Pour le juge, il ne peut être imposé au locataire une reconversion de son activité, dans la mesure où de telles activités «ne s’improvisent pas, demandent des investissements et un savoir-faire».
Réduction de 50% du loyer durant la période de fermeture obligatoire et octroi d’une possibilité d’échelonnement pour les 50% du loyer restant (délai de grâce) (J. P. Bruxelles, 1er canton, 19 novembre 2020, JLMB, 2021/1, p. 38). Le juge estime qu’exiger le paiement complet du loyer durant la période de fermeture serait considéré comme un abus de droit, compte tenu de la disproportion entre le préjudice causé et l’avantage recherché.
Réduction du loyer de 50%, compte tenu de la fermeture obligatoire du commerce d’esthétique («fait du prince») (J. P. Schaerbeek, 1er canton, 22 juin 2020, Les Dossiers du journal des juges de paix et de police, n°30, La Charte, 2020, p. 31). La réduction n’est que partielle, car les lieux étaient également en partie utilisés pour l’habitation du locataire, l’impossibilité pour le bailleur de remplir son obligation n’étant donc que partielle. Le contrat est toutefois résilié puisqu’un arriéré de loyer était déjà présent avant la survenance de la pandémie (cf. état d’inexécution antérieur à la force majeure, voir supra).
Réduction du loyer de 25% en vertu de l’obligation d’exécution de bonne foi des conventions (J. P. Bruges, 4e canton, 28 mai 2020, Les Dossiers du journal des juges de paix et de police, n°30, La Charte, 2020, p. 25). À noter que le juge estime que «la survenance d’épidémie fait partie des risques normaux du commerce et ne constitue donc pas un cas de force majeure». Cependant, le confinement et les fermetures (de certains commerces, mais aussi des frontières et donc absence de tourisme) constituent un événement «absolument imprévisible et doit être considéré comme un cas de force majeure». Dans la situation soumise au juge, le locataire avait une activité de chocolaterie dans un lieu touristique.
Il est à noter que ces deux dernières décisions se fondent également sur l’article 1722 du Code civil qui permet au juge de réduire le loyer en cas de perte juridique temporaire du bien loué (cas de destruction partielle du bien).
Réduction du loyer de 50% pour un salon de coiffure et centre d’esthétique, mais sur la base de la théorie de l’abus de droit (J. P. Woluwe-Saint-Pierre, 2 juillet 2020, Les Dossiers du journal des juges de paix et de police, n°30, La Charte, 2020, p. 25). Le juge relève que la fermeture obligatoire était totale (du 24 mars au 18 mai 2020), mais écarte l’application de la force majeure pour déclarer impossible l’obligation du bailleur, tout autant que l’application de l’article 1722 du C.c., dans la mesure où le bâtiment n’est pas à l’origine de la privation de la jouissance de la chose louée. Le juge écarte également la théorie de l’imprévision non encore consacrée par la Cour de cassation et pointe l’arrêt du 28 juin 2018 de la Cour de cassation (cité infra dans l’article) qui relève que la force majeure ne peut être invoquée pour une obligation de payer. Cependant, le juge estime que «l’exigence de bonne foi dans l’exécution des conventions implique, dans le chef des cocontractants, bailleur et locataire en l’occurrence, un devoir de solidarité et de loyauté» et que, par conséquent, exiger le paiement intégral du loyer durant la période de fermeture imposée par les mesures gouvernementales provoquerait un déséquilibre radical dans l’économie du contrat, au désavantage du locataire, et constituerait donc aux yeux du tribunal un abus de droit dans les circonstances tout à fait exceptionnelles liées à la pandémie de coronavirus.
– Une suppression de loyer
Dans certaines situations, les juges de paix ont décidé la suppression totale du loyer:
Justice de paix d’Etterbeek: l’activité commerciale, pour un commerce de détail, naît du contact avec le public. Cela est devenu impossible avec le confinement et la fermeture des magasins non essentiels. Le bailleur n’a donc pas pu fournir la jouissance de la propriété, conformément à l’objet contractuel. L’interdiction d’exploitation liée à la pandémie est temporaire, mais totale. Le loyer n’est donc pas dû durant l’interdiction, bien que les stocks aient pu être entreposés dans les lieux (cet élément unique est insuffisant pour décider d’une perte partielle, plutôt que totale, de jouissance) (J. P. Etterbeek, 30 octobre 2020, JLMB, 2021/1, p. 34).
Justice de paix de Roeselare: le bailleur ne peut procurer la jouissance du bien pour une exploitation d’un établissement horeca, compte tenu de l’obligation de fermeture liée à la pandémie. Le loyer n’est donc pas dû pour la période de fermeture (théorie des risques) (J. P. Roeselare, 24 novembre 2020, JJP, janvier-février 2021, p. 75).
– Ni suppression ni réduction
D’autres juges ont estimé qu’il ne devait y avoir ni suppression ni réduction de loyer:
Justice de paix d’Ixelles: suspension totale du loyer pendant l’interdiction, mais avec obligation de remboursement une fois l’activité revenue. Un plan d’apurement peut cependant être octroyé par le juge pour l’apurement des loyers correspondant à la période de fermeture (J. P., Ixelles, 29 octobre 2020, JLMB, 2021/1, p. 32).
Justice de paix de Huy du 19 octobre 2020: le restaurant a également une partie «drive-in» pour 50% de son chiffre d’affaires (grande chaîne de restauration rapide). Le loyer reste dû, peu importe que les autres restaurants de la chaîne aient dû fermer et que donc, de manière générale, l’entreprise soit en difficulté. Ce n’est pas au bailleur à supporter la situation économique du groupe à qui il loue un seul lieu. La théorie de l’abus de droit est également écartée, car, dans le cas concret soumis au juge, la situation économique du locataire est plus solide que celle du bailleur (J. P. Huy, 1er canton, 19 octobre 2020, JLMB, 2021/1, p. 27).
Cette dernière situation est particulière et concerne une locataire spécifique (grande chaîne de restauration rapide). L’analyse doit donc être faite au cas par cas sans pouvoir généraliser la solution.

