C’est en 2012 avec la restructuration de Ford Genk que Febelfin, la Fédération belge du secteur financier, a mis sur pied une campagne de communication auprès des travailleurs ayant perdu leur emploi et de ses membres. L’objectif: inviter ces travailleurs à venir parler avec leur banquier de leurs difficultés financières. C’est malheureusement le tour de Caterpillar aujourd’hui et Febelfin se mobilise, ainsi que d’autres acteurs de terrain.
Octobre 2012. Un mois noir pour l’emploi en Belgique. Des pertes d’emploi sont annoncées chez Ford, Arcelor, NLMK, Dow Chemical ou encore chez Volvo Gand. Des milliers d’emplois sont annoncés comme passant à la trappe. La restructuration chez Ford Genk est probablement la plus «sanglante»: près de 10.000 emplois (4.000 emplois directs et quelque 6.000 emplois indirects, auprès des sous-traitants et autres fournisseurs) seraient perdus et l’annonce de jours sombres pour les travailleurs ainsi concernés, notamment sur le plan financier. Comme le prévoit la procédure Renault, ainsi qu’à l’initiative des autorités politiques et des acteurs sociaux, une série de dispositifs sont mis en place pour soutenir ces travailleurs touchés de plein fouet par cette annonce. C’est dans ce contexte que Febelfin a imaginé cette campagne «Parlez-en à votre banquier».
Comme l’explique Ivo Van Bulck, Commercial Director Banking Febelfin et secrétaire général de l’UPC (Union professionnelle du crédit), «nous sommes entrés en contact avec le gouvernement flamand, ainsi que le gouverneur de la province de Limbourg et nous avons proposé notre aide. Nous avons participé à des réunions avec d’autres instances comme le VDAB, les CPAS, des organisations sociales de terrain… afin d’envisager la reconversion de ces travailleurs, mais aussi du soutien psychologique, une aide par rapport à d’éventuelles addictions ou des problèmes de santé. Le remboursement des crédits est potentiellement une source de difficultés en cas de perte d’emploi: donc l’idée de notre campagne était d’être présent dans le cadre du trajet d’accompagnement des travailleurs licenciés, avec le souci qu’un dialogue entre ces personnes et leur banquier puisse se nouer. Les travailleurs en difficulté sont donc invités à contacter au plus vite leur institution financière afin d’envisager des solutions. C’est le sens de notre message. Nous avons également contacté tous nos membres via une circulaire de Febelfin/UPC afin de les sensibiliser à se rendre disponibles pour ces travailleurs, en leur rappelant le code de conduite qui reprend dix principes de l’octroi de crédit responsable».
Une analyse d’impact avait précédé la campagne montrant que les travailleurs de Ford Genk avaient en moyenne 31.800 euros de crédit hypothécaire à rembourser. Chez les fournisseurs, ce montant atteignait le double, soit 65.400 euros. Cette différence s’expliquait selon Febelfin par l’âge moyen plus élevé des travailleurs de Ford Genk par rapport à leurs fournisseurs. Une majorité des travailleurs de Ford semblaient déjà avoir remboursé leur crédit hypothécaire.
Quel impact?
Concernant la campagne «Parlez-en à votre banquier», Febelfin insiste sur le fait qu’il s’agit d’une invitation laissée à la discrétion de chacune des parties: «Il n’y a évidemment aucune injonction donnée aux acteurs en présence, étant donné qu’il s’agit d’une relation privée entre chaque client et son banquier.» Mais ce caractère privé de la relation commerciale rend difficile l’évaluation de cette campagne, étant donné que les accords qui ont pu être dégagés ne sont pas connus. Ce que Febelfin sait, c’est que près de 1.300 contacts ont eu lieu entre des travailleurs et des fournisseurs de Ford Genk et leurs banquiers respectifs, dans leur cadre de cette campagne. Pourtant, en décembre 2013, la parlementaire sp.a Joke Quintens déplorait un certain manque de connaissances et de sensibilité de certains banquiers concernant le trajet d’accompagnement des travailleurs sur le plan financier. Febelfin a tenu compte de ce feedback pour ajuster son accompagnement et sensibiliser davantage encore ses membres.