Que doit concrètement faire Julie?
En matière contractuelle, il est toujours conseillé de prendre contact avec le cocontractant dans un premier temps. Nous conseillons donc à Julie d’écrire à son bailleur afin de lui faire part des difficultés rencontrées à la suite de la fermeture obligatoire de son commerce. En fonction de la situation et notamment de la possibilité pour Julie d’avoir maintenu une partie de son activité (voir infra), une réduction du loyer pourrait être sollicitée.
À défaut d’accord, il sera nécessaire de passer par la case «justice de paix». Une conciliation pourrait également être envisagée (peu onéreuse, solution «négociée» mieux acceptée…) avant d’entamer directement une phase contentieuse.

Et si Julie a tout de même utilisé les lieux pour, par exemple, stocker de la marchandise ou cuisiner des plats à emporter?

Il faut distinguer les deux hypothèses:
– Si Julie parvient toujours à utiliser une partie des lieux loués pour notamment stocker de la marchandise (la question serait encore plus représentative dans le cadre d’une activité de vente de vêtements), peut-on conclure que l’impossibilité temporaire n’est que partielle? Il faut analyser la situation dans son ensemble, l’impossibilité pourrait tout de même être considérée comme totale si l’on admet que l’obligation impossible à exécuter (l’activité de vendre des repas aux clients, comme c’est le cas pour Julie) est indivisible des autres obligations (en ce sens: M. Higny, «Le paiement du loyer et des charges au bailleur dans le bail d’un bien immeuble face au coronavirus», JT, 2020, p. 268; J. Van Zuylen, «Coronavirus et force majeure: questions choisies», RGDC, 2020/7, p. 394).
– Si Julie et ses équipes parviennent à maintenir la tête hors de l’eau grâce à la mise en place de repas à emporter, que doit-on en conclure sur l’impossibilité du bailleur de fournir la jouissance du bien? On pourrait dans cette hypothèse admettre que l’impossibilité n’est que partielle et par conséquent qu’il n’y ait qu’une réduction du loyer (par ex. une réduction proportionnelle à la surface utilisée).

Des incitants?
Depuis peu, une réduction d’impôt peut être octroyée aux bailleurs qui ont renoncé au loyer des mois de mars, avril et/ou mai 2021, en faveur des locataires contraints de fermer leur commerce, compte tenu des mesures sanitaires.
Cette réduction s’élève à 30% des loyers annulés. Pour l’impôt des sociétés, l’avantage est accordé sous la forme d’un crédit d’impôt non remboursable.
Certaines conditions sont cependant à remplir:
1° maximum 5.000 € par mois et par loyer;
2° maximum 45.000 € au total par bailleur;
3° le bailleur doit renoncer au loyer de manière définitive et volontaire;
4° le locataire doit exercer une activité d’indépendant (activité principale) ou être une petite entreprise ou une petite association;
5° la renonciation doit être reprise dans un accord écrit.
Un modèle d’accord est mis à disposition sur le site du SPF Finances . Cet accord doit être transmis au SPF par voie postale ou électronique au plus tard pour le 15 juillet 2021.

Et si Julie occupait les lieux uniquement pour son domicile?

Elle a donc conclu un contrat de bail de résidence principale.
Cette hypothèse est moins problématique que la précédente. En effet, la pandémie et les mesures qui en ont découlé ne peuvent être constitutives d’une force majeure dans le chef du locataire, comme dans celui du bailleur, puisque les obligations des parties ne sont pas impactées.
L’obligation de fournir la jouissance paisible des lieux loués est toujours possible, car le locataire a la possibilité (et même, lors du premier confinement, une obligation) de jouir de son domicile. Il aurait fallu qu’on empêche le locataire d’accéder à son logement pour qu’une force majeure puisse être envisagée. De même, l’obligation de payer le loyer n’est pas rendue impossible (une diminution de revenus ne rend l’obligation que plus difficile, mais pas impossible). D’ailleurs, la Cour de cassation estime, dans un arrêt de principe, que l’impossibilité d’exécution ne se conçoit pas lorsqu’il s’agit d’un paiement d’une somme d’argent (Cass., 13 mars 1947, Pas., 1947, I, p. 108; rappelé notamment dans Cass., 28 juin 2018, RGDC, 2020, p. 26).
L’impact se limitera à la difficulté, voire à l’impossibilité d’établir un état des lieux (d’entrée ou de sortie) ou de mettre en place des visites pour une remise en location (voir notamment J. P. de Namur, 2e canton, 2 juin 2020, Les Dossiers du journal des juges de paix et de police, n°30, La Charte, 2020, p. 7 et s.: impossibilité de visites en vue de relouer due aux arrêtés de pouvoirs spéciaux du 18 mars 2020).
Une prorogation pour circonstances exceptionnelles (exemple: mesures gouvernementales liées à la pandémie) pourrait également être envisagée (par exemple, en cas d’impossibilité d’organiser un déménagement).

Et si Julie est étudiante et a conclu un contrat de bail étudiant?

Au niveau des obligations des parties, la situation est similaire à celle du bail de résidence principale. Cependant, depuis le courant du mois de mars, les cours ont été suspendus en présentiel dans les universités et les hautes écoles et n’ont pu reprendre que partiellement en présentiel qu’à la fin de l’année académique.
La réponse apportée à Julie sera différente en fonction du lieu du logement loué. Les gouvernements wallon et bruxellois ont pris des arrêtés de pouvoirs spéciaux afin d’apporter une solution, à tout le moins un palliatif, à cette problématique.
– Concrètement, en Wallonie, si l’étudiant démontre qu’il a subi une perte de revenus d’au moins 15% en raison des mesures de confinement (les étudiants ayant souvent des jobs précaires dans des secteurs comme l’horeca), il obtient une faculté de résiliation anticipée du contrat. Cette faculté peut être exercée à tout moment, mais moyennant le respect d’un délai d’un mois de préavis et du paiement d’une indemnité équivalente à un mois de loyer. De plus, la preuve de la perte de revenus doit être apportée .
– En Région de Bruxelles-Capitale, la durée de préavis est réduite à un mois en cas de résiliation de la part de l’étudiant (au lieu des deux mois prévus par l’article 256, §2, al. 2, du Code bruxellois du logement). Cet assouplissement a également été mis en place pour les baux de courte durée (durée inférieure à trois ans) si le locataire peut justifier de la qualité d’étudiant et qu’il n’est pas domicilié dans les lieux. Dans les deux situations, cela ne vaut que pour les contrats conclus avant le 18 mars 2020 et dont la notification du congé est effectuée entre le 18 mars et le 30 septembre 2020.

Conclusion
L’on constate que les solutions apportées dépendent du type de contrat de bail conclu. Les décisions de jurisprudence divergent, mais on peut retenir qu’il est nécessaire d’analyser la situation concrète du locataire (fermeture totale ou non, chiffre d’affaires toujours présent ou non, autre utilisation du bien…).
Une communication avec le bailleur est donc à favoriser et une demande à tout le moins de réduction du loyer est à encourager à l’amiable avant de devoir, si nécessaire, soumettre le litige au juge de paix compétent.

Pablo Salazar, juriste au GILS