Les différents arrangements qui ont le cas échéant suivi ces contacts ne sont pas connus, certes, mais, d’après Ivo Van Bulck, «les possibilités de négociations portent essentiellement sur les crédits hypothécaires, pour lesquels la loi prévoit une certaine souplesse, avec entre autres solutions pour alléger les charges mensuelles, le report de paiement du capital, la prolongation du crédit hypothécaire ou le remboursement (partiel) anticipé». Des crédits hypothécaires qui pèsent le plus lourdement sur les budgets des particuliers mais un champ de négociations restreint puisqu’il ne porte pas sur les crédits à la consommation pour lesquels, selon Febelfin, les banquiers n’ont presque pas de marge de manœuvre. Or les difficultés de paiement concernent aussi des ouvertures de crédit ou des crédits à tempérament. Concernant ces possibilités de négociations, Mohamed El Omari, coordinateur du Vlaams Centrum Schuldenlast (VCS), aurait souhaité qu’elles concernent également les crédits à la consommation, notamment sur la base des facilités de paiement prévues dans la loi sur les crédits à la consommation (Livre VII du Code de droit économique). Une objection qui n’a pas pu être rencontrée. Selon M. El Omari, il est également important que toute une série d’acteurs soient mobilisés pour encadrer les difficultés d’un travailleur à rembourser ses dettes, le banquier n’étant pas le seul interlocuteur pour analyser un budget et fixer des priorités en cas de défauts de paiement. À cet égard, les services de médiation de dettes sont sans doute les plus qualifiés. Enfin, certaines assurances perte de revenus peuvent aussi être activées, ce que Febelfin rappelle également dans les documents à disposition de la clientèle.
Plus récemment
Dans le cadre des restructurations de 2013 et 2014 chez ArcelorMittal, Clio Célis, chargée de la coordination du dossier Caterpillar chez Febelfin, explique que la fédération s’est manifestée auprès des autorités régionales, telles que le ministre wallon de l’Économie, l’Union wallonne des entreprises, le Setca, la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRWI) ou encore la chambre de commerce de Liège. Une analyse des besoins des travailleurs d’ArcelorMittal a été effectuée par les banques: ces travailleurs présentaient en moyenne 68.900 euros de crédits hypothécaires en cours, un montant supérieur à celui pour Ford Genk, lié au fait que les travailleurs sont davantage des cadres de l’enseignement supérieur, et de 93.200 euros pour les fournisseurs. Les membres de Febelfin ont cette fois encore été sensibilisés jusqu’au niveau le plus local. Mais Febelfin ne dispose pas de chiffres sur les contacts qui ont ainsi pu être générés entre les travailleurs de ce groupe en restructuration et leurs banquiers.
Avec l’annonce de la fermeture du site de Caterpillar Gosselies, une nouvelle vague de licenciements s’annonce en Wallonie, même si on n’est qu’à la phase 1 de la procédure Renault. En septembre dernier, on parlait de 2.101 emplois directs concernés (avec 737 employés et 1.364 ouvriers), sans compter les emplois indirects liés aux fournisseurs et sous-traitants du groupe. D’où la nécessité pour Febelfin de réitérer sa démarche auprès des autorités wallonnes: le cabinet du ministre wallon de l’Économie Jean-Claude Marcourt confirme une rencontre entre le ministre et Febelfin, en compagnie de la Sogepa, la Sowalfin et la SRWI, les trois outils financiers qui vont accompagner cette restructuration. «Cette rencontre a eu lieu très tôt, tout juste une semaine après l’annonce de la restructuration et des pertes d’emploi chez Caterpillar Belgium, le 2 septembre. Pour l’instant, on attend d’entrer dans la phase 2 du plan Renault. Jusqu’ici, très peu de licenciements ont été enregistrés, si ce n’est dans le chef de certains sous-traitants déjà impactés et qui sont encadrés par la Sogepa. Le Fonds d’ajustement à la mondialisation devant normalement intervenir, des actions nouvelles pourront être opérationnalisées dans le cadre des cellules de reconversion (voir article page 18 à 22), comme la mise sur pied d’une cellule psychologique ou encore l’accompagnement à la gestion financière individuelle. La démarche de Febelfin est louable et pourra être relayé dans le cadre du plan d’accompagnement mais chaque dossier est laissé à l’appréciation des banques: il s’agit d’une négociation individuelle entre les banquiers et les travailleurs.»
En attendant cette phase 2 du plan Renault, les délégués syndicaux sont déjà sur la brèche, auprès des travailleurs licenciés. Comme le souligne Antonio Cocciolo, président de la section Hainaut-Namur de la FTGB, «les licenciements vont entraîner de lourdes pertes financières dans le chef des travailleurs, ce qui va forcément impacter leur budget. Un certain nombre d’entre eux sont déjà concernés par des saisies sur salaire ou des cessions de rémunération, de l’ordre de 20%. D’où l’intérêt de prendre ces problèmes au plus tôt pour éviter la banqueroute et la nécessité de contacter au plus tôt les organismes concernés. Ce n’est pas toujours facile car il y a beaucoup de pudeur à révéler ses problèmes d’argent. Cela dit, les banques sont également parties prenantes et pas toujours neutres, notamment quant à l’utilisation des primes de licenciement ou lorsque la banque saisit ces primes pour obtenir remboursement des prêts. D’où l’initiative intéressante du barreau de Charleroi qui a organisé fin novembre une rencontre à destination des délégués syndicaux et des travailleurs et propose l’organisation de permanences gratuites d’avocats pour aider les travailleurs de Caterpillar». Une aide complémentaire pour permettre aux travailleurs licenciés de veiller à leurs intérêts financiers.
N.C.